Numéro 61 de Collections de la revue l'Histoire
Il serait pertinent de se poser la
question si les commémorations de la Grande Guerre englobaient dans
l’esprit des historiens de l’Occident (groupe réduit à la
France, la Grande Bretagne et l’Allemagne) toute l’Europe y
compris celle du Centre et de l’Est. Or quand on lit le numéro 61
des Collections de la revue l'Histoire on se rend compte de la méconnaissance de cet espace
par ces mêmes historiens. Dans les articles comme celui des pages
28-32 (« A l’Est, le front oublié » et mal connu ai-je
envie de dire) on trouve beaucoup d’inexactitudes. Par exemple la
carte p.31 situe Cracovie dans l’empire russe et le front de 1917
correspond en réalité aux offensives de 1915, terminées le 30
septembre de cette année. Il n'est question que des Russes ou
éventuellement des Allemands et Austro-Hongrois mais l'aspect
multinational de ces empires n'apparaît pas clairement d'où des
lacunes concernant les soldats d'autres nationalités qui, si l'on
aborde dans d'autres articles la question de mutineries, sont aussi
absents. C'est le cas des Polonais, cas très particulier car sous
les 3 drapeaux de leurs empires où ils vivaient depuis la fin du
XVIIIe siècle et qui, semble-t-il, ne se sont pas révoltés au
moins jusqu'en 1917 (2,5 millions de soldats polonais et 300000
morts). Les gouvernements de ces empires lancent dès 1914 des appels
promettant la renaissance de la Pologne autonome sous l'égide du
tsar ou font référence à l'histoire dénonçant la russification
ou la germanisation, l'Autriche-Hongrie semble mieux placée avec la
politique mise en pratique assez pro-polonaise en Galicie. Les
dirigeants polonais à leur tour et selon leur option politique
agissent en conséquence en se tournant vers les Russes ou les
Autrichiens ou prônent la révolution.
Les légions polonaises sont formées du côté russe et autrichien et ce, dès le
mois d'août 1914, du côté allemand en octobre 1916 (Polnische
Wehrmacht) comme d'ailleurs en France à Bayonne en août 1914, puis l'Armée polonaise en été 1917 par la
décision du président R. Poincaré (4 juin).
La carte de l'Europe vue en Galicie autrichienne, 1914
Il n'y a plus de discorde entre les frères. Carte postale russe de 1914
La libération de la Pologne du joug russe. Der Wahre Jacob, 17 septembre 1915.
L'article de Jean-Michel Gaillard
(pages 82-86) contient aussi des inexactitudes ou omissions.
En effet lorsqu'il parle des pertes
territoriales allemandes il signale les territoires de la Posnanie,
de la Haute-Silésie mais il confond la Prusse Orientale avec le
Prusse Occidentale ou la Poméranie Orientale (futur couloir de
Dantzig) et il oublie les plébiscites qui devaient régler
l'appartenance d'une partie de la Prusse Orientale et de la Silésie
alors que la carte le montre bien. Et sur cette carte la Saxe occupe la moitié de la Silésie (sic) tandis que Dresde se trouve en Thuringe !
L'Allemagne du traité de Versailles
Puis rien sur la Galicie
autrichienne dans le paragraphe consacré aux décombres de
l'Autriche-Hongrie sans parler de la majeure partie de la Pologne
gagnée aux dépens de la Russie. L'auteur parle avec une certaine
légèreté des millions d'Allemands (8 millions) à la page 84 alors
qu'il s'agit, comme dans le cas d'Alsace-Lorraine, de départ de
milliers de fonctionnaires et autres sujets du Reich installés dans
ces territoires par la puissance occupante après 1908. D'ailleurs le
traité de Versailles prévoyait la protection de minorités ethniques
dans les nouveaux États qui se l'ont vu imposer par les Quatre
Grands ce qui n'est pas le cas, tout à fait, de l'Allemagne perdante (elle en a adopté néanmoins dans sa constitution le principe dans l'article 113) ou de la
France victorieuse. En novembre 1918 on compte 2 millions d'Allemands
selon les sources polonaises (ils étaient 1 750 000 selon le
recensement allemand du 1.12.1910) dans les territoires évoqués
mais en 1921 (recensement du 30.09.1921) il ne reste que 504 000 et
400 000 quittent la Pologne après cette date. Ils refusent l'option
de citoyenneté polonaise.
C'est la conclusion qui est la plus
surprenante. Selon l'auteur « l'Europe, dans une cartographie
issue de Versailles, semble viable » alors que le traité de Riga (totalement ignoré) a réglé les frontières à l'Est (y
compris l’enterrement définitif de l'idée d'une Ukraine
indépendante), et que la conférence de Téhéran (1943), bien avant
celle de Yalta, a confirmé le traité de Ribbentrop-Molotov qui
partageait de fait la Pologne avec la participation de la Lituanie
qui recevait de Staline la région de Wilno (avec l’acceptation de
stationnement de l’Armée Rouge sur son territoire). En 1940 elle allait être incorporée à l’URSS.
