Brassel ou Prassel (en silésien),
Breslau (en allemand), Breslavia (en italien et en espagnol) mais
Vratislavia (en latin), Vratislav en tchèque.
Le site attesté depuis la fin de
l’Antiquité et du début du haut Moyen Age servait de lieu de
passage de l’Oder aux marchands et aux peuples, Celtes, Vénètes,
Goths, Burgondes, Marcomans et enfin les Slaves dont la tribu des
Slézanes (d'où le nom de la Silésie) qui construisit ici un
premier fortin, au début du Xe siècle, en bois et terre sur
l'Ostrów Tumski (île de la cathédrale). Ces peuples vécurent ici
ou traversèrent ces contrées lors de grands mouvements migratoires
de la fin de l’Antiquité.
Selon la tradition c'est le duc de
Bohême, Vratislav (915-921) qui aurait été le fondateur de la
ville, d'où son nom. Le fleuve se divise ici en plusieurs bras
créant des îlots ce qui donne à la ville un aspect particulier où
l’eau et les ponts jouent des surprises au promeneur non averti, ce
qui permet à certains enthousiastes de parler de la Venise
polonaise.
La région appartint d’abord à
l’État morave (IXe et Xe siècles, la Grande-Moravie étant le
premier État slave évangélisé par les moines byzantins, Cyrille
et Méthode), puis aux princes tchèques de la dynastie des
Přemyslides, ses héritiers de Bohême. Le plus ancien objet
archéologique d'origine tchèque trouvé dans le "Bourg
insulaire" comme appellent les archéologues cet endroit, est
une monnaie avec l'inscription "Vratsao" datée du temps du
prince tchèque Boleslav le Cruel (935-967) et qui confirme
l'autorité de la Bohême sur la Silésie. En 950, Boleslav dut
reconnaître la suzeraineté de l'empereur germanique. La
christianisation des Tchèques par les Allemands signifiait dans
l'avenir l'existence de l’État de Bohême dans le cadre du Saint
Empire. Le prince des Polanes qui vivaient plus au nord (d’où le
nom des Polonais), Mieszko (le premier souverain connu de la dynastie
des Piast et premier duc historique de Pologne), dut affronter le
même problème. Son mariage avec la princesse tchèque Dobrava lui
permit de se soustraire au pesant pouvoir du Saint Empire. Il dut
néanmoins envoyer en 973 son fils Boleslas en otage à la cour de
l’empereur Otton II mais il plaça son fils sous la protection
pontificale puis dénonça le traité de vassalité en arrêtant de
payer un tribut à l’empereur. Le chroniqueur allemand Thietmar de Merseburg (975-1018) signale dans son texte le "Bourg insulaire"
pour la première fois à propos de Jean (Johannes Wrotizlaensis
episcopus, Wortizlava civitate) à la tête d'un évêché (dont la
création est confirmée par la bulle du pape Sylvestre II), créé
lors de la rencontre à Gniezno, entre le prince polonais Boleslas Ier le Vaillant (992-1025, fils de Mieszko Ier) et l'empereur Otton III, où ils consacrèrent les reliques du martyr tchèque Adalbert
(tué par les Borussiens païens) en l'an 1000. Cette rencontre fut
fondamentale car elle prenait acte de l'indépendance de la Pologne
englobant à peu près les territoires d'aujourd'hui à l'exception
de la Prusse orientale. Le prince reçut le titre royal et on décida
la création d'autres évêchés en reconnaissant leur dépendance de
la nouvelle métropole de Gniezno. L'évêché de Wrotizla y resta
attaché jusqu'en 1821.
Otton III met sa propre couronne sur la tête du prince polonais Boleslas Ier et lui tend la lance de saint Maurice (rencontre de Gniezno l'an 1000)
Vratislavie des Piast
Dans le royaume de Pologne (990 –
1135)
Le royaume de Pologne entre le Xe et XIe siècle
Légende: les territoires sous Mieszko Ier
la limite de l'influence tchèque
les conquêtes de Boleslas Ier le Vaillant
les limites du royaume vers 1025
les limites du royaume au débute du règne de Casimir le Restaurateur (vers 1040)
les limites du Saint Empire vers 1018
les limites de la Rus de Kiev sous Yaroslav le Sage
les expéditions militaires de Boleslas Ier en Lusace (1002), à Prague (1003) et à Kiev (1018)
les expéditions de l'empereur Henri II (1005, 1017) et les sièges de bourgs
archevêchés, évêchés avec les dates de fondations et abbayes
dates de destruction d'évêchés par les païens
Vers 990 la Silésie fut perdue par la
couronne de Bohême et passa sous la domination polonaise des Piast.
C’est l’an 1000 donc qui est considéré comme le début de
l’existence historique de la ville par le fait de la création de
l’évêché suite à la rencontre de Gniezno et c’est en 2000 que
la ville a commémoré sa fondation. La cité partagea désormais
l'histoire de la Silésie dont elle était la principale ville
marchande, ainsi que son plus grand centre administratif. Une longue
période de chaos en Pologne suivit la mort de Boleslas Ier le
Vaillant et des rébellions païennes éclatèrent en Silésie. Le
bourg connut une insurrection anti-chrétienne de quatre ans lorsque
les Piast entrèrent en décadence et, aux environs de l'année 1038,
Wrotizla tomba sous la domination du prince Břetislav Ier de Bohême.
L'évêque de la ville fut alors contraint de fuir, et jusqu'à la
restauration de l'évêché en 1051, il résida probablement à
Smogorzewo près de Namysłów (35 km à l’est). De cette époque
nous sont parvenus des restes d'un temple païen datant de 1030.
Wrotizla ainsi que la Silésie
passèrent à nouveau sous la domination polonaise en 1054, sous le
règne de Casimir Ier le Restaurateur. L'unité de l’État des
Piast allait être fragile et les forces centrifuges féodales
profitaient de chaque moment de faiblesse pour contester l'autorité
du prince voire le renverser. Ainsi en 1096 Wrotizla se révolta à
l'instigation du voïévode de Cracovie et palatin, Sieciech qui
gouvernait le royaume. C'est le châtelain du bourg (comes
Vratislaviae), Magnus qui se trouva à la tête de la révolte dont
le but était de renverser le prince Ladislas Ier Herman et le
remplacer par son fils illégitime, Zbigniew. Le duc de Pologne
réagit en envoyant une armée qui mata la rébellion. Mais Ladislas
fut contraint de partager son territoire avec Zbigniew et Boleslas,
son héritier légitime. Ce dernier reçut la Petite-Pologne, la
Silésie, Lubusz (au nord-ouest) et un petit territoire à l’est de
la Grande-Pologne. Ladislas Ier
Herman conservait la Mazovie et les grandes villes du territoire de
Boleslas, tout en restant le princeps (senior). En 1099,
Boleslas, qui s’était lié d'amitié avec son oncle, le duc
Bretislav II de Bohême, obtint de celui-ci une part du tribut annuel
que payait Ladislas Ier
Herman pour la Silésie. En échange, il est probable que Boleslas
cédât à la Bohême la région de Kłodzko (à 100 km au sud).
Après la mort de Ladislas Ier
Herman en 1102, ses deux fils entrèrent en compétition pour prendre
l’ascendant l’un sur l’autre. Alors que Boleslas III Bouche-Torse, ayant hérité le titre de princeps, commença
les préparatifs pour récupérer la Poméranie tout en signant une
alliance avec le prince de Volhynie par le mariage avec sa fille, son
frère s'allia aux Tchèques et Poméraniens revenus au paganisme et
se rapprocha de l'Empire. L'empereur Henri V et ses alliés de Bohême
décidèrent d'attaquer la Pologne en 1109 et furent arrêtés à la
bataille de Psie Pole (aujourd'hui un arrondissement de Vratislavie).
Le vainqueur, Boleslas III Bouche-Torse, poursuivit la politique de
son père afin de réunir, de nouveau, toutes les provinces
occidentales contestées par les voisins tchèques et allemands. Vers
1135 il désigna son fils aîné, Ladislas II le Banni, comme
administrateur de la Silésie. Le traité de Kłodzko (ou de Niemcza selon une autre source), signé en 1137
entre la Pologne et la Bohême fixa la frontière de la Silésie au
sud et à l'ouest qui allait être l'une des plus stables en Europe.
Rappelons que toutes ces informations
nous tenons grâce à la première Histoire de Pologne (Cronicae
et gesta ducum sive principum Polonorum) rédigée par un "Français", si l'on peut désigner un habitant du royaume de France
(Gallia en latin), dont on ignore le nom et que l'on appelle
Gallus Anonymus depuis le XVIe siècle. Il aurait vécu au XIe
et au XIIe siècle,
à l’époque justement de Boleslas III Bouche-Torse. Moine
bénédictin, sans doute d’origine franque ou gallo-romane, il
serait arrivé en Pologne vers 1110, probablement après avoir
séjourné dans un monastère hongrois (certains historiens pensent
qu’il pourrait être un des auteurs de la Gesta Hungarorum).
À la demande de la chancellerie ducale, il écrivit une chronique
(1112-1116) relatant l’histoire de la Pologne, des origines
jusqu’en 1113.
En 1138, à la mort de Boleslas, son
testament fut exécuté: la Pologne fut partagée entre ses fils (cf.
la tradition mérovingienne mais aussi le principe de séniorat chez
les Arpad hongrois avant Etienne). Ladislas, l’aîné des
représentants mâles de la dynastie Piast, devenait le princeps
(senior) et à ce titre, gouvernant également la Petite-Pologne
(avec Cracovie comme capitale), la Grande-Pologne orientale avec
Gniezno et Kalisz, la Poméranie occidentale, la Poméranie orientale
ainsi que la région de Łęczyca et de Sieradz en Pologne centrale
(qui devait lui revenir après la mort de Salomé, la seconde épouse de son père). C'est lui qui décidait en dernier ressort sur les
questions de politique étrangère, concluait les traités, déclarait
les guerres, avait le droit d'investiture, était le chef et le juge
suprême. Dans l'avenir, ce système allait faire éclater l'unité
du royaume, les forces centrifuges, les frères et leurs descendants
voulant s'emparer du titre de senior et de sa capitale, Cracovie,
profitant de l'affaiblissement de l'aîné et de sa disparition. Ce
système est à l'origine de la perte définitive des territoires à
l'ouest (Lubusz, Lebus en allemand), au nord-ouest (Poméranie) et au
sud-ouest (Silésie), au profit des voisins germaniques et tchèques.
Le Drang nach Osten, terme allemand, désignant la conquête de
l'Est, pouvait commencer. D'autant plus que les princes Piast
n'hésitaient pas à faire venir des colons allemands (paysans et
artisans) afin de faire bonifier les forêts défrichées ou
développer les bourgs. Les princes, eux-mêmes, entraient en
relations matrimoniales avec les maisons germaniques voisines qui
régnaient en Thuringe, Saxe ou dans les Marches. Leur éducation se
déroulait parfois dans ces cours de l'Empire et l'allemand devenait
de ce fait une langue de culture alors que les colons venus de
l'Ouest imposaient leur parler dans les cités. La germanisation
était en marche et ce malgré le maintien des relations
fondamentales pour le commerce et l'artisanat avec l'Est
(Petite-Pologne et Russie de Kiev voire au-delà) ou quelques
mariages avec les princesses slaves (polonaises et russes).
Le duché de Silésie (1138 - 1335)
La Pologne au milieux du XIIIe siècle (vers 1250)
Légende: frontière de la Pologne en 1250
- limites des principautés
- limites des pays (terres ici 4 pour la Silésie, de Glogow, Legnica, Wroclaw, Opole-Raciborz)
- capitales, chef-lieux d'Etat, principautés polonaises, pays
- bourgs importants
- autres localités
- archevêchés, évêchés, abbayes
- routes principales
- itinéraires des invasions tatares (mongoles)
- lieux de bataille
- territoires perdus avant 1250
l
Vratislavie devint la résidence de
Ladislas II le Banni en 1138 et la capitale du duché de Silésie. La
construction du château princier sur la rive gauche de l'Oder, en
face de l'Ostrów Tumski (aux environs de l'actuelle université) et
l'édification autour de celui-ci des premières habitations, furent
le point de départ du déplacement du centre-ville vers la rive
gauche du fleuve. L’Ostrów Tumski passa, au fil du temps, sous la
possession de l'Église.
Ladislas en guerre contre ses frères,
abandonné par ses alliés, se réfugia en Saxe et en 1147 il
accompagna l'empereur Conrad III dans la 2e croisade en Terre sainte.
Malgré son alliance avec Frédéric Barberousse qui succéda à
Conrad, il mourut en 1159 sans avoir récupéré son domaine. La
présence du duc polonais à la cour allemande attira l'attention de
l'Empire sur la Pologne et poussa les empereurs à y intervenir en
1147, 1152 et 1157. Boleslas IV le Frisé, son frère et princeps
à Cracovie (1146 à 1173) dut restituer la Silésie en 1163 aux fils
de Ladislas sous la menace d’une nouvelle attaque du Saint
Empire romain germanique.
Les fils de Ladislas obtinrent donc la
justice grâce à l'intervention de Frédéric Barberousse tout en
subissant les menaces de la part de leur oncle, princeps et
senior de la Pologne, Boleslas IV.
Selon les historiens allemands la
Silésie d'alors, divisée entre les frères en hostilité mutuelle,
devint en 1163 une terre d'Empire et de ce fait cessa d'appartenir au
royaume de Pologne ce que contestent les historiens polonais. Selon
ces derniers, malgré la présence de la culture allemande dans les
cours princières et la politique de colonisation menée par les ducs
de Silésie qui invitaient les paysans et artisans allemands à s'y
installer, une loyauté dynastique et une organisation ecclésiastique
garantissaient néanmoins une unité du royaume de Pologne.
Vratislavie accueillit d'ailleurs plusieurs fois le synode des
évêques polonais et était la seconde résidence de l'archevêque
de Gniezno, primat de Pologne. Cette prétendue rupture d'avec le
royaume est en contradiction avec l'engagement des ducs silésiens
dans les affaires polonaises. Ils ne renoncèrent pas aux liens qui
les unissaient aux autres Piast de Pologne. Au XIIIe siècle trois
princes silésiens s'assirent sur le trône de Cracovie: Henri Ier,
Henri II et Henri IV. Dans cette perspective la germanisation n'était
pas nécessairement le synonyme de volonté de séparation d'avec le
royaume mais elle devait plutôt servir leurs ambitions royales en
renforçant la Silésie par son peuplement allemand. C'est seulement
lorsque leur volonté de récupérer Cracovie perdit les chances de
succès que les ducs silésiens perdirent leur intérêt pour la
couronne de Pologne.
Boleslas Ier le Long (duc de Silésie
de 1163 à 1201) reproduisit la politique de son père: conflits avec
les frères et les oncles. En 1198, afin de protéger son duché de
la convoitise des autres Piast, il s’adressa au pape Innocent III
pour lui demander sa protection. Il se réconcilia avec son fils
Jaroslaw qu’il réussit à se faire nommer l'évêque de Vratislavie. À
la mort de ce dernier, en 1201, Boleslas récupéra son fief, le
duché d'Opole qu'il réunit à ses terres avant de décéder la même
année.
Son dernier fils, Henri Ier le Barbu,
lui succéda en Silésie. C'est sous son règne que le processus de
germanisation prit de l'ampleur. Ce fils, petit-fils et mari de
princesses allemandes fut appelé «prince polonais aux cheveux
blonds et au cœur allemand». Dans sa cour le polonais était en
compétition avec l'allemand. A côté de sa femme, Edwige, princesse
bavaroise, d'autres parents germaniques côtoyaient les moines et
monacales, les conseillers et chevaliers originaires du Saint Empire.
La colonisation germanique date aussi de son règne. Elle aurait
commencé aux environs de 1214. Les colons de Saxe, Thuringe et
Bavière principalement auraient été attirés par les loyers
avantageux, la terre fertile et la perspective d'amélioration de
leur sort.
En lutte pour la Grande et la Petite
Pologne, il échoua d’abord pour la première et réussit pour la
seconde en devenant en 1232 duc de Cracovie (capitale officielle du
royaume) suite au décès sans héritiers de Ladislas III. En 1234 il
reprit le combat pour la Grande Pologne et une fois vainqueur il
offrit son trône à son fils, Henri. Mort en 1238 il fut enterré
dans l’abbaye cistercienne de Trzebnica (à 20 km au nord de
Vratislavie).
Henri II le Pieux lui succéda. Il
essaya de consolider son pouvoir. Il continua la politique de
réunification des territoires polonais commencée par son père et
devint princeps, mais il n’y a qu’en Silésie que son
autorité n’était pas contestée. Au niveau de la politique
intérieure, il s’appuya sur l’aristocratie pour gouverner. Sur
le plan de la politique étrangère, en 1239, il mit en déroute
l’armée du margrave de Brandebourg, Jean Ier qui assiégea Lubusz
(à l'ouest de l'actuelle Pologne). La même année, il soutint le
pape dans le conflit qui l’opposait à l’empereur Frédéric II.
