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samedi 29 novembre 2014

L'Histoire et ses lacunes, erreurs et omissions



 Numéro 61 de Collections de la revue l'Histoire



Il serait pertinent de se poser la question si les commémorations de la Grande Guerre englobaient dans l’esprit des historiens de l’Occident (groupe réduit à la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne) toute l’Europe y compris celle du Centre et de l’Est. Or quand on lit le numéro 61 des Collections de la revue l'Histoire on se rend compte de la méconnaissance de cet espace par ces mêmes historiens. Dans les articles comme celui des pages 28-32 (« A l’Est, le front oublié » et mal connu ai-je envie de dire) on trouve beaucoup d’inexactitudes. Par exemple la carte p.31 situe Cracovie dans l’empire russe et le front de 1917 correspond en réalité aux offensives de 1915, terminées le 30 septembre de cette année. Il n'est question que des Russes ou éventuellement des Allemands et Austro-Hongrois mais l'aspect multinational de ces empires n'apparaît pas clairement d'où des lacunes concernant les soldats d'autres nationalités qui, si l'on aborde dans d'autres articles la question de mutineries, sont aussi absents. C'est le cas des Polonais, cas très particulier car sous les 3 drapeaux de leurs empires où ils vivaient depuis la fin du XVIIIe siècle et qui, semble-t-il, ne se sont pas révoltés au moins jusqu'en 1917 (2,5 millions de soldats polonais et 300000 morts). Les gouvernements de ces empires lancent dès 1914 des appels promettant la renaissance de la Pologne autonome sous l'égide du tsar ou font référence à l'histoire dénonçant la russification ou la germanisation, l'Autriche-Hongrie semble mieux placée avec la politique mise en pratique assez pro-polonaise en Galicie. Les dirigeants polonais à leur tour et selon leur option politique agissent en conséquence en se tournant vers les Russes ou les Autrichiens ou prônent la révolution.




La carte de l'Europe vue en Galicie autrichienne, 1914





 Il n'y a plus de discorde entre les frères. Carte postale russe de 1914


  La libération de la Pologne du joug russe. Der Wahre Jacob, 17 septembre 1915.


Les légions polonaises sont formées du côté russe et autrichien et ce, dès le mois d'août 1914, du côté allemand en octobre 1916 (Polnische Wehrmacht) comme d'ailleurs en France à Bayonne en août 1914, puis l'Armée polonaise en été 1917 par la décision du président R. Poincaré (4 juin).


L'article de Jean-Michel Gaillard (pages 82-86) contient aussi des inexactitudes ou omissions.
En effet lorsqu'il parle des pertes territoriales allemandes il signale les territoires de la Posnanie, de la Haute-Silésie mais il confond la Prusse Orientale avec le Prusse Occidentale ou la Poméranie Orientale (futur couloir de Dantzig) et il oublie les plébiscites qui devaient régler l'appartenance d'une partie de la Prusse Orientale et de la Silésie alors que la carte le montre bien. Et sur cette carte la Saxe occupe la moitié de la Silésie (sic) tandis que Dresde se trouve en Thuringe !



 L'Allemagne du traité de Versailles


La Pologne des traités de Versailles, de Riga et des annexions polonaises de la région de Wilno et de la Galicie orientale



Puis rien sur la Galicie autrichienne dans le paragraphe consacré aux décombres de l'Autriche-Hongrie sans parler de la majeure partie de la Pologne gagnée aux dépens de la Russie. L'auteur parle avec une certaine légèreté des millions d'Allemands (8 millions) à la page 84 alors qu'il s'agit, comme dans le cas d'Alsace-Lorraine, de départ de milliers de fonctionnaires et autres sujets du Reich installés dans ces territoires par la puissance occupante après 1908. D'ailleurs le traité de Versailles prévoyait la protection de minorités ethniques dans les nouveaux États qui se l'ont vu imposer par les Quatre Grands ce qui n'est pas le cas, tout à fait, de l'Allemagne perdante (elle en a adopté néanmoins dans sa constitution le principe dans l'article 113) ou de la France victorieuse. En novembre 1918 on compte 2 millions d'Allemands selon les sources polonaises (ils étaient 1 750 000 selon le recensement allemand du 1.12.1910) dans les territoires évoqués mais en 1921 (recensement du 30.09.1921) il ne reste que 504 000 et 400 000 quittent la Pologne après cette date. Ils refusent l'option de citoyenneté polonaise.
C'est la conclusion qui est la plus surprenante. Selon l'auteur « l'Europe, dans une cartographie issue de Versailles, semble viable » alors que le traité de Riga (totalement ignoré) a réglé les frontières à l'Est (y compris l’enterrement définitif de l'idée d'une Ukraine indépendante), et que la conférence de Téhéran (1943), bien avant celle de Yalta, a confirmé le traité de Ribbentrop-Molotov qui partageait de fait la Pologne avec la participation de la Lituanie qui recevait de Staline la région de Wilno (avec l’acceptation de stationnement de l’Armée Rouge sur son territoire). En 1940 elle allait être incorporée à l’URSS.