Ce sont les accords d'Helsinki qui ont
décidé de l'intangibilité des frontières et de ce fait, des
frontières à l'Est, résultat de la Seconde Guerre mondiale et des
déplacements de populations voulus et acceptés par les Grands
Vainqueurs. Mais la frontière Oder-Neisse n'est reconnue par la RFA qu'en 1990.
Pour conclure je rappelle que la fête nationale de l’indépendance
polonaise est le 11 novembre 1918 et c’est la Première Guerre
mondiale qui a permis la construction de nouveaux États-nations, idée
bien française et la Société des Nations peut être considérée
comme la première tentative de la construction européenne (avec
l’absence significative des États-Unis et de l’URSS).
Ce qui est aussi gênant dans la démarche française c'est l'incapacité de garder les noms historiques des villes qui se trouvent au-delà de l'Oder-Neisse. Ainsi les noms traditionnels (historiques) changent-ils au fil du temps et des déplacements de frontières voire de l'apparition de nouveaux Etats. Le nom français de Léopol devient Lemberg sous l'occupation autrichienne, Lvov durant une courte occupation russe pendant la 1re GM, Lwów lorsque la Pologne récupère sa ville (depuis le XIVe siècle), Lvov de nouveau après sa prise par les Soviétiques et cela malgré son incorporation à la République socialiste soviétique d'Ukraine faisant partie de l'ONU et enfin Lviv car l'Ukraine est devenue indépendante.
C'est la même chose pour Vilnius actuellement qui a été une ville du royaume de Pologne et s'appelait Wilno mais après les partages de cet Etat, son nom oscille entre Vilno, Wilno et Vilna (prononciation russe de la dernière lettre du nom qui est "o" mais après l'accent tonique se prononce "a". Après la 1re GM la ville récupérée par la Pologne est appelée Wilna dans le Larousse de 1933 puis Vilna après 1945, Vilnious (Nouveau Petit Larousse de 1972) et enfin Vilnius. Quel manque de cohérence!
Breslau allemande est finalement devenue Wrocław polonaise alors qu'en latin la ville s'appelle Vratislavia. Pourquoi ne pas reprendre ce nom comme pour Varsovie ou Cracovie. Les Italiens et les Espagnols utilisent le nom Breslavia. Pourquoi alors Aachen est appelé Aix-la-Chapelle alors que les Anglais gardent le nom germanique tandis que les Italiens - Aquisgrana (comme en langues corse et occitane), les Espagnols - Aquisgrán, les Polonais - Akwizgran ?
Ce qui est aussi gênant dans la démarche française c'est l'incapacité de garder les noms historiques des villes qui se trouvent au-delà de l'Oder-Neisse. Ainsi les noms traditionnels (historiques) changent-ils au fil du temps et des déplacements de frontières voire de l'apparition de nouveaux Etats. Le nom français de Léopol devient Lemberg sous l'occupation autrichienne, Lvov durant une courte occupation russe pendant la 1re GM, Lwów lorsque la Pologne récupère sa ville (depuis le XIVe siècle), Lvov de nouveau après sa prise par les Soviétiques et cela malgré son incorporation à la République socialiste soviétique d'Ukraine faisant partie de l'ONU et enfin Lviv car l'Ukraine est devenue indépendante.
C'est la même chose pour Vilnius actuellement qui a été une ville du royaume de Pologne et s'appelait Wilno mais après les partages de cet Etat, son nom oscille entre Vilno, Wilno et Vilna (prononciation russe de la dernière lettre du nom qui est "o" mais après l'accent tonique se prononce "a". Après la 1re GM la ville récupérée par la Pologne est appelée Wilna dans le Larousse de 1933 puis Vilna après 1945, Vilnious (Nouveau Petit Larousse de 1972) et enfin Vilnius. Quel manque de cohérence!
Breslau allemande est finalement devenue Wrocław polonaise alors qu'en latin la ville s'appelle Vratislavia. Pourquoi ne pas reprendre ce nom comme pour Varsovie ou Cracovie. Les Italiens et les Espagnols utilisent le nom Breslavia. Pourquoi alors Aachen est appelé Aix-la-Chapelle alors que les Anglais gardent le nom germanique tandis que les Italiens - Aquisgrana (comme en langues corse et occitane), les Espagnols - Aquisgrán, les Polonais - Akwizgran ?