En Grande Pologne, il remporta quelques succès contre son rival
Ladislas Odonic. Il entreprit des démarches auprès du pape pour
obtenir la couronne royale.
Face à la menace mongole Vratislavie
dut être évacuée en 1241. Les cavaliers tatares ayant mis à sac
plusieurs villes de la Pologne orientale et centrale dès décembre
1240 décidèrent de se diriger vers le sud-ouest. La capitale
silésienne fut incendiée par les envahisseurs. Henri II fut tué à
la bataille de Legnica, alors qu’il commandait la chevalerie
polonaise et des Templiers, contre les Mongols. Sa mort eut pour
conséquence l’éclatement des territoires que son père et lui
avaient essayé de réunifier. Ses cinq filles furent mariées aux
princes polonais ou entrèrent dans les ordres, ses quatre fils
eurent leur héritage territorial alors que le cinquième entama une
carrière ecclésiastique qui le mena à l’archevêché de
Saltzbourg.
Boleslas II le Chauve, l'aîné, hérita
les titres de son père mais perdit Cracovie la même année et le
Sud-Ouest de la Grande Pologne en 1247. En 1248 il dut accepter la
partition de la Basse Silésie en entrant, par la suite, en conflit
avec ses frères, Henri III le Blanc et Conrad. Sa position
s’affaiblit vis-à-vis de l’Église à cause d'un différend avec
Thomas 1er, l’évêque de Vratislavie (1232-1268) et il rechercha
de l’aide auprès de l’aristocratie allemande, ce qui lui valut
de perdre la confiance de la noblesse polonaise.
Son frère, Henri III le Blanc, devenu
duc de Vratislavie (1248-1266) fut très autoritaire. Il gouverna
d’une main de fer, bâillonnant l’aristocratie et s’opposant
fermement aux demandes de privilèges de l’Église. Il favorisa la
venue d'autres colons allemands en Basse Silésie pour développer
l’économie de son duché. Il donna des droits urbains à de
nombreuses localités. Ainsi en 1261 la cité vratislavienne fut
refondée sur le droit de Magdebourg ce qui permettait l'élection
d'un conseil communal. Ayant reçu une forme d'autonomie les
autorités vratislaviennes conçurent un plan en damier de rues et au
centre, un nouveau marché (Rynek). En même temps le duc bâtisseur
fit construire dans son fief plusieurs châteaux et édifices
religieux. De nombreux artistes étaient invités à sa cour où l’allemand était la langue d'usage à côté du
latin pour les actes administratifs et juridiques.
Sur le plan de la politique étrangère
Henri noua maladroitement une alliance avec la Bohême. La guerre
entre cette dernière et la Hongrie toucha son territoire en
1253-1254 lorsque les ducs de Grande Pologne, alliés des Hongrois,
attaquèrent et dévastèrent son duché. Sa politique très
impopulaire finit par provoquer la révolte des nobles et son
assassinat par empoisonnement e 1266. Son corps fut inhumé dans
l’église des Clarisses qu’il avait fondée dans sa capitale.
Avec l’avènement du dernier Piast,
Henri IV le Juste (1268-1290), la ville allait se retrouver dans le
giron du Saint Empire romain germanique suite à l'hommage vassalique
rendu par le duc, selon certains historiens, à Rodolphe Ier de Habsbourg. Tout en étant dirigée par des ducs issus de la dynastie
polonaise des Piast pendant la plus grande partie du bas Moyen Âge
la cité se repeupla majoritairement d'Allemands. Son développement
était stimulé par de nouveaux privilèges. Par exemple Henri IV le
Juste octroya à la ville le droit d'entrepôt en 1274 (c'est le
privilège le plus ancien de ce type connu en Pologne) qui obligeait
les marchands d'exposer leurs marchandises pendant trois jours lors
de leur passage.
De 1282 à 1287, Henri IV dut faire
face à un conflit avec l’évêque de Vratislavie Thomas II Zaremba. Le différend portait sur les propriétés dont l’évêché
s’était emparé pendant la période difficile qui avait suivi la
bataille de Legnica (1241). Une autre source de discorde était la
suppression de certains privilèges de l’évêché dont le
privilège d’immunité. Au début de l’année 1282, l’évêque
remit ses doléances au légat du pape et lui demanda d’être juge.
Son verdict fut favorable à l’évêché. En réaction, Henri IV
s’en remit au jugement de ses pairs. L’assemblée des ducs, qui
lui était inféodée, remit un verdict qui lui était favorable mais
qui ne satisfaisait pas l’évêque. En 1284, soutenu par le légat,
l’évêque lança l’anathème contre Henri IV et un interdit
(interdictum) frappa le duché. Cet interdit ne fut pas suivi par
tout le clergé. Les Franciscains, par exemple, restèrent fidèles à
Henri IV. Celui-ci, qui n’avait pas l’intention de se soumettre à
l’évêque, en appela au pape Martin IV. Jakub Świnka,
l’archevêque de Gniezno, essaya sans succès de trouver un
compromis acceptable pour les deux parties.
En 1285, Henri IV
s’empara des châteaux appartenant à l’évêque, l’obligeant à
se réfugier dans le duché silésien voisin de Racibórz. Le dernier
acte se joua en 1287 quand Henri IV envahit ce duché. N’ayant plus
la possibilité de fuir, l’évêque trouva un accord avec Henri IV
qui se montra magnanime et laissa à l’évêque une grande partie
de ses anciennes possessions. Parallèlement à ce conflit, Henri IV
continua à essayer de vassaliser les ducs polonais, dans le but de
se faire un jour couronner roi de Pologne. Il mourut empoisonné le
23 juin 1290. Il fut inhumé dans la collégiale de la Sainte-Croix
qu’il avait fondée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les restes
d’Henri IV le Juste furent emportés par des anthropologues
allemands qui voulaient démontrer qu’Henri IV le Juste était
allemand. Ils n’ont jamais été retrouvés après la guerre. Le
sarcophage d’Henri IV le Juste est aujourd’hui conservé au Musée national.
Dans son testament, il désigna Henri
III de Głogów pour lui succéder en Basse Silésie. Les bourgeois
et les nobles de Vratislavie n’acceptèrent pas Henri III comme
souverain et celui-ci, devant la révolte, dut s’enfuir en juillet
1290. La population de Vratislavie offrit le trône à Henri V le
Gros, le duc de Legnica. Henri III de Głogów ne se résigna pas à
perdre le trône vratislavien et un conflit de longue durée s’ouvrit
avec Henri V le Gros pour la possession du duché où les alliés
étaient entre autres, Albert, duc de Brunswick-Lunebourg, Othon IV,
margrave de Brandebourg ainsi que Przemysl II de Grande-Pologne pour
Henri III et Venceslas II de Bohême pour Henri V.
Przemysl II à qui échut le trône de
Cracovie fut couronné roi de Pologne en 1295 par l’archevêque de
Gniezno mais assassiné un an plus tard, par des sbires à la solde
des margraves de Brandebourg car le nouveau roi, qui voulait
réunifier tous les territoires polonais, était un obstacle à leur
expansion territoriale vers l’est. La Grande-Pologne choisit
Ladislas Ier le Bref de Cujavie pour succéder à Przemysl II. Mais
Henri III de Głogów n’avait aucune intention de laisser la Grande
Pologne lui échapper. En 1301, il se donna le titre de « Seigneur
du royaume de Pologne, duc de Silésie, maître de Głogów et de
Poznań ». Un conflit armé avec Venceslas II, roi de Bohême, qui
s’était fait aussi couronner roi de Pologne, semblait de plus en
plus inévitable. Henri III se fâcha quand Venceslas prit sous sa
protection les fils d’Henri V le Gros après la mort de leur oncle
Bolko Ier de Jawor en 1301. Malgré la tension extrême, la guerre
n’éclata pas, Venceslas II étant trop occupé à vouloir faire
monter son fils sur le trône de Hongrie. La mort de son frère
Conrad II le Bossu en 1304, lui permit d’annexer sans aucun
problème le duché de Żagań. La mort de Venceslas II en 1305,
suivie de celle de son fils l’année suivante, rendaient Henri III
maître de la situation en Grande Pologne.
Henri VI le Bon monta sur le trône de
Vratislavie et de Legnica. Majeur en 1310 il fut contraint, un an
plus tard et sous la pression de la noblesse inquiète de voir son
frère, le duc Boleslas III le Prodigue, placé à la cour de Prague,
dépenser sans compter, de partager son domaine avec ses deux frères.
Le duché fut divisé en trois morceaux : Vratislavie, Legnica et
Brzeg. Menacé constamment par ses frères cherchant une alliance
avec le maître de la Grande-Pologne et futur roi de Pologne,
Ladislas Ier le Bref, il finit, afin de pouvoir rendre son domaine
héréditaire et le faire passer à ses filles, par rendre un hommage
vassalique en 1324 à Louis IV de Bavière, l’empereur et de ce
fait, par déshériter son frère, Boleslas qui tenta de s’emparer
de la ville, bien défendue par ses fortifications. Son alliance avec
le Saint-Empire ne réussissant pas à maintenir son duché hors de
danger, Henri s’allia également avec Boleslas l’Aîné, le duc
de Niemodlin, à qui il donna sa fille Euphémie en mariage en 1325.
Un an plus tard, il conclut également une alliance avec l’Ordre
Teutonique dirigée contre Ladislas Ier le Bref, le principal allié
de son frère en Silésie. Finalement, sous la pression des
patriciens vratislaviens, Henri décida de rendre un hommage de
vassalité à Jean de Luxembourg, le roi de Bohême. Un accord fut
signé à Vratislavie le 6 avril 1327. En vertu de celui-ci, le duché était laissé à Henri VI jusqu’à sa mort. Ensuite, il reviendrait
au royaume de Bohême. En échange, Henri VI obtint en usufruit la
région de Kłodzko ainsi qu’une rente confortable. Au niveau de la
politique intérieure, Henri VI s’appuya toujours sur les puissants
patriciens pour gouverner. Ceux-ci obtinrent d’ailleurs de nombreux
autres privilèges. Les rapports du duc avec l’Église n’étaient
pas très bons. En 1319, il fut même excommunié pendant deux ans.
Henri VI le Bon est mort le 24 novembre
1335. Il fut inhumé dans la chapelle sainte Edwige du couvent des
Clarisses. Sans héritier mâle il laissait 3 filles de son mariage
avec Anne d'Autriche (maison des Habsbourg), fille de l'empereur
Albert Ier et veuve du margrave de Brandebourg.
Comme nous pouvons constater les liens
des Piast avec les maisons de l'Empire furent importants et de ce
fait les seigneurs silésiens subirent une influence germanique comme
c'était le cas de la noblesse tchèque et eurent des conséquences
sur le plan culturel et linguistique. L'allemand devenait la langue
des élites nobles mais aussi bourgeoises dans ces contrées, alors
qu'une partie des masses paysannes conservaient des parlers slaves,
et par conséquence le sort de la région fut logique quant à son identité
postérieure.
Le rôle des hommes de l’Église fut
d'encadrer et défendre certaines couches populaires encore slaves à
l'époque. Un exemple peut illustrer leur position de protecteurs
naturels face au pouvoir seigneurial germanisé. C'est le cas de
l'évêque Nanker Kolda (ou Nankier Kołda en polonais). Issu de la
noblesse silésienne de Bytom qui relevait du diocèse de Cracovie,
formé à l'université de Bologne, évêque de Cracovie et allié du
roi, Ladislas le Bref. Il se retrouva à Vratislavie (qui dépendait
de la province ecclésiastique de Pologne) en 1327 au moment du
conflit avec le pape d'Avignon, Jean XXII. Ce dernier avait envoyé
un légat-questeur afin de lever un impôt. Les chanoines
vratislaviens, appuyés par Henri VI s'opposaient au légat du pape
d'une part et étaient divisés quant à l'élection du successeur de
l'évêque décédé, Henri de Wierzbno. C'était une période de
tension entre les éléments culturels et ethnique différents
présents dans la ville (polonais, allemands, tchèques, wallons et
juifs) associés aux enjeux économiques et politiques. Les chanoines
exprimaient bien ces différences dans la référence à l'autorité
ecclésiastique, celle de l'archevêque polonais de Gniezno et à
l'arbitrage de la papauté. Nanker était perçu comme partisan de
l'attachement de Vratislavie aux Piast et à la couronne de Pologne.
Nommé évêque par le pape (avec certainement l'appui de Ladislas le
Bref qui avait envoyé de l'or pour obtenir la couronne royale en
1320), il devait juguler entre les intérêts de ses protecteurs
d'une part et ceux du prince Henri et du chapitre de la cathédrale
de l'autre. Déjà l'année suivante il dut faire face à la révolte
des bourgeois, soutenus par les ducs silésiens, qui refusaient de
payer les arriérés de la dîme exigés par la papauté. Le cortège
épiscopal se rendant à la cathédrale fut attaqué et Nanker dut fuir avec le légat à Nysa.
Excommuniée par l'évêque, menacée par le pape qui avait demandé
l'intervention des rois de Pologne, de Bohême et de Hongrie et de l'archevêque de Gniezno, Jakub Swinka, fervent partisan des intérêts
polonais, la ville se tourna vers l'empereur Jean de Luxembourg. Ce
dernier intéressé par l'héritage du Piast vratislavien, intervint
en se retirant du conflit et permit la levée de l'excommunication et
le retour de Nanker à la ville. Mais le véritable vainqueur du
conflit s'avéra le chapitre qui tout en acceptant de payer une
partie de la dette due à la papauté réussit à neutraliser le
pouvoir de l'évêque et de ses protecteurs polonais dans les liens
administratifs et culturels de la Silésie avec la métropole de
Gniezno.
Les principautés silésiennes au XIVe siècle
Légende: frontière de la Silésie
frontières des principautés vers 1315
frontières des principautés nées après 1315
capitales des principautés
principautés indépendantes des Piast
principautés vassalisées pat le roi de Bohême
A partir de 1329 le calme s’installa
dans le diocèse et Nanker s’efforça d’éviter d’inutiles
conflits avec la cour ducale. En 1331 il publia les statuts réglant
les questions liturgiques et paroissiales. On y trouve l’interdiction
de sanctifier le dimanche par les fidèles et dire la messe par le
clergé diocésain. Il tenta sans succès de récupérer les biens de
l’église vratislavienne perdus à l’époque de son prédécesseur
Henri de Wierzbno (1302-1319). Son influence en tant que pasteur
diminua au sein de la bourgeoisie germanophone locale qui n’hésita
pas à fonder ses propres écoles, indépendantes de l’emprise
épiscopale. En 1335 un autre scandale éclata provoquant la fuite du
nonce apostolique. La protection du roi de Bohême s’avéra être
un poids plus qu’un bouclier contre les attaques à l’égard de
l’Église et de son patron. D’autant plus que cette année-là le
duché passa définitivement sous la domination de Jean de Luxembourg
qui voulait s’assurer le rôle du seigneur des biens terrestres
mais aussi des âmes de ses sujets. Une opposition ecclésiastique
sous l’égide de l’évêque constituait un ballast inutile sur le
chemin de l’unification complète des terres silésiennes
fraîchement acquises à la couronne tchèque au sein de l’Empire
germanique. La bourgeoisie incitée n’avait pas l’intention de
payer au pape l’impôt qu’il était dénoncé en Europe car
éloigné des principes chrétiens de pauvreté. La bourgeoisie
silésienne voyait en évêque polonais l’exécutant les décisions
venant de Rome et de Gniezno, sa métropole située dans le royaume
de Pologne, centres les plus éloignés de l’activité politique du
roi de Bohême. L’opposition des marchands silésiens et la lenteur
dans le soutien des bourgeois vratislaviens, faisait perdre au
diocèse les revenus et l’importance de l’évêque. En 1337 Jean
de Luxembourg faisait publier une loi limitant la juridiction
ecclésiastique. A partir de là tous les contentieux entre la ville
et l’Église devaient être présentés d’abord devant les
conseillers municipaux issus du patriciat urbain. L’exigence du roi
concernant le château de Milicz (à 45 km au Nord-Est) qui était le
bien du chapitre de la cathédrale provoqua l’anathème lancé par
Nanker contre le roi qui répondit par les persécutions de l’Église
vratislavienne ce qui provoqua la division au sein du clergé
séculier et surtout régulier. De plus, le prince-évêque refusa
de rendre l’hommage vassalique au roi pour le duché de Nysa et
Otmuchów (propriété des évêques vratislaviens depuis la fin du
XIIe siècle). Dans ce contexte de tension mourut en 1341 l’évêque
défenseur des intérêts polonais en Silésie. Le processus de
germanisation était en marche. Les habitants de ville, les membres
de dynasties régnantes et le clergé en bonne partie optèrent pour
la culture et la civilisation germaniques par le biais et à l’image
de ce qui s’était déjà accompli au royaume de Bohême.
La personne de Nanker, ancien évêque
de Cracovie, s’avéra tragique dans l’histoire de la Silésie.