La Pologne du traité de Ribbentrop-Molotov



L'Europe après la conférence de Potsdam


Ce sont les accords d'Helsinki qui ont décidé de l'intangibilité des frontières et de ce fait, des frontières à l'Est, résultat de la Seconde Guerre mondiale et des déplacements de populations voulus et acceptés par les Grands Vainqueurs. Mais la frontière Oder-Neisse n'est reconnue par la RFA qu'en 1990.
Pour conclure je rappelle que la fête nationale de l’indépendance polonaise est le 11 novembre 1918 et c’est la Première Guerre mondiale qui a permis la construction de nouveaux États-nations, idée bien française et la Société des Nations peut être considérée comme la première tentative de la construction européenne (avec l’absence significative des États-Unis et de l’URSS).

Ce qui est aussi gênant dans la démarche française c'est l'incapacité de garder les noms historiques des villes qui se trouvent au-delà de l'Oder-Neisse. Ainsi les noms traditionnels (historiques) changent-ils au fil du temps et des déplacements de frontières voire de l'apparition de nouveaux Etats. Le nom français de Léopol devient Lemberg sous l'occupation autrichienne, Lvov durant une courte occupation russe pendant la 1re GM, Lwów lorsque la Pologne récupère sa ville (depuis le XIVe siècle), Lvov de nouveau après sa prise par les Soviétiques et cela malgré son incorporation à la République socialiste soviétique d'Ukraine faisant partie de l'ONU et enfin Lviv car l'Ukraine est devenue indépendante.
C'est la même chose pour Vilnius actuellement qui a été une ville du royaume de Pologne et s'appelait Wilno mais après les partages de cet Etat, son nom oscille entre Vilno, Wilno et Vilna (prononciation russe de la dernière lettre du nom qui est "o" mais après l'accent tonique se prononce "a". Après la 1re GM la ville récupérée par la Pologne est appelée Wilna dans le Larousse de 1933 puis Vilna après 1945, Vilnious (Nouveau Petit Larousse de 1972) et enfin Vilnius. Quel manque de cohérence!
Breslau allemande est finalement devenue Wrocław polonaise alors qu'en latin la ville s'appelle Vratislavia. Pourquoi ne pas reprendre ce nom comme pour Varsovie ou Cracovie. Les Italiens et les Espagnols utilisent le nom Breslavia. Pourquoi alors Aachen est appelé Aix-la-Chapelle alors que les Anglais gardent le nom germanique tandis que les Italiens - Aquisgrana (comme en langues corse et occitane), les Espagnols - Aquisgrán, les Polonais - Akwizgran ?








Dans ce numéro 100 de Collections la revue décidément n'a pas disposé de bons cartographes. A la page 12 (la carte ci-dessus) contient  des erreurs et anachronismes. La Russie soviétique possède déjà en 1919 la Biélorussie et l'Ukraine occidentale. Ainsi la Galicie orientale et la Volhynie (cf. mon article "Triangle volhynien), la pomme de discorde entre deux nationalismes, polonais et ukrainien, est totalement ignorée alors que les combats sont en train de se dérouler entre la République de l'Ukraine occidentale et l'Etat polonais. La ville de Léopol (Lemberg jusqu'à la chute de l'Empire austro-hongrois, Lwów pour le Polonais) est appelée Lviv comme si nous étions en 2023. Elle s'appelait dans la géographie française après la IIe GM Lvov (en russe mais Lwow dans l'entre-deux-guerres car polonaise). La Lituanie semble posséder Wilno alors que la ville et sa région ont été occupées par les Polonais (cf.mon article "Wilno").

                                                   Conflit armé polono-ukrainien




Dantzig n'est pas appelée Gdansk ce qui est correct mais Königsberg ( ville de Kant ! ) est "déjà" nommée Kaliningrad. 
A titre de comparaison voici la carte anglo-saxonne avec la légende : ligne de front en 1919












Dans la carte ci-dessus ( toujours la page 12) le Gouvernement Général de Pologne englobait, après 1941, la Galicie orientale avec Lwów , appelée par les Allemands justement Lemberg. Cracovie en était le siège du gouverneur Hans Frank, et pas Varsovie comme semble indiquait la carte. Là encore l'Histoire occulte ou commet l'erreur. La ville de Bialystok n'a pas de "c" avant le "k".