Dans ce numéro 100 de Collections la revue décidément n'a pas disposé de bons cartographes. A la page 12 (la carte ci-dessus) contient des erreurs et anachronismes. La Russie soviétique possède déjà en 1919 la Biélorussie et l'Ukraine occidentale. Ainsi la Galicie orientale et la Volhynie (cf. mon article "Triangle volhynien), la pomme de discorde entre deux nationalismes, polonais et ukrainien, est totalement ignorée alors que les combats sont en train de se dérouler entre la République de l'Ukraine occidentale et l'Etat polonais. La ville de Léopol (Lemberg jusqu'à la chute de l'Empire austro-hongrois, Lwów pour le Polonais) est appelée Lviv comme si nous étions en 2023. Elle s'appelait dans la géographie française après la IIe GM Lvov (en russe mais Lwow dans l'entre-deux-guerres car polonaise). La Lituanie semble posséder Wilno alors que la ville et sa région ont été occupées par les Polonais (cf.mon article "Wilno").
Dantzig n'est pas appelée Gdansk ce qui est correct mais Königsberg ( ville de Kant ! ) est "déjà" nommée Kaliningrad.
A titre de comparaison voici la carte anglo-saxonne avec la légende : ligne de front en 1919
Dans la carte ci-dessus ( toujours la page 12) le Gouvernement Général de Pologne englobait, après 1941, la Galicie orientale avec Lwów , appelée par les Allemands justement Lemberg. Cracovie en était le siège du gouverneur Hans Frank, et pas Varsovie comme semble indiquait la carte. Là encore l'Histoire occulte ou commet l'erreur. La ville de Bialystok n'a pas de "c" avant le "k".
Les plus curieux sont invités à regarder la carte à la page 10. On y voit la bataille des Lacs de Mazurie (laquelle ?) en Prusse orientale nord autour de Königsberg alors que celle de Tannenberg est au coeur de la Mazurie. Comprenne qui pourra !
Comme je disais plus haut, les espaces orientaux sont ignorés par les soit disant spécialistes français. L'Histoire pourrait, tout de même, bien vérifier avant de publier de telles cartes.
Et enfin toujours dans le même numéro à la page 20 figure le tableau présentant la réception du prince-électeur de Saxe Frédéric-Auguste en 1714 par Louis XIV à Fontainebleau. Comme on peut vérifier le tableau est non daté alors que la légende dit bien "en 1714". Et suit le commentaire: "La France domine alors politiquement et culturellement l'Europe". Or l'auteur semble ignorer que ce même prince est le roi de Pologne, donc égal au monarque français, en 1714.
Auguste II, roi de Pologne; tableau de Nicolas de Largillière datant de 1714 ou 1715. The Nelson-Atkins Museum of Art
Auteur: Louis de Silvestre réalise ce portrait en 1718. Musée national Poznan
Le futur Auguste II le Fort a réussi à évincer le candidat français (pince Conti) sur le trône de Pologne en s'appuyant sur Pierre le Grand. Et malgré l'envoi de l'escadre française devant le port de Dantzig (Gdansk) les Français ont dû repartir honteusement. Alors quelle Europe domine la France ? Nordique ? Certainement pas. Centrale ? Non plus. Orientale ? Encore moins. Un peu de sérieux dans ces affirmations. On attend d'une revue historique un peu plus. Qu'en déduire quand on connaît pas une partie du monde ?
Quant au dossier principal L'Histoire est parfaitement au diapason des historiens français qui ignorent l'Europe centrale et la Pologne en particulier. Or les Lumières y ont été d'importance capitale et le dernier roi, Stanislas Poniatowski, un surprenant représentant du courant.
L'Atelier des chercheurs consacre 6 pages (60 à 65) au roi de Hongrie Mathias Corvin. Marie-Madeleine de Cevins présente ce personnage de l'Europe centrale, fort en couleur, de façon fort intéressante s'appuyant sur une bibliographie un peu restreinte dont elle figure comme la spécialiste de la question en France (cf. Pöur en savoir plus). Le problème est l'ouvrage cité en 2e position, Mathias Rex d'Andras Kubinyi qui est en hongrois donc inaccessible au lecteur francophone à moins qu'il s'agisse d'un autre ouvrage du même auteur publié en français: Histoire de la Hongrie médiévale tome 2. Mais dans ce cas-là c'est un oubli ( occulté ?).
A la page 63 on peut voir une carte (La Hongrie de 1490, un des plus grands royaume d'Europe). Dans les territoires conquis par Mathias Corvin les Lusaces (sic) se trouvent dans l'actuelle Basse Silésie et en occupent la bonne moitié de cette voiévodie de la Pologne actuelle. Décidément L'Hitsoire ne possède pas de cartographes de qualité.
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