D’une part bon administrateur, ascète désirant le renouvellement
moral et spirituel du clergé et de toute la communauté locale de
l’Église et d’autre part, étranger et ignorant la complexité
des relations dans la capitale silésienne. Son protecteur, lui-même
(roi de Pologne, Ladislas le Bref), rencontra la même opposition de
la bourgeoisie silésienne et de ce fait renonça à reprendre la
province mais en le faisant nommer il avait espéré peut-être ralentir le
processus de rupture de la Silésie d’avec la couronne de Pologne.
Il est intéressant de constater que
dans le conflit entre l’Église et le roi le groupe le plus riche
de la ville, à savoir, le patriciat joua le rôle prépondérant,
intéressé par la liberté de commerce et les profits que cette
liberté lui apporterait. Il refusait l’obéissance à l’Église
et ses exigences morales véhiculées par son chef. C’est cette
partie de la société urbaine qui allait décider dorénavant du
pouvoir en Silésie en fonction des franchises et privilèges anciens
confirmés ou nouveaux. Il lui était étrangère l’idée de
défendre la cause polonaise et de la dépendance de Gniezno, elle
n’avait aucun intérêt de payer l’impôt au pape et de lier son
sort à la Pologne où le rôle de la noblesse devenait prépondérant,
de surcroît celle de la Petite-Pologne.
Nanker est devenu un symbole dans
l’historiographie polonaise. Les partisans du retour de la Silésie
à la mère-Patrie l’ont évoqué à plusieurs reprises. Son image
subit une sorte de simplification voire d’oubli au cours de
l’histoire par peur de découverte de la complexité et de la
confusion des enjeux réels de son époque. Jusqu’à la Réforme
aucune personnalité comparable ne fut placée sur la chair
épiscopale vratislavienne. C’est peut-être une des raisons de la
victoire du protestantisme dans la cité qui était devenue de
culture et langue allemandes. Son tombeau se trouve dans l’église
de Sainte-Croix sur l'Ostrów Tumski.
La dynastie des Piast s'étant éteinte
en 1335 avec la mort d'Henri VI le Bon, le duché de Vratislavie fut annexé par la Bohème.
Le dernier des Piast de Silésie, Bolko II, seigneur
indépendant de plusieurs duchés silésiens et de Lusace, mourut en
1364 et sa femme, Agnès de Habsbourg qui en avait reçue l'usufruit,
administra les deux derniers duchés silésiens indépendants alors
qu'il était question de faire passer l'héritage de son mari au roi
de Pologne Casimir III le Grand et à sa mort l'ensemble de la
Silésie se retrouva dans le giron de la couronne de Bohême des
Luxembourg devenus, depuis Charles IV, empereurs.
Sous la couronne de
Bohême (1335 – 1526)
La domination tchèque (Prague devint
le « nombril du monde » par le fait de la fonction de
résidence impériale des Luxembourg) permit à la ville le
développement rapide. En 1362 l'hôtel de ville (Ratusz de
l'allemand Rathaus) se dota d'une horloge sur la tour et en 1387, de
son premier système d’adduction d'eau. En 1387 Vratislavie devint le
membre de la puissante Ligue hanséatique. Profitant de la situation de
carrefour de routes menant vers l'Est via Cracovie, à Léopol,
jusqu'à Kiev et au-delà vers la Chine, et au nord vers la mer
Baltique, espace de prédilection de la Ligue. Elle connut un essor
économique exceptionnel et put achever sa cathédrale gothique.
L'importance des revenus puisés du commerce est attestée par les
faits. En 1381 l'évêque de Wretslaw (nom en tchèque médiéval)
excommunia toute la ville en réponse à la saisie du chargement de
barriques de bière destiné à un chanoine du chapitre de la
cathédrale qui avait été ordonnée par les magistrats. Ces
derniers considéraient ce transport comme une atteinte à son
monopole de vente. Même l'intervention sur place de Venceslas IV
(fils de Charles IV de Luxembourg) ne fit pas céder l'évêque. Le
roi fâché autorisa alors le saccage des maisons ecclésiastiques sur
l'Ostrów Tumski («guerre de la bière», 1380-1382) par ses
courtisans et les bourgeois de la ville.
Une insurrection des
artisans de Neumarkt ("Nowy Targ") éclata en 1418 (elle
prit naissance dans l'église Saint-Clément, église polonaise de la
ville) contre la politique d'exploitation fiscale du conseil
municipal (Stadtrat). L'hôtel de ville (Rathaus) fut envahi par une
foule menée par les bouchers et des tisserands. Des membres du conseil furent
décapités ou défenestrés du haut de la tour. Le chroniqueur parle de la "populace démente",
qui, dans son espièglerie récalcitrante, a complètement dépassé les frontières. Il était difficile de ne pas les dépasser lorsque
le conseil fouilla à nouveau dans leurs poches. Bien sûr, il l'a fait le cœur
lourd, "pour le bien et le bénéfice communs, pour des raisons profondes et
sérieuses", comme l'a expliqué Nicolaus Pol, l'auteur de "Jahrbücher der Stadt Breslau". La dette de la ville était de dix fois son budget annuel
et les intérêts représentaient 86 % des revenus de Vratislavie. Malheureusement, le (peuple) souverain a fait preuve
d'un égoïsme extrême et non seulement ne voulait pas payer, mais a décidé
également de scier les conseillers de leurs sièges. Car continuaient d’être élus
« les personnes aux noms connus ou celles qui ne s’occuperont pas des affaires
de la ville et plus particulièrement des pauvres et riches » comme a
remarqué le roi Venceslas (IV).
Comme l'écrit Nicolaus Pol, les insurgés ont occupé l’hôtel
de ville pendant cinq jours, détruisant des documents, volant le trésor et
libérant des prisonniers pour dettes. Cependant, le changement n'est pas
permanent - il n'est pas difficile d'accéder au pouvoir, mais de le conserver -
et après deux ans, tout était revenu à la normale. Le roi Sigismond de
Luxembourg a montré qu'il était également partisan des coupes rapides et a
ordonné de décapiter les rebelles. La liste des condamnés énumère leurs professions. Il
s'agit notamment d'un boucher, d'un maçon, du jeune serviteur d'un tailleur,
d'un laboureur, d'un tisserand, d'un fils de peintre, d'un fabricant d’aiguilles,
d'un vigneron et d'un tanneur. Leurs têtes coupées ont été enduites de goudron,
montées sur des piques et exposées sur les murs de la ville, et leurs corps ont
été enterrés dans des tombes sans nom dans le cimetière entourant l'église
Sainte Elisabeth. Tous ceux qui entraient dans le temple devaient fouler les
tombes des rebelles afin de bien se souvenir du principe : "qui lève la
main contre le pouvoir...".
Durant le règne de Sigismond Ier
(autre fils de Charles IV) la région souffrit des effets des guerres
hussites provoquées par le conflit entre les partisans tchèques de
Jan Hus (condamné pour hérésie au concile de Constance en 1415)
et le roi catholique, soutenu par les habitants de la Silésie, de la
Lusace et d'une partie de la Moravie.
En 1453 la ville vit arriver le
prédicateur et l'inquisiteur Johannes Capistranus qui y tint
quelques discours enflammés contre les hussites, les musulmans et
les juifs, contre la luxure et autres péchés capitaux. De grandes
foules vinrent de différentes parties de l'Europe : les
pèlerins de Silésie et d'autres provinces de l'Empire, de Pologne,
de Livonie et de Courlande. Sur ordre de la chancellerie du roi de
Bohême, Ladislas Ier le Posthume (1453-1457) l’inquisiteur
examina le cas de la profanation d'hostie indiquée par un paysan. En
mai on soumit à la torture 318 juifs afin d'en extorquer les aveux.
L'inquisiteur fit brûler sur le bûcher 41 d'entre eux pour éprouver
les autres. Leurs biens furent confisqués et inventoriés. C'est la
première mention de pogrom dans cette ville dont le but fut
clairement économique: effacer les dettes contractées par les
chrétiens auprès des juifs. Et en 1455 leur expulsion fut prononcée
suite au privilège «de non tolerandis Judaei» accordé par le roi
(et resté de jure en vigueur jusqu'en 1744) qui interdisait aux
Juifs de vivre et d'exercer un commerce dans la ville. Les habitants
de Vratislavie s'opposèrent huit ans plus tard au régent hussite du
roi de Bohême, Georges de Poděbrady, élu roi, lui-même, par la
Diète tchèque en 1457 suite à la mort du jeune Ladislas et
demandèrent la protection du pape Pie II. Pendant la guerre de
Bohême la ville forma une alliance avec le roi de Hongrie Matthias Ier Corvin suite à laquelle la Silésie fut rattachée à la
couronne hongroise.
De 1469 à 1490 Wretslaw ainsi que toute la
Silésie firent partie de la couronne hongroise (Matthias Corvin Ier
étant élu roi de Bohême en 1469) qui renforça, avec une
nouvelle juridiction, l'administration de la province alors que la
ville se retira en 1474 de la Ligue hanséatique. Entre 1490 et 1513
elle mena une guerre douanière contre la Pologne et principalement
contre la ville de Cracovie.
C'est en 1493 que fut publiée la
première illustration de la ville dans les Chroniques de Hartman Schedel (humaniste de Nuremberg) contenant des gravures de villes
allemandes réalisées par Michael Wohgemuth (maître d'Albert Dürer)
et Wilhelm Pleydenwurff, imprimées et publiées par Anton Koberger.
Après la mort de Matthias Corvin en
1490 l'évêque de Wretslaw et les seigneurs silésiens acceptèrent
comme suzerain Vladislas de Jagellon, le nouveau roi de Hongrie et de
Bohême (depuis 1471) et la ville retourna dans l'obédience du
royaume le Bohême. Le fils et l'héritier de Vladislas, Louis (né
en 1506), fut couronné roi de Hongrie en 1507 et de Bohême en 1509.
Adopté par Maximilien Ier de Habsbourg et marié à sa petite-fille,
il mourut en 1526 lors de la bataille de Mohacs contre les Turcs.
Aux environs de 1500, la Silésie, avec
Wretslaw en particulier, était un centre important de l'humanisme de
l'Est européen avec sa littérature et son art, son commerce et son
développement urbain. C'est alors que l'hôtel de ville devint le
symbole représentatif des bourgeois vratislaviens. Tout cela
préparait la base à la réforme religieuse qui vint de la Saxe. En
1517 les pasteurs protestants vratislaviens comme le docteur de
théologie Johann Hess (ancien collaborateur de l'évêque Jean Turzon, savant et humaniste),Georges Sauermann, Ambroise Moiban
nouèrent des relations étroites avec Martin Luther. On imprima ses
sermons et écrits dans la ville, pendant que le conseil municipal
soutint les principes de la Réforme en limitant efficacement les
revenus et l'influence des ecclésiastiques catholiques sur le
territoire soumis à sa juridiction. Finalement, le luthéranisme
parvint à s'installer au sein de la population, en majorité
allemande. Vratislavie devint luthérienne sans grands
bouleversements ni combats acharnés contre le clergé catholique,
grâce à l'attitude du successeur de Jean Turzon, l'évêque Jacob von Salza qui, cédant aux exigences du conseil, voulait préserver
l’Ostrów Tumski (l'île de la Cathédrale) du protestantisme. En
1523, le pasteur Johann Hess dirigeait le premier office protestant
de la ville en l'église de la Madeleine.
Carte de la Silésie de Helwig, Martin, 1516-1574
Sous l'administration
des Habsbourg (1526 - 1741)
Ainsi la mort du jeune roi Jagellon
ouvre une nouvelle période qui associe l'histoire de la ville à
celle de la dynastie la plus puissante en Europe dont le représentant
le plus connu n’est que Charles Quint.
Les habitants de la ville (22000 au
milieu de XVIe siècle), même si certains avaient des ancêtres
polonais, utilisaient désormais tous la langue allemande au début
du XVIe siècle et se convertirent, dans leur écrasante majorité,
au protestantisme luthérien. La Contre-Réforme catholique menée
par la couronne autrichienne, appuyée par les Jésuites qui
s'installèrent au collège Saint Matthias, tenta de renverser le
rapport de force.
Durant des siècles la Silésie
conserva le caractère multiethnique. Encore au début du XVIe le
premier géographe silésien et le chroniqueur vratislavien,
Bartolomeus Stenus (Stein), dans l'ouvrage intitulé „Descriptio
Totius Silesiae” écrivait: «Cette terre est habitée par deux
nations différentes par leurs mœurs et la terre qu'elles occupent,
celle plus fertile au sud et à l'ouest est habitée par les
Allemands et celle couverte par les forêts et plus pauvre et
inhospitalière est détenue par les Polonais». Cette tradition se
maintint et malgré une germanisation progressive de la Silésie,
les territoires au nord de l'Oder étaient appelés
traditionnellement „die Polnische Seite” (partie polonaise).
Ferdinand, nouveau roi de Bohême,
arriva dans la ville en mai 1527 dans le but de recevoir l'hommage
vassalique et dès le début il exigea des échevins l'élimination
de l'hérésie luthérienne, la restitution des biens ecclésiastiques
confisqués et l'expulsion des pasteurs. Face à leur refus et la
menace de l'abandon de la ville par la population protestante le roi
laissa tomber ses exigences. Comme la ville faisait partie, à la
fois, du royaume de Bohême et de l'Empire, et comme son frère,
Charles Quint, était occupé par la guerre des Paysans allemands à
caractère religieux et social, le calme dans la ville parut aux
Habsbourg indispensable. L'évêque Jacob Salza contribua à
maintenir la paix en cédant sur une partie de revendications y
compris ses droits sur l'église de la Madeleine. Le clergé
catholique était déjà sur la défensive et ne se maintenait que
sur l’OstrówTumski et dans quelques couvents. Même les couvents
des chanoines réguliers de Sainte-Marie-sur-le-Sable et du Corpus
Christi des Jacobites avaient été confisqués. Ferdinand avait
aussi intérêt à calmer le jeu car il prétendait à la couronne
hongroise dont les territoires étaient menacés par les armées de
Soliman le Magnifique. L'armée ottomane s'abattit en 1529 sur
Presbourg (Bratislava aujourd'hui) et menaça Vienne puis en 1541 les
Turcs s'emparèrent de Buda et occupèrent toute la Hongrie. Le
fardeau de défense de la chrétienté reposait sur les Habsbourg.
Ainsi, durant le règne de Ferdinand (1526-1564), les villes
silésiennes dont Breslaw (nom autrichien de Vratislavie) ,
renforcèrent leur système de fortification.
Dans ce contexte le roi abandonna
définitivement ses exigences en échange des crédits que la riche
ville pouvait lui fournir. Pour souder certains patriciens il leur
offrit la noblesse contre une large somme d'argent. Les échevins en
profitèrent pour détruire le couvent (ancien monastère bénédictin
Saint-Vincent) des Norbertins sur Olbin qui pouvait constituer un
bastion pour les assiégeants turcs. Il fallait, par ailleurs,
liquider cette enclave catholique pour l’utiliser comme carrière
de pierres avec lesquelles on pava le sol du Neumark (Nowy Targ). Son
portail romain fut transféré et monté sur le côté sud de
l'église de la Madeleine.
Vratislavie possédait depuis le XIVe
siècle un blason établi à la cour de Charles IV. Il était composé
de quatre champs: deux représentants la tête de Jean Baptiste sur
un plateau rond et deux autres occupés par un lion couronné
tchèque. Le 12 février 1530 la chancellerie pragoise du roi de
Bohême et de Hongrie dressa l'acte héraldique qui
instituait le nouveau blason de la ville (où l'on retrouve les deux
éléments de l'ancien blason auxquels on ajouta un aigle noire, le
buste du jeune saint et la lettre W), et le 10 juillet 1530,
l'empereur Charles Quint le confirma ainsi que d'autres privilèges
commerciaux et de propriété immobilière ainsi que la préséance
politico-juridique sur la noblesse du duché. Ces privilèges, peu ou
pas appliqués, s'opposaient de fait à la politique de
centralisation et d'incorporation de ces terres à la Bohême et
autres possessions autrichiennes (en 1546 le taller autrichien fut
introduit en éliminant, non sans résistance, le ducat polonais ou
encore Magdebourg cessa d'être le siège d'appel juridique de villes
au profit de Prague l'année suivante). La Silésie recevait le
système de l'administration d'origine hongroise qui soumettait le
pouvoir des princes et des parlements locaux au pouvoir royal. Ce
dernier avait déjà ordonné le premier recensement immobilier en
1527, base d'une nouvelle fiscalité.
Carte de la Silésie de 1561
En 1557 le roi, devenu empereur,
interdit les assemblée des corps de métiers, mesure certes annulée
peu après mais qui symbolisait la perte progressive des privilèges
de l'époque des Piast et qui marquait le pas dans l'incorporation de
la ville, appelée Breslaw sur la carte ci-dessus, et de la province dans la politique générale du
Saint-Empire alors que les relations avec le royaume de Pologne
devenaient conflictuelles sur le plan commercial. L'artisanat en fut
la principale victime. Néanmoins certaines maisons de commerce
surent profiter de la position de carrefour entre la ville de
Nuremberg et le royaume des Jagellon. C'est le cas de la maison von
Popplau dont un représentant, anobli, s’était fait connaître par
son voyage entrepris à la fin du XVe à travers toute l’Europe
occidentale [cf. L'étranger à la Cour. Nicolas de Popplau en
voyage à travers l'Europe (1483-1486) par Werner Paravicini].