Les plus curieux sont invités à regarder la carte à la page 10. On y voit la bataille des Lacs de Mazurie (laquelle ?)  en Prusse orientale nord autour de Königsberg alors que celle de Tannenberg est au coeur de la Mazurie. Comprenne qui pourra !

Comme je disais  plus haut, les espaces orientaux sont ignorés par les soit disant spécialistes français. L'Histoire pourrait, tout de même, bien vérifier avant de publier de telles cartes. 


Auteur du tableau non daté !!!: Louis de Silvestre. Musee et Domaine National de Versailles et de Trianon, Versailles


Et enfin toujours dans le même numéro à la page 20 figure le tableau présentant la réception du prince-électeur de Saxe Frédéric-Auguste en 1714 par Louis XIV à Fontainebleau. Comme on peut vérifier le tableau est non daté alors que la légende dit bien "en 1714". Et suit le commentaire: "La France domine alors politiquement et culturellement l'Europe". Or l'auteur semble ignorer que ce même prince est le roi de Pologne, donc égal au monarque français, en 1714.


Auguste II, roi de Pologne; tableau de Nicolas de Largillière datant de 1714 ou 1715. The Nelson-Atkins Museum of Art

                     Auteur: Louis de Silvestre réalise ce portrait en 1718. Musée national Poznan


Le futur Auguste II le Fort a réussi à évincer le candidat français (pince Conti) sur le trône de Pologne en s'appuyant sur Pierre le Grand. Et malgré l'envoi de l'escadre française devant le port de Dantzig (Gdansk) les Français ont dû repartir honteusement. Alors quelle Europe domine la France ? Nordique ? Certainement pas. Centrale ? Non plus. Orientale ? Encore moins. Un peu de sérieux dans ces affirmations. On attend d'une revue historique un peu plus. Qu'en déduire quand on connaît pas une partie du monde ?                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    


Dans ce numéro 524 de décembre 2023 à la page 20 l'auteur de l'article "Le rêve inachevé de Raphael Lemkin", Vincent Duclert présente le personnage et ses idées mais n'est pas capable de vérifier ne serait-ce que dans Wikipédia, ses informations biographiques. Ainsi il écrit que Lemkin est né à Lemberg en Biélorussie ! Puis, plus loin, il déclare à la même page (20, 3e colonne) que "Hersch Lauterpacht, fut comme Lemkin, formé à Lemberg. Décidément  il confond le lieu de naissance avec le lieu de formation. Connaît-il la ville qui en français a changé de noms au cours de l'histoire ? D'ailleurs il aurait pu en dire quelque chose de pertinent de l'Université de Jean Casimir de Lwow (Léopol), centre intellectuel de premier ordre en Galicie autrichienne puis Pologne à partir de 1919 qui a vu naître l'école polonaise de mathématiques
Quant au dossier principal L'Histoire est parfaitement au diapason des historiens français qui ignorent l'Europe centrale et la Pologne en particulier. Or les Lumières y ont été d'importance capitale et le dernier roi, Stanislas Poniatowski, un surprenant représentant du courant.
L'Atelier des chercheurs consacre 6 pages (60 à 65) au roi de Hongrie Mathias Corvin. Marie-Madeleine de Cevins présente ce personnage de l'Europe centrale, fort en couleur, de façon fort intéressante s'appuyant sur une bibliographie un peu restreinte dont elle figure comme la spécialiste de la question en France (cf. Pöur en savoir plus). Le problème est l'ouvrage cité en 2e position, Mathias Rex d'Andras Kubinyi qui est en hongrois donc inaccessible au lecteur francophone à moins qu'il s'agisse d'un autre ouvrage du même auteur publié en français: Histoire de la Hongrie médiévale tome 2. Mais dans ce cas-là c'est un oubli ( occulté ?). 



A la page 63 on peut voir une carte (La Hongrie de 1490, un des plus grands royaume d'Europe). Dans les territoires conquis par Mathias Corvin les Lusaces (sic) se trouvent dans l'actuelle Basse Silésie et en occupent la bonne moitié de cette voiévodie de la Pologne actuelle. Décidément L'Hitsoire ne possède pas de cartographes de qualité.     

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