Les Fugger et les Boner y installèrent leur représentant comme les
marchands de Cracovie, Toruń et Léopol. Le bétail, les chevaux,
les draps et les outils en fer dominaient, les foires offraient une
gamme de produits d'artisanat et de commerce lointain, et les
patriciens vratslaviens investissaient les gains, avant tout, dans
l'acquisition de terre, ce qui permettaient à certains de se faire
anoblir, mais aussi dans l'industrie minière d'argent et de plomb.
La ville même investissait de la sorte en achetant les villages des
alentours dont la rente permettait de renflouer les caisses
municipales.
Maximilien, fils de Ferdinand et d'Anne
Jagellon, deux fois candidat au trône polonais chercha l'appui des
patriciens vratslaviens qui lui servirent d'intermédiaires avec
l'oligarchie nobiliaire du royaume et lui fournirent des soldats.
Sous l'empereur Rodolphe II (1576-1612)
une polarisation politico-religieuse s’était introduite et toute
la structure culturelle ou religieuse voire le statut personnel
dépendait de l'appartenance confessionnelle. Cet état de choses se
maintint sous les règnes de Ferdinand II (1619-1637) et Léopold Ier
(1685-1705). Deux sociétés parallèles fonctionnaient alors dans la
ville : les protestants aux mains desquels était le pouvoir
communal et les catholiques dont l'évêque jouissait de sa propre
juridiction dans son diocèse et par conséquent dans les paroisses
urbaines comme celle de saint Maurice dont l'église était
fréquentée par les habitants polonais des villages proches de la
ville. C'est seulement pendant l'occupation suédoise de 1663-65 que
le bâtiment fut transformé en temple luthérien qui, après le
départ des Scandinaves revint à ses fidèles.
La fin du siècle d'or correspond au
commencement de la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui bien qu'elle
ne détruisît pas la ville directement, endommagea fortement ses
environs. Les armées suédoise, saxonne ou impériale ravagèrent et
pillèrent la région. En 1618, par exemple, Jean-Georges de Saxe permit, à ses 3000 soudards levés en Silésie, le
saccage des faubourgs afin d'éviter la rébellion de ses
troupes (cf. Henri Sacchi La guerre de Trente Ans, A l'ombre de
Charles Quint. Harmattan 2003). Les maladies et les épidémies
de la peste décimèrent la population. Il fallut un siècle pour
qu'elle retrouvât son niveau d'avant.
La ville se redressa lentement après
les traités de Westphalie et vit l'extinction des dernières lois
instaurées par les Piast, en 1675. La monarchie des Habsbourg, qui
avait hérité pleinement la ville au XVIIe, tenta de reconvertir la
population au catholicisme. Partout où l'empereur était le monarque
souverain (duchés héréditaires) le catholicisme devint la religion
d’État, là où les princes silésiens d'origine des Piast
n'étaient pas membres de l'Empire dont Presslaw (Vratislavie), la confession
d'Augsbourg jouissait de la pleine liberté. Ses représentants
recevaient le droit de sortie afin de se rendre aux lieux de culte
protestant qui pouvaient leur servir de refuge.
Pour des raisons politiques et
religieuse la fondation d'une université locale s'avéra impossible
ainsi beaucoup de jeunes Silésiens entreprirent les études dans les
universités en Allemagne et ailleurs. Les élites disposaient de
larges vues et possédaient une bonne connaissance des tendances
culturelles de leur époque et de l'état de recherches
scientifiques. Certains parmi les intellectuels silésiens faisaient
partie d'importants cercles littéraires baroques de l'Allemagne dont
la Zweite Schlesische Schule (Andreas Gryphius, Hans Aßmann Freiherr
von Abschatz, Daniel Casper von Lohenstein, Christian Hoffmann von
Hoffmannswaldau), Martin Opitz (père de la poésie baroque
allemande), Angelus Silesius ou encore Johann Christian Günther
(précurseur du Sturm und Drang).
Silésie autrichienne, carte de 1710
Le temps de la reconstruction apporta
une certaine compétition entre les artistes (peintres, sculpteurs ou
architectes). L’Église catholique y contribua en faisant venir des
artistes étrangers qui transformèrent la Silésie en pays baroque.
On peut signaler ici les églises luthériennes de Jelenia Góra
(Hirschberg im Riesengebirge) et de Kamienna Góra (Landeshut in
Schlesien) ou le bâtiment du collège jésuite dont le chef d'œuvre
est l'Aula Leopoldina à Vratislavie. L'empereur Léopold II offrit,
en 1702, à la ville son Academia Leopoldina ce qui fut, plus tard,
le point de départ de la fondation de l'université.
La mort de Charles VI (1711-1740) et
l'avènement sur le trône de sa fille, Marie-Thérèse ouvrit la
période des guerres de Silésie qui débuta en 1740. Profitant de
l’affaiblissement de Vienne, dès le 16 décembre, sans déclaration
de guerre, Frédéric II de Prusse envahit la région avec une armée
de 100 000 hommes. Il gagna difficilement la bataille de
Mollwitz près de Brieg (Brzeg en polonais) en avril 1741. La France
s'allia à la Prusse en juin 1741 et son armée pénétra en
Allemagne. Pour diviser ses adversaires et isoler les Français,
Marie-Thérèse Ire de Hongrie passa un accord secret avec Frédéric
II, elle lui cédait la Silésie et en contrepartie celui-ci se
retirait de la guerre.
Le 14 décembre, donc deux jours avant
le début de la guerre, les habitants de Vratislavie s’étaient
soulevés contre les Autrichiens et le 3 janvier le roi prussien fit
une entrée solennelle dans la ville.
La paix signée à Vratislavie du 11
juin 1742 fut confirmée par le traité de Berlin en juillet, qui
conclut la première guerre de Silésie. La partie Sud de la Silésie
(avec Jägerndorf/Karniow, Troppau et Cieszyn/Teschen/) restait sous
le contrôle des Habsbourg et fut appelée Silésie bohémienne, puis
en 1849 Silésie autrichienne. Une petite partie de la Silésie
polonaise (Oświęcim, Zator, Żywiec et Siewierz) ne fut pas
impliquée dans cette guerre.
Frédéric II, inquiet des succès
autrichiens contre la France et la Bavière qui furent repoussés de
Vienne et de l’alliance avec la Russie et la Saxe hésitante (son
monarque était Frédéric Auguste II, roi de Pologne en même
temps), envahit la Bohême en juin 1744 et battit les Autrichiens
lors de trois batailles en 1745. Les conditions étaient réunies
pour que Frédéric et Marie-Thérèse conclussent le traité de
Dresde, le 25 décembre 1745 : Frédéric conservait la Silésie et
reconnaissait l’époux de Marie-Thérèse, François de Lorraine
comme empereur. C'est la fin de la deuxième guerre de Silésie. La
paix signée donnait à la Prusse deux riches provinces (la Haute et
la Basse-Silésie) ce qui lui permettait de doubler pratiquement la
population du royaume de Prusse.
Néanmoins une troisième guerre fut
nécessaire pour confirmer définitivement l’appartenance de la
région à la Prusse. Cette guerre faisait partie du conflit plus
large de la guerre de Sept Ans entre l'Autriche, la Russie, la
France, l'Espagne, la Saxe, la Suède et de nombreux États allemands
d’une part et la Prusse, la Grande-Bretagne (dont le roi était
également électeur de Hanovre) et d'autres États allemands, de
l'autre. Les Autrichiens tentaient de reprendre la Silésie pour la
deuxième fois et Frédéric II choisit de mener une attaque
préventive, en août 1756. Sans déclaration de guerre, il envahit
la Saxe et la vainquit. Puis il attaqua la Bohême et prit Prague en
mai 1757, mais peu après les Autrichiens lui infligèrent une
défaite à Kolin. Il dut évacuer la Bohême et ses ennemis se
déployèrent en Silésie.
Frédéric Il parvint à regrouper ses
forces et remporta d'abord la bataille de Rossbach sur les Français
le 5 novembre 1757. Mais les Prussiens, victorieux à l'ouest,
étaient gravement menacés par l'avance autrichienne à l'est. Le 22
novembre 1757, près de Vratislavie, l'armée autrichienne de Charles
de Lorraine, forte de 84 000 hommes, livra une bataille dure et
indécise pendant toute la journée aux 28 000 hommes du général
prussien, le duc de Brunswick-Bevern. Le jour suivant, les Prussiens
battirent en retraite vers Glogau (Głogów) et Brunswick fut capturé
par les Autrichiens. La ville, défendue par une garnison prussienne
commandée par Johann Georg von Lestwitz, fut assiégée par l’armée
autrichienne de Franz Leopold von Nádasdy. La population civile
était favorable aux Autrichiens et Lestwitz décida de l’expulser
de la ville, mais il était aussi confronté à des désertions
massives dans ses propres troupes. Il dut capituler le 25 novembre
1757 contre la permission de quitter la ville avec ses hommes, mais
il ne lui restait plus que 599 hommes sur 4 227 à son arrivée à
Glogau, tout le reste ayant déserté.
La perte de la Silésie fut un coup dur
pour Frédéric II car cette province était une source importante de
financement et de recrutement : il décida de la reconquérir coûte
que coûte. La victoire de Leuthen le 5 décembre 1757 puis celle de
Luna le lui permirent. Mais les Russes atteignirent l'Oder en juin
1758 et les Autrichiens battirent les Prussiens à Hochkirch en
octobre 1758 et surtout à Kunersdorf en août 1759, et ils
occupèrent la Saxe. Les victoires de Leignitz (Legnica) et Torgau
sur les Autrichiens permirent aux Prussiens de reprendre
l’initiative. En regroupant ses forces contre l'Autriche, Frédéric
réoccupa la Silésie et obligea Marie-Thérèse à signer le traitéde Hubertsbourg, le 15 février 1763. La Prusse conservait à nouveau
la Silésie et ce, jusqu'en 1945.
De la Prusse à
l'Allemagne (1741 – 1945)
Les guerres de Silésie n'endommagèrent
que faiblement la ville, mais son annexion par la Prusse signifiait
la perte de tous les privilèges (pour les villes et le parlement
local) acquis durant l'appartenance à la couronne de Bohême ce qui
constituait une rupture profonde avec le passé de la province. En
contrepartie, Breslau (Vratislavie) reçut le titre de ville royale, faisant d'elle
(après Königsberg et Berlin) la troisième résidence royale, (all.
Königliche und Residenziale Hauptstadt Breslau). La population fut
libérée du service militaire. Reconstruite, bien administrée voire
choyée (le roi prussien la visita plusieurs fois en distribuant des
conseils) la province devint un modèle et commença à rapporter des
revenus importants. Les idées des Lumières y furent introduites et
l'ensemble de la population adhéra au nouveau pouvoir d'autant plus
que même les paysans y trouvèrent la protection juridique sans
parler des commerçants, des artisans et des manufacturiers. La
supériorité de la civilisation prussienne se faisait sentir au
quotidien. Le catholicisme perdit son statut de religion d'Etat mais
la monarchie calviniste pratiquait une politique de tolérance à
l'égard des autres confessions.
Cette politique de réforme fut
adoptée aussi par l'Autriche, dirigée par le Silésien, comte Haugwitz et aboutit aux grandes réformes du règne de l'empereur Joseph II. Les réformes en Prusse furent poursuivies par les
ministres Stein et Hardenberg sous le règne de Frédéric-Guillaume III (1797-1840) dans un Etat confronté à la France conquérante du
Directoire et de Napoléon.
En 1806, François II, devant l'avancée
de la Grande Armée de Napoléon déposait son titre impérial, ce
qui mettait fin au Saint-Empire romain germanique. Entre 1806 et 1808
sur ordre des troupes napoléoniennes qui occupaient la ville, on
détruisit les murs d'enceinte de la ville. Ce fut un atout
considérable pour son futur développement, auquel contribue
également le retour des élections générales libres pour élire le
conseil municipal en 1808. La fusion en 1811 du collège jésuite
(Leopoldina) et de l'université protestante de Francfort-sur-Oder
(Viadrina) transférée à Breslau donna naissance à l'université
de Breslau qui comptait alors cinq facultés. (Universitas Litterarum
Wratislaviensis). Frédéric Guillaume III de Prusse y prononça un
discours en 1813 resté fameux : «An mein Volk» («à mon
peuple») qui donna le signal pour rejoindre les troupes russes et
combattre Napoléon. En 1821, le pape Pie VII soumit l'évêché de
Breslau à la tutelle directe du Saint-Siège.
Silésie en 1849, plans de quelques villes dont Breslau
Le XIXe siècle concrétisa l'essor
rapide de la ville et de son industrie: la mise en service en 1840 de
la première ligne d'omnibus et deux ans plus tard de la ligne dechemin de fer Breslau - Ohlau (aujourd'hui Oława), rapidement
prolongée vers la Haute-Silésie (Górny Śląsk), où elle fut
reliée à la ligne Varsovie-Vienne, en sont des exemples. En 1856,
la ville se dota de la plus grande gare d'Allemagne, construite par
l'architecte Wilhelm Grapow dans le style néo-gothique, très prisé
à cette époque-là. Dix ans plus tard, le même conçut une autre
gare moins spectaculaire, mais très importante, car reliant la ville
au nouveau bassin industriel du royaume, la Haute-Silésie, alors que
la première gare datant de 1843 fut reconstruite selon les plans de
l'architecte Karl Lüdecke dans un style plus classique comme le
bâtiment de l'Opéra de 1841.
En 1871, Breslau devint la sixième
ville de l'Allemagne unifiée en un nouvel Empire et un centre
industriel de première importance; sa population tripla entre 1860
et 1910 pour atteindre le demi-million. Une fièvre immobilière
s'empara au sein du conseil municipal et des entrepreneurs privés.
De nouveau quartiers virent le jour au-delà de la vielle ville avec
d'élégants immeubles pour les classes aisées comme le faubourg
de Nicolas dont l'axe principal était la voie royale menant à
Berlin transformée en rue la plus élégante de la ville et portant
le nom de Friedrich-Wilhelm-Straße (ulica Legnicka aujourd'hui)
détruite en 1945 et non reconstruite. On y vit apparaître dès 1877
les premiers tramways à traction animale puis en 1893 à traction
électrique (première ligne de tramways électriques sur le
territoire de Pologne dans les frontières actuelles).
En 1900 avec ses 422709 habitants
Breslau était cependant la cinquième ville allemande. En 1905 les
protestants constituaient 57,5% et les catholiques 36,6%, de sa
population. En 1910, lors du recensement, 95,71% déclaraient
l'allemand comme langue maternelle, 2,95%, le polonais, 0,68% le
tchèque et 0,67 l'allemand et le polonais.
Province prussienne de Silésie en 1905
L'année 1905 fut celle de la terrible
inondation de l'Oder, ce qui eut pour conséquence le début des
travaux d'aménagement des canaux. Deux ans plus tard une autre
catastrophe s'abattit sur la vieille ville : un incendie géant
ravagea le cloître du couvent des Ursulines et sa tour de 65m.
En 1913, la ville célébra le
centenaire de la victoire sur les troupes napoléoniennes en
inaugurant la Jahrhunderthalle (Halle du Centenaire), dans laquelle
se tint une exposition pangermanique. On construisit également à
cette occasion le Kaiserbrücke (pont de l'empereur, aujourd'hui most
Grunwaldzki (pont de Grunwald ou Tannenberg) et on créa l'Ecole
polytechnique.
En 1919 la province fut divisée en
deux : la Haute et la Basse-Silésie dont Breslau devenait la
capitale et Felix Philippe, membre du SPD, son Oberpräsident. En
1921 le SPD atteignait la majorité absolue avec 51,16% des voix lors
des élections locales alors que le Zentrum obtenait 20,2%, le DVP –
11,9%, le DDP – 9,5% et la KPD – 3,6%.
Breslau en 1920
Le 1 avril 1928 la ville, en annexant
les communes rurales environnantes, s'agrandissait pour atteindre la
superficie de 175 km2 et devenir la 8e des grandes agglomérations du
Reich. Les années 1920 furent une période faste pour l'architecture
moderne de Breslau. On y construisit entre autres les grands magasins
de Petersdorf-Erich Mendelsohn (aujourd'hui DT Kameleon) ainsi que le
Wertheim de H. Dernburg (aujourd'hui DT Renomma).
La ville se dota d'un complexe sportif occupant 152000 m2 de terrain à l'est. Le projet fut conçu par Richard Konwiarz en 1924/25 dont la réalisation fut confiée au début à Max Berg puis à Fritz Behrendt, Hugo Althoff et Günther Trauer. La réalisation du projet pour lequel R.Konwiarz reçut la médaille de bronze lors des Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932, se prolongea jusqu'aux années 1930. C'est suite à la prise du pouvoir par les nazis que le complexe fut utilisé pour les grandes manifestations de masse.
Le diocèse de
Breslau, soumis à l'autorité papale depuis 1821, fut élevé au
rang d'archidiocèse en 1929.
Les frontières de la Silésie entre 1815 (1920) et 1945
La période nazie (1933-1939)
Au début des années 1930 Breslau
était une métropole régionale comptant 625 000 habitants mais
aussi 25% de chômeurs. La crise économique se manifestait aussi
comme ailleurs en Allemagne par la polarisation des extrêmes
politiques et leur usage de force, en particulier par la terreur des
SA. La ville était une forteresse du NSDAP et déjà dans les années
1920 les nazis obtenaient les résultats supérieurs à la moyenne
nationale alors que le SPD perdait ses électeurs. Après la prise du
pouvoir par Hitler, lors des élections au Reichstag en mars 1933 le
NSDAP reçut l'adhésion de la majorité de ses habitants (51,7%).
Une vague d'arrestations et de déportations s'abattit sur la ville
et les opposants au régime se trouvèrent dans le camp de Dürrgoy
(Tarnogaj aujourd'hui) au sud de la ville.
Le 10 mai commença un événement
appelé par la presse locale «grande action de nettoyage» et de
«purification de l'esprit germanique» qui fut inauguré par une
cérémonie dans le bâtiment de l'Université. Le défilé
d'étudiants et d'enseignants se dirigea vers la place Royale (plac
Wolności aujourd'hui) où les participants «versèrent 85 quintaux
de littérature interdite» qui furent transformés en bûcher et le
lendemain la presse parlait du «rejet symbolique de tout ce qui est
différent et d'origine étrangère» et de la «destruction des
œuvres qui empoisonnent l'âme de la nation allemande». Les cinq
théâtres existants furent nationalisés cette année-là et leurs
employés non aryens, renvoyés. La censure établie écartait du
répertoire tout auteur «juif» ou «marxiste» et la nouvelle élite
se proposait de faire de la ville, et de son université, une
forteresse de la culture germanique aux confins du Reich. On
développa une machine de propagande et un système spécial de prix.
Ainsi furent présentées, dans l'immense Halle du Centenaire, des
opérettes nationales que l'on pouvait voir pour un prix
particulièrement bas. Dans ce contexte d'aryanisation des
institutions et de germanisation de l'espace publique on commença
en 1934 une campagne de déslavisation qui consista à remplacer les
anciens noms de lieu ayant une connotation polonaise ou slave par des
noms à consonance germanique ( et en 1938, le blason attribué à la
ville par l'empereur Charles Quint fut de même échangé sur ordre
du Gauleiter de la Silésie, Joseph Wagner, contre un autre dans un
style plus germanique. Cette année-là la ville organisa la « Grande
exposition silésienne du sport » du 24 mars au 8 avril dans le
Pavillon des Quatre Coupoles et en juillet elle fut victime d'une
grande inondation.
L'Etat totalitaire, par définition,
globalisait son influence dans tous les aspects de la vie de ses
administrés. Leur appartenance confessionnelle y était comprise et
les institutions religieuses en firent les proies et les victimes à
la fois. Elles pouvaient constituer un frein à l'hégémonie de
l'idéologie national-socialiste (96% des Allemands appartenaient à
l'une des deux églises: évangélique et catholique. En 1933 les
habitants de Breslau se déclaraient à 59%, protestants et à 37% -
catholiques.
L'Eglise catholique comptait beaucoup d'opposants au
nouveau régime. Déjà lors de la conférence des évêques à Fulda
en 1931 les ecclésiastiques interdirent aux catholiques
l'appartenance au NSDAP bien qu'en 1933 ils revinssent sur leur
décision suite à la réaction conciliante d’Hitler à l'égard de
l'institution. En effet l'Allemagne signa le Concordat avec le
Saint-Siège qui garantissait l'autonomie à l'Eglise catholique et
l'indépendance de son travail en échange de l'interdiction de ses
prises de position dans le domaine politique ce qui marquait la fin
de l'engagement politique catholique (le parti Zentrum fut dissout et
ses représentants écartés voire emprisonnés dans les camps).
Quant aux Eglises évangéliques le régime tenta de les unifier en
créant l'Eglise du Reich. Par ailleurs les Chrétiens allemands,
proches des nazis, dominèrent la majorité des institutions
ecclésiastiques. Après l'introduction de Paragraphe aryen (Arierparagraph), aussi bien dans les institutions ecclésiastiques
que dans les plus importants temples protestants, le pasteur MartinNiemöller fonda l'Organisation de secours pour pasteurs
(Pfarrernotbund) qui s'avéra aussi une planche de salut pour les
ecclésiastiques silésiens. Ces derniers créèrent leur
organisation locale à laquelle appartenaient ¼ des pasteurs et
vicaires. Ces organisations furent à l'origine de la création en
1934 de l'Eglise confessante (Bekennende Kirche) afin de répondre à
la centralisation menée par les nazis des églises évangéliques
locales. La capacité d'opposition aux nazis diminua suite à la
scission au sein de l'Eglise confessante en Silésie en 1935.
De
cette institution sortit une des principaux théologiens évangéliques
du XXe siècle. Il s'agit de Dietrich Bonhoeffer, né à Breslau, qui
en 1933 écrivit un texte contre la politique raciale de Reich à
l'égard des juifs et élabora le concept de l'obligation des
chrétiens de s'opposer aux exactions de l'Etat non conformes à la
loi. Il dirigea un séminaire semi-clandestin de l'Eglise confessante
à Stettin et à partir de 1939 il participa activement à la
résistance. Arrêté en 1943 il fut exécuté en avril 1945 dans le
camp de Flossenbürg.
Au même moment l'Eglise catholique
disposait à Breslau d'un homme exceptionnel et puissant, Adolf Bertram (1859-1945), son archevêque. Cardinal et chef de l'épiscopat
allemand depuis 1919, personnage complexe et contradictoire, il
défendait les minorités ethniques dans son diocèse tout en prenant
parfois des positions anti-polonaises comme celle d'interdire aux
séminaristes polonais, citoyens allemands, d'appartenir aux
organisations de la minorité, considérées par lui comme
nationalistes. Capable de lancer des pétitions et d'écrire des
pastorales aux fidèles pour critiquer l'idéologie
national-socialiste mais aussi d'envoyer les vœux d'anniversaire au
Führer au nom de l'épiscopat allemand en 1939 puis, suite à la
protestation de l'évêque de Berlin, Konrad von Preysing, de
continuer cette démarche en son nom personnel jusqu'à la fin et
demander aux prêtres de la ville de dire la messe pour l'âme de
Hitler, mort suicidé le 30 avril 1945.
En 1938 Breslau était appelée la
ville du Führer. Son parti, NSDAP ayant obtenu l'adhésion de la
majorité de ses habitants en mars 1933, y organisait de grandes
manifestations de soutien et Hitler s'y rendit plusieurs fois. La
plus connue est celle de juillet 1938 associée à la « Deutsches
Turn- und Sportfest 1938 in Breslau » (Fête du sport et de la
gymnastique allemands) et à une exposition destinée aux
représentants des minorités allemandes des pays d'Europe centrale
et du sud-est, venus nombreux pour appuyer la politique pangermaniste
de Hitler (l'Anschluss de l'Autriche venait d'avoir lieu en mars et
l'annexion des Sudètes allait le suivre en octobre comme
l'occupation de la Bohême et de la Moravie en mars 1939). La ville
disposait de nombreux atouts. Elle était un important carrefour de
voies ferrées, disposait de nombreux parcs proches du centre, d'une
excellente base hôtelière, d'un complexe sportif (renommé en
« Göring Sportfeld » pour honorer le maréchal de la
Luftwaffe) dont les bâtiments servirent à l'Exposition
pangermanique de sport qui accompagnèrent les jeux olympiques
d'hiver à Garmisch et Partenkirchen et ceux d'été à Berlin en
1936 et de la Halle du Centenaire capable d'accueillir 6000
spectateurs assis et 20000 débout. Le jour de la réception du
Führer qui clôturait les compétitions la ville vécut une
véritable hystérie et l'apogée de cette paranoïa fut le défilé,
à travers les rues inondées de fleurs et de drapeaux à la croix
gammée, des représentants des Allemands des Sudètes.
L'année
précédente, à la même époque la ville recevait le Führer pour
la 12e Fête des chanteurs allemands (XII Deutschen Sängerbundfest)
dans les mêmes endroits. Le culte du chef y était si fort que
l'accueil paraissait chaque fois unique, plus «spontané» et plus
hystérique.
Pendant la fête «Deutsches Turn- und
Sportfest» se déroulaient les championnats d'Allemagne dans
plusieurs disciplines comme celles de l'athlétisme masculin et
féminin, du patinage à roulettes (Rollschuhsport), des régates ou
encore du tennis de table. La compétition concernait aussi les
régions et districts (Gau et Kreis) ou encore les villes et les
organisations sportives et militaires comme celle des SS
(Schutzstaffel) et S.A. (Sturm Abteilung), des WH (Wehrmacht),
Polizei, Deutsches Volkssturm, Luftwaffe, Kriegsmarine ou encore des
HJ (Hitlerjugend)-Jeunesses hitlérienne), BDM (Bund Deutscher
Mädel-Ligue des Jeunes Filles Allemandes ), NSFK
(Nationalsozialistisches Fliegerkorps- Corps national-socialiste de
l'aviation), DRL (Deutschen Reichsbundes für Leibesübungen –
Syndicat allemand de l'éducation physique et sportive).
La Nuit de Cristal (du 9 au 10 novembre
1938) se déroula à Breslau avec la même violence qu'ailleurs et
provoqua l'incendie de toutes les synagogues dont la Nouvelle
Synagogue, la plus grande d'Allemagne, avec celle de Berlin, (pour
une communauté de 10 000 juifs) qui fut totalement détruite.
La Seconde Guerre mondiale
(1939-1945)
À la veille de l'invasion de la
Pologne en 1939, les troupes de la Wehrmacht se concentrèrent en
ville pour attaquer le territoire polonais. Dimanche le 17 septembre
fut dite pour la dernière fois, dans l'église saint Martin, la
messe pendant laquelle les fidèles pouvaient prier en polonais. En
automne la prison de la rue Klęczkowska reçut quelques centaines de
prisonniers tchèques et plus tard les prisons et les maisons d'arrêt
de la ville virent passer d'autres prisonniers tchèques et polonais.
La guillotine s'abattit sur 869 personnes dont 363 Tchèques et un
certain nombre de Polonais.
La ville entra dans la guerre sans
subir de dégâts matériels (bombardements alliés) jusqu'en janvier
1945, à la différence des villes allemandes situées plus à
l'Ouest. Entre 1941 et 1944 la plupart des Juifs habitant la ville
(environ 10 000) furent déportés et disparurent dans les camps
(surtout Kowno-Kaunas, Theresienstadt et Auschwitz).
Le 25 juillet 1944 la ville fut élevée
au rang de la Forteresse (en allemand Festung Breslau) sur ordre de
Hitler et son Festungskommandant, le général Johannes Krauze arriva
fin septembre 1944, alors que presque un million de personnes
(habitants de la ville et réfugiés) y vivaient. Les premiers
réfugiés étaient des ouvriers allemands évacués pour échapper
aux bombardements alliés avec leurs usines (Breslau était protégée
des aérodromes de Grande-Bretagne par la distance). Puis arrivèrent
les travailleurs forcés (43953 en 1943 et 51548 en 1944) tchèques,
polonais, ukrainiens, français, russes et juifs dont on taisait
l'existence dans les brigades de travail des camps. Ensuite furent
amenés les prisonniers de guerre (5538 en 1941 et 9876 en 1944 dont
2857 britanniques). Protégée, peu ou pas touchée par les bombardements, la ville était une sorte d'abri aérien de l'Allemagne. Jusqu'au 17 janvier le Gauleiter, Karl Hanke, chef du parti de la région et de fait le décideur absolu refusa toute idée d'évacuation la considérant comme synonyme de faiblesse alors que malgré son statut de forteresse la ville n'était pas du tout préparée à la défense (absence de fortifications modernes, une garnison militaire constituée de 2500 hommes). Les militaires, conscients de la possible rupture du front oriental installé sur la Vistule décidèrent d'organiser la défense de Breslau à 20-25 km de la ville. Durant l'automne 1944 et le début de l'hiver une bande de fortifications et de tranchées anti-char fut créée à l'est (les environs d'Oleśnica)par les hommes de la Volksstrurmmobilisés pour l'occasion.Cette ligne ne servit à rien car pour la défendre il eut fallu 4-5 divisions d'infanteries (environ 65-70 000 soldats) dont les militaires ne disposaient pas. Ainsi Breslau n'était pas de fait une forteresse comme le déclarait l'ordre d'Hitler et prétendait la propagande nazie.
Suite à l'offensive soviétique de janvier qui brisa les lignes de défense allemande, le 17 janvier on lança l'ordre de mobilisation (Gneisenau) et à 19h la ville fut attaquée par l'aviation soviétique. Le Gauleiter donna l'ordre d'évacuation le 20 janvier 1945 sans aucune préparation ni infrastructure de relais. Il
s'agissait d'évacuer plus des deux tiers des habitants. Un chaos
total saisit la ville. Ce jour-là 60000 femmes et enfants sortirent
de la ville par -20°C en se joignant à la foule des 600000
fugitifs silésiens. Les parcs de Breslau se transformèrent en
cimetières. On évacua hommes, archives, écoles et objets de valeur
vers le sud et l'ouest. Près de 90 000 civils périrent pendant
cette évacuation. Les survivants remplirent les rues de Dresde peu
de temps avant son bombardement par l'aviation alliée (14 février
1945).
Breslau, où se trouvaient encore 200000 civils, fut assiégée
du 13 février au 6 mai 1945 par l'armée du 1er front ukrainien,
dirigée par le maréchal Koniev. L'offensive de l'Armée rouge si foudroyante avait permis de sauver Cracovie et épargner en grande partie Poznań (Festung Posen tomba au bout de 3 jours de durs combats). Si les Soviétiques avaient avancé de la même façon vers la fin de janvier, Breslau aurait pu être moins détruite. Mais pour eux l'enjeu était d'abord la Haute Silésie vers laquelle ils avaient dirigé les meilleures divisions.
La garnison de Breslau avait augmenté ses effectifs à partir de la Volkssturm c'est-à-dire, les hommes exemptés de la Wehrmacht. Rien n'était pas vraiment prêt pour le siège. C'est l'armement de fortune constitué de prises allemandes de la guerre qui équipait les forces de la Volssturm formées en bataillons sans armes lourdes et avec peu d'armes automatiques. Par ailleurs on avait fait venir des environs les réservistes et les soldats de l'arrière de la Wehrmacht. La garnison se composait aussi d'élèves d'écoles militaires ainsi que de tous les soldats fuyant le front oriental individuellement ou faisant partie de divisions défaites par les Soviétiques. Johannes Krauze, commandant de la Festung ne disposait pas d'un réel état-major. Les Soviétiques n'avaient pas de conception prête pour s'emparer de la ville qui constituait un nœud important de communication, un lieu de passage facile sur l'Oder et
un centre industriel important. Dès la fin de janvier ils étaient
devant Oleśnica (à 30 km de Breslau) mais épuisés par
une offensive si rapide et les combats pour s'emparer de Syców (Groß Wartenberg) et Oleśnica (Oels) alors que les Allemands commençaient à faire transférer des forces du front occidental dont la 269e division d'infanterie qui résista entre Breslau et Oels durant la 1re semaine de février. La 52e Armée soviétique atteignit les frontières septentrionales de la ville, occupa deux avant-postes de l'autre rive de l'Oder en tentant de prendre la ville en marche mais ne put avancer plus, perdit du terrain et resta sur ses positions sur la rivière Widawa (Weide) jusqu'à la capitulation. C'est exactement là que les Allemands attendaient l'offensive et c'est au nord de la ville qu'ils concentrèrent les forces protégées en partie par les vieux fortins de la 1re Guerre mondiale. Les Russes possédaient deux
avant-postes assez loin de Breslau au nord et au sud (à Brzeg-Brieg) et c'est de ces deux ponts que commença l'attaque soviétique le 9 février.
L'encerclement se termina le 16 février mais la confrontation directe tarda à venir. Les détachements allemands positionnés sur la rive gauche reculèrent et la garnison se trouva assiégée.
Le maréchal Koniev avait comme ordre de continuer l'offensive vers l'ouest sans s'occuper de points de résistance et décida laisser la 6e Armée de le troisième catégorie (formée de paysans de Volhynie qui n'avaient jamais vu une grande ville). C'était une armée défensive mal équipée (absence de chars, petit nombre de canons d'assaut) qui servait dans la stratégie soviétique à fermer les positions déjà conquises et à les défendre. Elle ne comptait pas plus de 55 000 combattants tandis que les Allemands pouvaient réunir entre 55 et 65 000 soldats. L'ambition du maréchal soviétique, l'incompatibilité de type d'armée pour ce genre d'opération et le manque d'estime pour la vie des soldats soviétiques furent les raisons de si nombreux morts et de telles destructions durant le siège.
Les Russes lancèrent un appel à la capitulation mais ne reçurent pas de réponse. Un régime spécial s'abattit sur la ville assiégée et tout soupçon de boycott ou de désobéissance fut sévèrement réprimé (par exemple le vice bourgmestre, Spielhagen, membre du NSDAP, fut fusillé devant l'hôtel de ville pour sa critique). L'offensive commença le 17 par le sud, par les quartiers résidentiels traversés par de larges avenues arborées qui menaient au centre alors que les plans de défense allemands ne prévoyaient pas du tout cette option. Le commandant de la 6e Armée (officier de convois du GPU dans les années 1930), le général Głuzdowski, piètre stratège, pensait atteindre en 3 jours la gare centrale et de ce fait voir se disloquer la garnison allemande. L'affrontement meurtrier de deux jours entre les deux
forces ennemies pour le bâtiment de la radio donnèrent un avant goût de ce qui allait se passer par la suite.
Les combats intenses se terminèrent vers la mi-mars. Les Soviétiques n'atteignirent pas la gare centrale et un front s'établit à 2 km au sud. Un nouveau commandant, Hermann Niehoff qui remplaçait Hans von Ahlfen, pousuivit la défense jusqu'à la capitulation. La ville brûlait, les combattants et les canons tiraient, l'aviation bombardait, les gens mouraient mais l'assaut rapide n'était pas possible. Les quartiers sud furent entièrement détruits. Les défenseurs de la forteresse (des travailleurs forcés
et des civils), durent raser la moitié d'un quartier densément
peuplé (aux environs de l'actuelle place de Grunwald, au nord-est de la Vieille-Ville), afin d'y
construire un aérodrome de secours (cela coûta la vie à 13000
personnes) au cas où l'aéroport de Gandau, près de la ligne du front serait pris. Du 15 février au 1er mai, la Luftwaffe maintint un pont
aérien avec le reste du Reich, accomplissant pas moins de 2000 vols
et amenant dans la ville assiégée 1638 tonnes de matériel (le
dernier vol fut celui du Gauleiter Hanke fuyant la ville à la veille
de la capitulation).
Le commandant de la forteresse, le général
Niehoff, après des négociations avec le général Głuzdowski signa
l'acte de capitulation de Breslau, le 6 mai 1945. C'est la dernière
ville-forteresse à tomber (quatre jours après la chute de Berlin),
deux jours avant la fin de la guerre en Europe. La défense aura duré
quatre-vingts jours et aura retenu sept divisions de l'ennemi. Les
conditions de la capitulation prévoyaient un traitement correct des
troupes allemandes par les Russes. Le général Głuzdowski garantit
des soins médicaux, le respect de la personne humaine ainsi que le
rapatriement immédiat aussitôt la fin de la guerre proclamée.
Aucun de ces engagements soviétiques ne fut appliqué. La plupart
des prisonniers de guerre furent envoyée dans des goulags, d'où la
moitié ne reviendra jamais.
81 jours de Festung-Breslau (15 février-6 mai puis été 1945)
La renaissance de la
ville
Une ville occupée au futur
incertain
À la fin de la guerre, 70% de la ville
était entièrement détruite: 70 des 104 bâtiments de l'Université,
20000 immeubles d'habitation, les places stratégiques comme le
palais des Hatzfeld (Oberpraesidium de Hanke), la Sternloge (quartier
SS), la Bibliothèque universitaire (Festungkommandantur), le
Neumarkt (batteries antiaériennes) furent transformés en tas de
décombres. Les quartiers centraux, du Sud et de l'Ouest furent
incendiés, défigurés par les squelettes des immeubles d'habitation
et de commerce. Des anciens habitants de Breslau, il ne restait que
fugitifs, prisonniers de guerre et invalides. Le chiffre exact des
pertes humaines ne sera jamais connu, mais on l'estime à 6000
soldats tués et à 23000 blessés. Quant aux civils, on est en face
d'une large fourchette d'estimation entre 10000 et 80000 dont 3000
suicidés. Les pertes soviétiques sont estimées à 65000 dont 8000
tués.
Les vainqueurs incendiaient la ville
dès le 7 mai. Les trafiquants pillaient les maisons en chassant
leurs habitants effrayés puis répandaient de l'essence en
provoquant des incendies qui s'éteignaient au bout de quelques
semaines. Ainsi disparaissait l'inestimable collection de livres de
la bibliothèque universitaire transférée à l'église Sainte-Anne.
Le 15 mai 1945, le feu réduisit le musée de la place Royale en
cendres et provoqua une explosion qui réduisit en tas de ruines une
tour de la Magdalenenkiche (église Sainte-Madeleine). Une bataille
rangée de deux jours opposa deux détachements soviétiques en
compétition pour la saisie du stock de nourriture allemand de la
Sternstrasse. La thèse selon laquelle Breslau n'a pas subi les
destructions que pendant le siège est une fiction de l'après-guerre.
Pendant les premières semaines de l'occupation, la plupart des
installations d'usine et infrastructures restées encore sur place
furent "prélevées" par les Soviétiques et envoyés en
URSS, comme celles de la centrale électrique principale de la ville
à Kraftborn (aujourd'hui Siechnica en polonais). Toutes les machines
des usines FAMO et Linke-Hofmann furent démontées. On emporta tout
ce qu'il est possible d'emporter: rails de chemin de fer, lanternes
de l'éclairage public, lignes électriques. Des trains de
marchandises à la gare de Hundsfeld (aujourd'hui Psie Pole) étaient
prêts à partir pour l'Est, avec des hordes de trafiquants.
Une équipe de l'administration
polonaise composée de treize personnes arriva à l'improviste le 9
mai 1945. Elle s'appropria trois bâtiments restés intacts aux 25-27
Blücherstrasse et suspendit solennellement l'emblème national
polonais au-dessus de la porte d'entrée. Les employés furent nommés
par un Comité composé de communistes soumis à Moscou à qui
Staline donnait la Pologne libérée et occupée par l'Armée rouge.
Son rôle était, entre autres, de soumettre les revendications
polonaises sur la capitale de la Basse-Silésie aux vainqueurs de
l'Allemagne nazie. Un autre groupe d'administrateurs autoproclamés
se joignit à l'équipe, dont le "président de la
municipalité", Bolesław Drobner et l'équipe des Services de
Sûreté Publique communistes. Ces agissements portaient l'empreinte
de la politique de Staline des faits accomplis et de la stratégie de
la poussée soviétique à l'Ouest, jusqu'à la ligne Oder-Neisse qui
avait été élaborée déjà par le Ministère des Affaires
étrangères de l'Empire russe et de ses alliés occidentaux en
septembre 1914 (qui publia une carte intitulée «Avenir de
l’Europe»).
La Pologne n'avait pas encore de
gouvernement reconnu internationalement et la formation d'un
gouvernement provisoire d'union nationale avait été prévue par la
conférence de Yalta (« dans les sept semaines à venir »).
La conférence de Potsdam devait se dérouler dans trois mois. Les
militaires soviétiques n'étaient même pas au courant de cette
démarche et c'est seulement le 13 mai que des accords furent conclus
en ce qui concernait l'activité de l'administration polonaise dans
le quartier général du commandant soviétique, le maréchal Koniev,
à Sagan (Żagań). Cette administration devait coordonner ses
activités avec celles des organismes nommés par les communistes et
travaillant en parallèle, à savoir ceux du fonctionnaire
plénipotentiaire du gouvernement de la République de Pologne pour
la Basse-Silésie, Stanisław Piaskowski et ceux du fonctionnaire
plénipotentiaire général pour les "Terres recouvrées",Edward Ochab. Afin de renforcer leur position au sein de la
population allemande les administrateurs polonais reconnurent l'un
des deux groupes rivaux antifascistes. Le 16 mai, le président
Drobner organisa un deuxième défilé (le premier l'avait été par
les Soviétiques à l'aérodrome de Pilchitz, aujourd'hui Pilczyce)
sur la place Royale, débaptisée en place de la Liberté, pour les
détachements (dirigés alors vers la Basse-Silésie) de la 2e Armée polonaise qui avait participé à la Bataille de Berlin. Il
s'agissait, par ce fait, d'effacer le souvenir des défilés nazis de
1939 et 1940, et cette fois-ci, c'étaient les crois gammées qui
furent foulées aux pieds par les vainqueurs.
La conférence de Potsdam prononça le
verdict le 3 août. Trois décisions eurent une importance majeure:
les dirigeants des trois puissances victorieuses confirmaient que:
«l’ultime délimitation de la
frontière occidentale de la Pologne surviendrait dans le cadre d’un
traité de paix» (mais la conférence n’aura jamais lieu);
«…
l’État polonais administre, en attendant le tracé définitif de
cette frontière, les anciens territoires allemands situés à l’est
d’une ligne partant de la mer Baltique, immédiatement à l’Ouest
de Swinemüde (Świnoujście), pour descendre le long de l’Oder
jusqu’au confluent de la Neisse occidentale, puis longe celle-ci
jusqu’à la frontière tchécoslovaque […] lesdits territoires ne
devant pas être à cette fin considérés comme faisant partie de la
zone soviétique d’occupation en Allemagne». L’expression «sous
l’administration» signifie qu’il ne s’agit pas d' «annexion
légale» et Breslau n'est donné à la Pologne que de manière
temporaire;
« il sera nécessaire de
déplacer vers l'Allemagne - en partie ou partiellement - la
population allemande restant en Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie
[…]. Tous les déplacements devant se faire de manière ordonnée
et humanitaire».
Ceci fut connu du grand public, mais
lorsque Churchill et Truman se rendirent à Potsdam, ils étaient
convaincus que «Stettin et Breslau devaient rester du côté
allemand». Selon eux la «ligne Oder» suivait ce fleuve jusqu’au
confluent de la Neisse orientale et de ce fait Breslau devait être
divisée: la partie principale de la ville demeurant allemande, la
rive droite revenant aux Polonais. C’est surtout Churchill qui ne
voulait pas trop «gaver l’oie polonaise de nourriture allemande,
de sorte qu’elle ne crève d’indigestion». Truman n’apprécia
pas que «les Polonais [eussent] occupé cet espace sans consulter la
Grande Troïka». Le 22 juillet, six jours après leur arrivée à
Potsdam, les Alliés occidentaux apprirent la nouvelle proposition de
Staline à laquelle ils s’opposèrent exigeant une position
polonaise "personnelle" qui était alors représentée par
Bolesław Bierut, chef du Conseil National de l'Etat (KRN) et
officier du NKVD. Niant la présence de la police politique
soviétique en Pologne et promettant "des élections plus libres
qu’en Angleterre" il resta seul avec les Soviétiques face à
Truman, Churchill étant parti pour apprendre sa défaite électorale.
Truman finit donc par céder sur la ligne Oder-Neisse occidentale.
C’est le 30 juillet 1945 que Breslau
fut officiellement donnée à la Pologne qui exigea l’usage du
nouveau nom de «Wrocław». Les Polonais en ont fait alors la
capitale d’une voïévodie et opéré le changement de noms de
toutes les villes de la Silésie, à commencer par Leignitz
(Legnica), où les Soviétiques installèrent le commandement de
leurs forces armées stationnées en Pologne [cf. le film Mała Moskwa (Petite Moscou) de Waldemar Krzystek]. De jure les
« Territoires recouvrés » ne seront reconnus
définitivement que quarante-six ans plus tard…Pendant des
décennies on ressentira à Wrocław un climat de provisoire!
L’Eglise catholique réagit plus
rapidement que le gouvernement communiste et , le 12 août 1945, le
primat de Pologne, le cardinal Hlond arriva à l’improviste comme
plénipotentiaire du Saint-Siège pour annoncer au clergé allemand
qu’il prenait à sa charge l’administration du diocèse (alors
que son archevêque, Adolf Bertram était mort le 6 juin 1945 dans sa
résidence d'été, le château Johannesberg à Jauering
(aujourd’hui Javorník en République tchèque), où il s'était
réfugié depuis le début du mois de mars pour fuir le siège de la
ville, ceci quatre jours avant l’accord entre l’URSS et la
Pologne concernant la renonciation par les Soviétiques aux biens
allemands.
Une ville polonaise
Pendant les deux ans qui suivirent la
fin de la guerre, la composition ethnique de la ville changea
radicalement avec l'expulsion de tous les Allemands. La Breslau
allemande disparut pour céder la place à un Wrocław polonais.
Pourtant pendant l’été 1945,
Wrocław vit sa population allemande augmenter à cause de l’arrivée
des fugitifs, nommés officiellement personnes déplacées, des
régions plus à l’Est (toute la Silésie) et du Nord (Posnanie).
De plus, les anciens habitants de Breslau venaient de l'Ouest
récupérer leurs biens abandonnés lors de l’évacuation de
janvier. Beaucoup espéraient le maintien de la ville dans
l'Allemagne, la conférence de Potsdam n’ayant pas encore commencé
ses travaux. Ils croyaient que leur présence pouvait contribuer à
la prise de décision des Alliés en ce sens. En juillet, les
Allemands étaient 300000 face à 3000 Polonais.
Cependant les expulsions forcées des
Allemands et l'immigration polonaise, changèrent la donne
radicalement: en décembre 1945, les chiffres se modifièrent: 165000
Allemands face à 33000 Polonais et neuf mois plus tard la situation
se renversa à jamais, à l’avantage des Polonais: 153000 Polonais,
majoritairement venus d'Ukraine occidentale, contre 28000 Allemands.
Les instructions du Conseil de contrôle
des Alliés précisaient comme suit:
"Toute la population allemande
transférée de Pologne (3,5 millions de personnes) sera reçue dans
les zones d'occupation soviétique et britannique […];
"Le calendrier ci-dessous […]
est considéré comme possible à réaliser: décembre 1945- 10% du
total; janvier et février 1946 - 5% […]; mars 1946 - 15% […];
avril 1946 - 15% […]; mai 1946 - 20% […]; juin 1946 - 20% […];
juillet 1946 - 10%.
Selon ces instructions, les
« expulsables » devaient se présenter au centre de leur
quartier avec seulement un bagage à main, puis ils étaient dirigés
vers un camp de transit: la gare de Freiburg (aujourd'hui dworzec
Świebodzki) ou à Kohlfurt (aujourd'hui Węgliniec). Ensuite ils
étaient placés dans des wagons à bestiaux, dans lesquels ils
voyageaient vers la zone d’occupation leur étant destinée. Les
autorités militaires britanniques reçurent ainsi dans leur zone
plus d’un million d’expulsés en appelant l’opération
«Hirondelle», mais en décembre 1945 elles refusèrent la poursuite
de l’accueil et les trains s’arrêtaient dorénavant dans la zone
soviétique.
Lorsque les Allemands quittaient la
ville, les «rapatriés» polonais arrivaient dans les mêmes
conditions à la recherche d’une nouvelle vie. Ils étaient aussi
marqués par le sort tragique des populations civiles déplacées.
Ils venaient de l’Est de la Pologne devenu l'Ukraine, des régions
annexées par les Soviétiques à la suite des accords
Ribbentrop-Molotov, soumises aux confiscations, nationalisations, à
la collectivisation et aux déportations au Kazakhstan ou en Sibérie
et à la russification. Haïs de leurs voisins ukrainiens,
biélorusses ou lituaniens car présentés comme seigneurs ou laquais
du régime bourgeois polonais d'avant la guerre par la propagande
communiste, alors que la majorité était constituée de paysans qui
ont vécu aussi l’occupation allemande. En Galicie orientale -
District de Lemberg (Lviv aujourd'hui) ayant été rattachée par les
nazis au Gouvernement général de 1941 à 1944, ils ont vu
l’extermination de leurs voisins juifs, ont survécu aux massacres opérés par les nationalistes ukrainiens qui voulaient nettoyer ces
régions (Galicie et Volhynie) de leurs habitants susceptibles
de s'opposer à la construction d'un Etat ethniquement pur. Ces
réfugiés polonais furent de nouveau libérés par les Soviétiques,
qui déportèrent parmi eux ceux qui étaient soupçonnés d'avoir
fraternisé avec l'ennemi nazi ou ceux qui étaient considérés
comme ennemis du peuple, c'est-à-dire ennemis des Ukrainiens avant
tout. Ils furent donc expulsés, après avoir prouvé leur
nationalité (c’est-à-dire la langue polonaise et l’appartenance
à l’Église catholique), après confiscation de leurs biens dans
le cadre de l’accord signé entre la Pologne et l’URSS sur le
tracé de la frontière orientale (cf. ligne Curzon dans sa seconde
version) et le déplacement de populations.
Alors que le voyage des expulsés
allemands durait trois ou quatre jours dans des wagons à bestiaux,
celui des «rapatriés» polonais durait trois à quatre semaines
dans des conditions similaires. Les habitants de la région de Lwów
(Lviv) étaient dirigés vers la Silésie et donc aussi vers Wrocław.
Ils constituaient 22% de la population de la ville en 1947. La ville
de Lwów est alors un peu l'équivalent polonais, bien que non
détruite, de la Breslau allemande. Le centre universitaire de
culture et science et le siège de la plus grande collection de
trésors de la littérature et des arts polonais, la fondation Ossolinski qui fut transférée à Wrocław. Les professeurs de
l’université Jean Casimir qui survécurent à la «purification» allemande de 1941 se déplacèrent en bloc à Wrocław, constituant
les cadres fondateurs de l’université polonaise qui a ouvert ses
portes dès septembre 1945. Les familles des victimes de Katyń , après avoir survécu aux déportations en Asie centrale ou
Sibérie, considérées par les Soviétiques comme ennemis de classe,
ayant perdu leurs maisons à l’Est décidèrent de se fixer en
Silésie. Wrocław et la Silésie, comme Dantzig, Stettin et la
Poméranie, et la Prusse orientale leur apparaissaient comme «Terre
promise», comme d’ailleurs pour les survivants de la Shoah, 150000
Juifs polonais qui avaient pu fuir en URSS en 1939 et 80000 Juifs
rescapés de l’extermination dans le Gouvernement général. Ils
étaient également dirigés vers les «Terres recouvrées» par les
autorités communistes afin d’éviter une animosité voire la haine
des leurs voisins chrétiens d’avant la guerre. Leur
déception fut grande: ville détruite alors que Lwów était intact,
maisons encore occupées par des Allemands ou par des Polonais qui
étaient arrivés les premiers, présence de trafiquants, délinquants
(en octobre 1945 les autorités de la ville protestèrent contre
l’arrêt du conseil municipal de Cracovie exigeant «la déportation
vers l’Ouest des personnes sans emploi, spéculateurs et
délinquants») et d'autres types d’hommes cherchant le refuge
devant l’appareil de répression communiste ou l’aventure dans ce
«Far West» (l'expression polonaise est plus parlante encore: "Ouest
sauvage") sans loi ni liens sociaux. La majorité des Juifs
émigrèrent ensuite en Amérique ou en Israël.
En mars 1946, Wrocław comptait 214 310
habitants: 196 814 Polonais dont environ 20 000 Juifs et 17 496
Allemands. La dernière phase des expulsions se ralentit, car les
usines avaient besoin de la main d’œuvre qualifiée pour les faire
fonctionner. La structure sociale se présentait alors comme suit:
- paysans sans terre cherchant une
ancienne exploitation allemande;
- jeunes gens, provenant surtout de la
Grande Pologne, cherchant du travail dans l’industrie;
- propriétaires terriens ayant perdu
leurs exploitations après la réforme agraire de 1944-1945;
- tous ceux qui cherchaient à
reconstruire leur vie;
- les Ukrainiens expulsés des
territoires du sud-est de la Pologne dans le cadre de l’OpérationVistule (Akcja Wisła);
- survivants juifs, provenant surtout de
l’URSS;
- dissidents politiques, membres de la
résistance non communiste, fuyant la répression;
- immigrants étrangers ayant reçu
l’autorisation de s’y installer;
- aventuriers, carriéristes,
trafiquants.
Wrocław après la guerre
Le temps de la "reconstruction"
La ville commence sa longue
reconstruction par… la démolition. En effet après les travaux de
déblayage et le début d’une lente tentative de reconstruction la
«Direction de reconstruction de Wrocław» (WDO) est fermée en 1949
et remplacée par l'Entreprise municipale de démolition (MPR). Les
directeurs de la WDO sont accusés de favoriser l’initiative privée
et la reconstruction des églises, et envoyés à Nowa Huta, un
nouveau chantier du socialisme à côté de Cracovie. Au lieu de
reconstruire la ville on commence à la détruire de manière cynique
et calculée. Le but est d’envoyer le plus grand nombre de briques
entières à Varsovie dans le cadre de l'action "toute la Nation
reconstruit sa capitale". On n’utilise pas à cet effet des
montagnes de gravats ou de pans de murs écroulés mais des immeubles
debout et qui peuvent être adaptés rapidement à l’habitat comme
ceux de tout un quartier à l'ouest de la Bismarckplatz (qui est
resté un champ de gravats aplani jusqu’à la fin des années
1960). Pire on n’hésite pas à démolir la Porte de Włast en
style Renaissance, près de la place au Sel (plac Solny), suivie du
bâtiment de la Poste Centrale et des villas datant de
l’entre-deux-guerres des faubourgs résidentiels. En 1949 on
«produit» 140 millions de briques et en 1951 – 165 millions.
Pendant que la Vieille-Ville de Varsovie se relève de ses décombres
sa sœur vratislavienne reste en ruines. Wrocław, malgré la
présence des tramways dont une partie est également offerte à
Varsovie et des bus (les nouveaux arrivent seulement en 1954),
présente un aspect villageois de par ses habitants d’origine
paysanne mais aussi par la présence des cochons et des chèvres qui
sont élevés dans les caves ou sur les terrasses, des pommes de
terre cultivées dans les jardins aménagés sur les ruines. La vie
culturelle qui commence avec beaucoup d’enthousiasme dès l’été
1945 finit par s’estomper et tarir, remplacée par la propagande
stalinienne qui débute ouvertement en 1949 et a duré jusqu’en
juin 1956.
C’est dans un but de propagande que
les autorités organisent de juillet à septembre 1948 dans la
Jahrhunderthalle, rebaptisée en halle du Peuple (Hala Ludowa), une
exposition sur les "Terres recouvrées" (élément de
propagande communiste afin de consoler la population de la perte des
territoires à l'Est). Durant son déroulement se tient également,
du 25 au 28 août, le "Congrès International des Intellectuels"
pour la défense de la paix. S'y présentent des sommités comme
Irène Joliot-Curie, Graham Green, Pablo Picasso, Ilja Erenburg,
Mikhaïl Cholokhov, Salvatore Quasimodo, Bertold Brecht, Harold Ould,
Jorge Amado, Kingsley Martin et Julian Huxley mais l'ambiance est
irritante par l'omniprésence des agents NKVD, la lettre d'Albert
Einstein est censurée et l'art occidental, attaqué par
l'académicien soviétique Alexandre Fadeïev qui traite la création
de "Miller, Eliot, Malraux et autres Sartre" d'art de
«chacals et hyènes». La consternation est grande, les hôtes
polonais gênés, Huxley est parti et le seul, qui proteste, par un
discours dénonciateur de la politique soviétique, est l'historien
britannique A.J.P. Taylor. Il refuse avec quelques-uns à signer la
déclaration finale commune condamnant le "camp impérialiste».
En septembre la ville est l’hôte du
«Congrès universel des historiens» où le ministre polonais de
l’Éducation nationale informe les 600 délégués qu’il était
«nécessaire de créer une école historique marxiste». Les
participants entendent aussi que les dirigeants de la Pologne de
l’après-guerre sont les «héritiers des Piast» alors que «les
vilains Jagellon ne s’intéressèrent qu’aux territoires de
l’Est».
Le processus d’unification des
«forces progressistes» est en marche: de différentes organisations
de jeunesse fondent l'Union de la jeunesse polonaise (communiste) à
Wrocław lors du congrès du 22 juillet 1948, les socialistes du PPS sont «avalés» en décembre à Varsovie alors que, lors de leur
XXVIIe Congrès à Wrocław un an plus tôt, les 1300 délégués
avaient exprimé la différence politique par rapport aux communistes
du PPR.
Pendant que les purges personnelles se
poursuivent, les organes de presse subissent le même sort
unificateur. La Gazeta Robotnicza (Gazette ouvrière) en est un bon
exemple de cette évolution. Son nouveau premier numéro du 16
décembre 1948 annonce «la joie et l‘enthousiasme» des débats du
Congrès unificateur à Varsovie et une semaine plus tard: «Tout le
prolétariat de Wrocław [a présenté] ses vœux à Joseph Staline,
protecteur des masses laborieuses du monde».
La période stalinienne (1949-1956) est
associée à la répression politique (qui a commencé dès 1947), à
la destruction de toute trace de la présence allemande, à la
censure, à la propagande omniprésente et finalement à un certain
marasme culturel et économique. Le Comité de Voïévodie du POUP est le centre décisionnel qui, tout en recevant les ordres de
Varsovie, dispose de postes-clés dans les rouages administratifs,
économiques, syndicales, culturels et même ecclésiastiques. Sa
dictature s'est maintenue au-delà de cette période, les cadres du
parti s’étant «renouvelés», il sévit avec plus de douceur
jusqu’à la chute du communisme en septembre 1989.
En effet le poste du «président» de
la ville est supprimé, et Władysław Matwin, un communiste
professionnel, est nommé premier secrétaire local du parti.
Remplacé au fur et à mesure de l’évolution du Comité central à
Varsovie par d’autres communistes convaincus, il y revient, après
un court passage à la Trybuna Ludu (organe central du POUP), pour la
période de 1957 à 1963.
Les prisons se remplissent de
«politiques», arrêtés grâce aux dénonciateurs et collaborateurs
silencieux des Services de Sécurité (SB), accusés par les
procurateurs civils de «crimes fascistes et hitlériens» ou d’être
des «spéculateurs» et «saboteurs». Les militaires «s’occupent»
de résistants non communistes (AK) durant la guerre, venus s'y
réfugier. Les fonctionnaires du nouveau pouvoir, 1400 agents de la
MO (police communiste), ne sont pas épargnés et les membres des SB
sont arrêtés et condamnés au nom de la «loi populaire». Certains
meurent en cellule dans les conditions inexplicables, d’autres
disparaissent ou se suicident. Ceux qui arrivent au procès
«reçoivent les travaux, la perpétuité ou la peine capitale». Les
quartiers spéciaux (81a et 120) dans le cimetière d’Osobowice
attendent les corps des exécutés.
L’Église catholique est victime de
tracasseries, de manifestations anticléricales dans les usines. En
1951 l’administrateur du Vatican, le père Milik, est démis de sa
fonction, remplacé par un successeur «vérifié» politiquement. Le
premier évêque de l’après-guerre, Bolesław Kominek, est sacré,
trois ans seulement après l’inauguration de la cathédrale
restaurée, en 1954. Il doit attendre encore deux ans pour prendre
son évêché.
La Breslau allemande devait être
oubliée, enfouie sous la terre, effacée de la mémoire. Ainsi le
secrétaire du parti ordonne de brûler toute la collection de la
presse allemande de la Bibliothèque universitaire. Il en est
récompensé en devenant ministre de la culture de la République
populaire de Pologne. Les cimetières sont l’objet des «soins
particuliers»: les pierres tombales détruites ou enlevées pour
d’autres usages; certains transformés en parcs (rue Grabiszyńska)
ou destinés à la construction des logements (rue Legnicka). Les
monuments ont déjà été déboulonnés et détruits ou fondus (ceux
de Guillaume Ier, Bismarck, Frédéric le Grand) en 1945, leur
piédestal reste vide ou surmonté d’une statue importée comme
celle de l’auteur de comédies, Alexandre Fredro, originaire de
Lwów, mais qui doit attendre, cachée afin de ne pas réveiller les
sentiments pour les territoires perdus, l’année 1956, pour être
posée devant l’hôtel de ville. Le Panorama Racławicka a patienté
jusqu’à l’année 1985.
La propagande exige des héros
socialistes dans le cadre du Plan de Reconstruction de Six Ans. Les
manifestations du 1er mai et du 7 novembre (révolution bolchevique)
mobilisent des milliers d’habitants qui à cette occasion peuvent
s’approvisionner en produits rares voire introuvables dans les
magasins d’État, dans les camions amenés spécialement afin
d’attirer les foules. Par ailleurs les raisons d’absence sont
scrupuleusement vérifiées sur le lieu du travail. L’université,
qui tente de reprendre les traditions de sa prestigieuse aïeule, est
soumise à la pression du matérialisme marxiste et du réalisme
socialiste et éclatée en 1951 donnant naissance à de nombreuses
écoles supérieures de la ville. Quelques théâtres ouverts depuis
1945-49 attirent le public mais à partir de 1949 la représentation
d’une pièce «osée» relève d’un acte de courage. Le théâtre
juif d’Ida Kamińska dispose de manière paradoxale d’une plus
grande marge de manœuvre et d’un meilleur patronat. Les autres «ne
risquent rien» en présentant le répertoire classique dans une mise
en scène «classique». Beaucoup d’artistes choisissent le
silence, d’autres quittent la ville, n’acceptant pas le culte du
chef polonais (Bierut) ou soviétique (Staline). «Les jeudis
littéraires» cessent leur activité en 1949, les «Cahiers
vratislaviens» en 1952. Les rues déjà polonisées changent de nom:
deux grandes artères l’une, est-ouest, l’autre, nord-sud,
reçoivent respectivement le nom de Staline et de Stalingrad. C’est
seulement en 1953 qu'est prise la décision de la reconstruction
complète des places centrales (Rynek et place au Sel) et de la rue
de Stalingrad (Świdnicka) qui, après la destruction de quelques
immeubles restés debout dont celui de l’angle avec la place du
marché (bâtiment de la poste aujourd’hui), reçoit finalement une
architecture du réalisme socialiste. C’est dans ce style marqué
par une certaine théâtralité de façade que l’on construit
également les bâtiments de la Polytechnique, séparée depuis peu
de l’université, et le quartier de logements autour de la place
Kościuszko (KDM) à l’image du MDM varsovien.
Le dégel de 1956 et les années de
croissance
Le 23 octobre (début de l'insurrection de Budapest) est reçu à
Wrocław par des manifestations dans les rues et les entreprises
d’État. On exige le retour de Wilno et Lwów, des explications sur
l’extermination de Katyń, la libération du cardinal Wyszyński,
le départ des Russes des postes-clés dans l’appareil de l’État
(par ex. du ministre de la Défense, maréchal Rokossowski ou du
commandant en chef de la Région militaire de Silésie), on proclame
la solidarité avec les Hongrois combattant l’envahisseur russe.
Les manifestants arrachent les plaques de la rue Staline pour y
écrire «rue des Héros hongrois», ré-rebaptisée plus tard par
les autorités en rue de l’Union nationale. Le retour au pouvoir de
Gomułka est considéré comme symbole de l’espoir qui est vite
déçu. Néanmoins on procède à la purge des éléments trop
staliniens et au renvoi des «conseillers militaires»: le
responsable de la désastreuse collectivisation devenu en récompense
le chef de la Basse Silésie, H. Chełchowski retourne à Varsovie et
le général russe Sergueï Gorokhov, repeint en Polonais (selon certains historiens dont Andrzej Werblan), Popławski,
citoyen d’honneur de la ville et député à la Diète est renvoyé
à Moscou, après avoir écrasé dans le sang la révolte ouvrière de Poznań en juin 1956.
La ville, qui compte déjà 400000
habitants et dont la croissance est double par rapport à la moyenne
nationale entre 1957-1962, nécessite des logements. En juillet 1956
on vote le «Plan national de la reconstruction de Wrocław»
c’est-à-dire 11 ans après la fin de la guerre alors que la
vieille ville de Varsovie commence à se couvrir de patine de sa
fraîche vieillesse. L’ambassadeur britannique en poste dans la
capitale qui s’est déplacé à Wrocław peu de temps après les
événements, qualifie la ville de «pitoyable et déprimante» où
règne «une atmosphère générale d’apathie, de saleté et
d’abandon». Selon lui la «jeunesse polonaise est déracinée et
démoralisée en principe», «décidément anti-russe et amorale» et
qui réagit «avec une allergie à la phraséologie communiste»
Les chantiers de construction
apparaissent dans quelques endroits et de petits ensembles de
logements surgissent des ruines: des blocs de 4 étages le long des
rues Teatralna, Kołłątaja et Małachowskiego, autour de la place PKWN (aujourd’hui des Légions) puis autour de la place du Nouveau Marché et à Gajowice (un faubourg du Sud). Le vieux pont détruit
de Lessing est remplacé par le moderne pont de la Paix. Dans le
cadre du programme de 1000 écoles pour le millénaire de l’État
polonais on construit 50 établissements pour la jeunesse de la ville
la plus jeune du pays. L’introduction de nouvelles technologies
(«grande dalle») permet l’accélération de la construction et
l’augmentation de la hauteur des immeubles mais avec les années de
quasi-autarcie du régime de Gomułka finissant la superficie se
réduit comme peau de chagrin (7m² par personne) et les cuisines
perdent le droit à la fenêtre extérieure (cf. les tours de 10
étages, côté sud de la rue Legnicka, du faubourg Saint-Nicolas, à
l’ouest de la fosse municipale).
Les années 1960 sont synonyme de la
modernisation et de la diversification de l’économie de la ville.
Le PaFaWag (ex-Linke Hoffmann), le principal employeur de la ville,
commence la fabrication de locomotives électriques, le Dolmel se
spécialise dans la production de générateurs pour l’étranger.
Des produits de consommation courante apparaissent sur le marché:
motocycles, frigidaires et lave-linge des marques comme Predom et
Polar. Les bus «Jelcz» fabriqués sous licence tchécoslovaque
«Karosa» sortent des usines «Berthawerk» de Krupp à Laskowice,
près de Wrocław pour circuler dans la ville à partir de 1954. Les
rouleaux compresseurs de Fadroma deviennent un produit phare
d’exportation polonaise alors que l’entreprise Elwro entame en
collaboration avec l'Ecole polytechnique une lancée de l’industrie
électronique polonaise. Le chantier naval met à flot les premières
péniches qui vont constituer une flotte fluviale en liaison avec la
RDA. Au début des années 1970 Wrocław produit 2,8% du PIB national
donc deux fois plus que la part de sa population dans le pays. À la
fin de cette époque le nombre d’habitants atteint 600000. La ville
cesse d’être le «Far West» polonais.
À la fin des années 1950 la vie
culturelle reprend de plein fouet, peut-être en réaction au marasme
de l’époque précédente, et fait connaître la ville dans le
monde de manière peu évidente. Wrocław n’avait pas sa propre
école de cinéma mais pouvait proposer beaucoup d’espace et de
décor de ruines pour les scènes de films de guerre. Les «unités
de production» se fixent sur les terrains de la Hala Ludowa
(Jahrhunderthalle) dans les Studios créés déjà en 1954 (les
Vratislaviens parlent de «notre Hollywood»). Presque tous les
grands cinéastes polonais viennent filmer ici: Wojciech Has,
Kazimierz Kutz et Andrzej Wajda tournent ici en formant avec
d’autres, l’École polonaise de cinéma (1957-1962). Roman
Polański y réalise son premier long métrage.
En 1956 Henryk Tomaszewski ouvre son
"Teatr Pantomimy" dont le programme ne correspond pas
aux exigences du parti et dont les interprétations originales de
sujets classiques sont impossibles à situer dans un contexte
(politique) particulier. Dès 1958 la vie culturelle est animée par
les théâtres d'étudiant. Le vratislavien "Kalambur" par
ses scénographies et mises en scène avant-gardistes devient un
parmi les plus connus du pays. La ville lance son "Festival du
théâtre d'étudiant" ainsi que les "Rencontres
internationales du théâtre ouvert" En 1963 une épidémie de
variole se répand dans la ville et les autorités décident de
restreindre au maximum les contacts entre les habitants et avec
l'extérieur. En 1964 s'ouvre le premier festival "Jazz nad Odrą" (Jazz sur l’Oder). En 1965 a lieu l'inauguration du
plus célèbre événement culturel de la ville - le Festival
international de musique d'oratorio et de cantate "Wratislavia Cantans". En 1965 Jerzy Grotowski, invité par le conseil
municipal de Wrocław, transfère d'Opole (Oppeln en allemand) son
"Teatr Laboratorium" qui ferme son activité en 1984 alors
que son créateur s’exile aux États-Unis puis en Italie. Cette
effervescence culturelle en fait une ville attirante pour d’autres
créateurs. En 1968, Tadeusz Różewicz, poète, dramaturge et auteur
de nouvelles, aménage à Wrocław et en devient la personnalité la
plus connue de la ville. Le festival des Arts contemporains polonais
et celui des «Théâtres d’un seul acteur» élisent la ville
aussi.
Après 1956, dans cette ambiance de
dégel politique de nombreux Breslauers exilés reviennent revoir
leur maison ou leur école. Alois Drost est un des premiers.
Photographe, il laisse une série de prises correspondant à celles
d’il y a 20 ans, pendant la guerre. Henry Kamm, correspondant
particulier de «New York Times» s’y rend plusieurs fois et
observe la vie d’une nouvelle ville avec étonnement. En 1973 il
s’occupe de maigres traces de la présence juive et constate de
nombreuses inscriptions antisémites, conséquence de la campagne
orchestrée par le Parti, cinq ans plus tôt. Les Allemands de
l’Ouest émettent en général le même commentaire de mépris dans
les années 1960 en voyant encore les charrettes tirées par les
chevaux, les débris laissés encore dans le centre-ville, la
survivance du marché noir ou l’état des cimetières :
«typische Ostpolen». Günter Anders, philosophe et activiste
anti-nucléaire, est frappé en 1966 par cet inquiétant syncrétisme
du déjà vu oriental et quelque chose de profondément étranger.
Peter Schumann, metteur en scène américain, constate la même
étrangeté et la difficulté de retrouver le chemin de l’enfance.
Le Mars 1968 qui débute à Varsovie,
est à l’origine du mouvement massif de protestation de la
jeunesse. On réclame la démocratie, la suppression de la censure,
l’arrêt de la propagande antisémite et enfin la condamnation des
coupables des interventions brutales de la milice. Les manifestations
débutent le 12 pour se transformer en grève générale le 14. La
réaction du pouvoir est l’arrestation de 60 personnes soutenant le
mouvement puis celle des étudiants. Le renvoi des quelques
professeurs d’origine juive ainsi que de 82 étudiants de l'Ecole
polytechnique ayant osé porter la pancarte «la presse ment» lors
de la manifestation du 1er mai précédent la fermeture du théâtre
juif et le départ des derniers Juifs de la ville durant l’été
1968. C’est pendant cet été que les « pays frères »
liquident le Printemps de Prague. La nuit de l'intervention les
fenêtres de la ville vibrent du poids des chenilles de tanks sur les
pavés se dirigeant vers le sud. En septembre 1969 les armées du
Pacte de Varsovie défilent à Wrocław pour marquer la fin de leurs
manœuvres appelées « Oder-Neisse 69 » devant le chef du
Pacte, maréchal soviétique Ivan Iakoubovski. Les discours des
apparatchiks au stade olympique rappellent la «sauvegarde de la paix
grâce à l’intervention courageuse contre ses ennemis de l’OTAN»,
l’année précédente et annoncent «le temps du système de
sécurité paneuropéen».
Les événements de décembre 1970 sur
la côte baltique font arriver au pouvoir une nouvelle équipe
dirigée par Edward Gierek qui lance la Pologne sur la voie du
rattrapage économique et d’ouverture à l’Ouest en promettant la
naissance d’un tigre économique.
La décennie 1970-1980 et la
naissance de Solidarność
Un certain bien être se glisse dans
les esprits et corps des Vratislaviens au début de la période. On
vivait au-dessus des moyens grâce aux crédits contractés par la
nouvelle équipe dirigeante. Cette aisance des employés et la
possibilité de voyager, non seulement dans les pays frères et en
particulier en Roumanie et Bulgarie devenues les « Côtes
d’Azur » polonaises mais aussi à l’Ouest, apparaît encore
aujourd’hui aux yeux des plus âgés comme un « paradis
perdu ».
De grands ensembles de logement
collectif naissent dans les quartiers proches du centre et au fur et
à mesure de la croissance urbaine des cités dortoirs éloignées.
On remplit aussi le grand trou laissé par les Allemands au moment de
la construction de la piste d’atterrissage du Festung Breslau. La
ville rattrape le retard et répond à la demande des couples en
attente depuis longtemps d’un logement dans un «bloc», perçu
comme un rêve. On importe de l’URSS la technologie
(préfabrication) de «fabriques de maisons» qui permet de «monter
une pièce » au sol pour ensuite la hisser à l’étage en
construction. L’exécution trop rapide et peu soignée posera des
problèmes de maintenance et de longévité. Ces grands ensembles
périphériques sont construits sans infrastructure ni routes
goudronnées et moyens de transport rapides ce qui renforça
l’absence de liens entre les différents quartiers et ces derniers
et le centre-ville. Certains travaux d’aménagement d’axes de
communication commandés par le comité local du parti n’hésitent
pas à détruire des immeubles fraîchement restaurés (rues
Kazimierza Wielkiego et Ruska) alors que les squelettes des maisons
historiques incendiées à deux pas de la place du marché de la
Vieille-Ville restaient «intacts» depuis 1945 (rue Kiełbaśnicza
entre la place au Sel et l’église Sainte-Élisabeth).
Durant cette décade Wrocław cesse
d’être la capitale de la Basse-Silésie au nom du nouveau
découpage administratif (1975) dont le modèle est la France avec
ses départements. Ainsi on réduit la taille de voïévodies en en
créant 49 au lieu de 17. Deux ans plus tôt on recréa le poste du
«président» de la ville mais elle perd son statut de
ville-voïévodie détachée du reste du territoire provincial. Par
ce biais le premier secrétaire du parti devient aussi le président
du conseil municipal et de voïévodie concentrant de fait les
pouvoirs législatifs et exécutifs locaux.
En juin 1976, à la suite des
événements de Radom et d'Ursus les entreprises vratislaviennes font
la grève afin de protester contre la hausse de prix de viande et de
sucre. Les actions d’intimidation lancée par le parti n’ont
guère d’effets car une opposition démocratique et bien organisée
est en train de naître dans le pays (KOR). Le Comité de défense
des ouvriers est le modèle à la création du Comité de solidarité
d’étudiants qui entame dans les institutions d’enseignement
supérieur le travail de base de type: débats libres, université
volante (où on peut découvrir la vraie histoire de Pologne de
l’après-guerre, non censurée car clandestine), publications
clandestines etc.
Wrocław répond à l’appel des
grévistes de la côte baltique en août 1980. Mieux, la ville a
connu de petites grèves déjà en juillet en protestation contre les
étagères vides et la hausse de prix que l’on n’avait pas vue
depuis «la bataille pour le commerce» de 1947. Les ouvriers
vratislaviens lancent la grève de solidarité avec les ouvriers de
la côte le 26 août. C’est le dépôt de trams no. VII, rue
Grabiszyńska, qui donne le ton et ses employés ne la cessent qu’à
la signature des accords de Gdańsk, le 31 août 1980. En trois jours
les comités de soutien se créent partout et 80 entreprises sont en
grève lors de la signature. C’est sur la proposition du délégué
de Wrocław, l’historien Karol Modzelewski, que le congrès du
syndicat libre naissant décide de prendre le nom de Solidarność,
le 17 septembre. Durant 16 mois de son activité légale, Wrocław
est un des bastions parmi les plus importants du syndicat qui unit
les ouvriers et les intellectuels dans le combat pour la liberté et
le «socialisme à visage humain». 250000 inscrits dans la ville de
600000 habitants, 86% des employés et un tiers de l’appareil du
parti ce qui paralyse le pouvoir local. Les leaders locaux deviennent
les personnalités clés dans les instances dirigeantes du syndicat
comme Władysław Frasyniuk qui sera, après l'»état de guerre»
proclamé par le général Jaruzelski, l’homme le plus recherché
du pays. Les limites de l’acceptable par les autorités communistes
sont marquées en octobre 1981, à la suite du référendum organisé
dans l’entreprise «Fadroma» portant sur les élections libres et
l’élimination de la Constitution de la notion sur le «rôle
dirigeant du parti». Le chef local de Solidarność est
arrêté aussitôt l’appel national est lancé à la face du pays
et du monde.
Le 13 décembre 1981, à l’aube ce
sont les tanks qui sortent des casernes à la place des tramways des
dépôts. 400 activistes sont «internés», les forces spéciales du
régime (ZOMO) dévastent le siège régional du syndicat de la
Basse-Silésie, l’«état de guerre» est proclamé. Pendant 3
jours les soldats brisent les portes des entreprises occupées et les
miliciens matraquent les ouvriers. À l'Ecole polytechnique un homme
est la victime mortelle de tels agissements. La neige couvre les
rues, il fait froid mais Frasyniuk et ses compagnons réussissent à
s’échapper et commencent à organiser la résistance avec le
slogan «votre hiver, notre printemps». En Allemagne fédérale
Solidarność jouit d’un grand prestige et de façon
spontanée les villes allemandes choisissent les villes polonaises
comme partenaires et protégées, les écoles allemandes prennent
soin des écoles polonaises, les paroisses envoient des dons aux
églises polonaises. Des convois de nourriture et de vêtements
parviennent aux centres d’aide en Pologne. La ville de Dortmund
devient ainsi la partenaire de Wrocław. Cette aide généreuse et
spontanée contribue à la réconciliation germano-polonaise.
Les années 1982-1989 sont une époque
de confrontation entre «nous» et «eux» dans la tête des gens
mais aussi dans la rue. La «Solidarność combattante» se
fait manifester au moyen des affiches et brochures clandestines. Les
lieux de rassemblements illégaux réprimés violemment reçoivent
des noms adéquats : place de Perec - «Gaz-Platz» et rue
Grabiszyńska – «ZOMO-Strasse».
En 1983 Wrocław accueille lors de son
deuxième pèlerinage en Pologne le pape Jean-Paul II qui dit la
messe à l'hippodrome de Partynice devant 700000 fidèles. En 1985 a
lieu l'inauguration du Panorama Racławicka, amené de Léopol-Lwów (Lviv
aujourd'hui) dès 1946 et gardé dans les caves du musée local pour
des raisons politiques. En 1987 commence son activité la
«Pomarańczowa Alternatywa» (alternative orange) (note) organisée
et dirigée par un étudiant d'histoire de l'art, Waldemar Fydrych –
dit le «Major», auteur du Manifeste du surréalisme socialiste. Le
but en est de ridiculiser le régime par des actions de rue. Ainsi
son premier happening illégal au centre de la Vieille-Ville se
transforme en manifestation de jeunes déguisés en nains et faisant
un vacarme avec des casseroles. Lors d'un autre, les assistants du
«Major» distribuent des coupures du produit le plus recherché dans
le pays: le papier hygiénique et le jour de la «Fête de l'Armée
polonaise», on organise une marche de maquettes qui débute par
celle de toile en forme de tank avec une inscription «Hitler kaputt»
suivie de celle représentant le cuirassé Potemkine, et qui se
termine par un groupe imitant l'attaque contre le Palais d'hiver avec
le slogan «Pacte de Varsovie - avant-garde de la paix». Les postes
de milice se remplissent de «marins russes» et de «cosaques de
l'armée rouge». À la Saint-Nicolas la ville vit une invasion de
«pères Noël», le Jour de l'Enfant, des milliers de personnes
apparaissent habillées en lange. Les forces de l’ordre,
désorientées, désemparées, ne savent pas comment réagir. La fin
du régime ne tarde pas. Le 1er mai 1988 ont lieu les derniers
affrontements entre les sympathisants du syndicat délégalisé et
les forces de l’ordre. Les négociations de la «Table ronde »vont être entamées le 6 février 1989 entre les représentants du
pouvoir d'une part et ceux de l’opposition et de l’Église
catholique d'autre part.
La fin du communisme
Les élections parlementaires dans la ville se transforment en une partie d’échecs entre la
nomenklatura du POUP et l’opposition du WKO (Comité citoyen de
Wrocław). Tous les mandats «libres» sont conquis par l’opposition
et ce, dès le premier tour. Certains des députés élus étaient
recherchés, encore peu de temps avant, par la milice alors que les
postes de sénateur de la Basse-Silésie revenaient au doyen de la
faculté des mathématiques, Roman Duda, démissionné par le pouvoir
et à l’historien et syndicaliste, Karol Modzelewski. C’est ce
parlement, issu des négociations et des élections semi-libres, qui
va désigner en septembre 1989, deux mois avant la chute du mur de
Berlin, pour la première fois dans le bloc communiste, un Premier
ministre non communiste: Tadeusz Mazowiecki et exiger l’élection
totalement libre, au suffrage universel direct, du président de la
République, chose qui va se réaliser en novembre 1990 avec le
choix de Lech Wałęsa.
Six mois plus tôt ont lieu les
élections locales libres qui permettent, entre autres, la formation
d’un conseil municipal composé de 70 personnes dont 67 élus par
l’opposition démocratique qui n’a pas de mal à désigner le
maire (président) de Wrocław: Bogdan Zdrojewski. Ce dernier en
acceptant son poste a déclaré que l’état de la ville est
«tragique». À l’image des événements de Varsovie les membres
du POUP quittent le navire comme les rats et laissent la «Maison du
parti» à l’Université en janvier 1991. Le maire va avoir les
mains libres enfin. Or les problèmes sont nombreux et la situation
urgente. Une des premières étapes de la nouvelle gouvernance est la
régularisation juridique des biens communaux et leur partielle
privatisation. Le conseil municipal vote le retour de la ville au
blason (adopté après la guerre et changé par les communistes en
1948 car trop marqué par la tradition chrétienne et tchèque)
accordé par Charles Quint en 1530 et le changement de noms de rue et
de place à évocation visiblement communiste. Ainsi, par exemple, la
place de Dzerjinski (Dzierżyński en polonais) retrouve son nom
historique de la place des Dominicains.
Wrocław tout en étant une ville
industrielle peut entreprendre plus facilement les transformations
profondes au niveau économique par l’absence des éléments de la
«construction du socialisme» comme de grands ensembles de
production de l’industrie lourde. Au contraire la ville dispose
d’une gamme d‘entreprises relativement modernes qui peuvent
compter sur une évolution rapide dans le sens de l'économie de
marché. Mais le capital le plus précieux sur lequel elle peut
s’appuyer, est sa population, jeune, dynamique et qualifiée qui
n'est pas «dénaturée» par l’ancien régime. Sa situation
géographique constitue un atout supplémentaire, proche de
l’Allemagne réunifiée et de la République tchèque dynamique.
Le grand incendie du Théâtre Polski
en janvier 1994 provoque de très importants dégâts, sa
reconstruction et sa modernisation a duré deux ans.
Le congrès eucharistique entre mai et
juin 1997 est l'occasion d'une nouvelle visite du pape à Wrocław.
Cette fois-ci, le congrès tient place non loin du centre-ville sur
la place au croisement des rues Powstańców Śląskich et
Gwiaździsta.
En juillet de cette année, la ville
vit la plus importante inondation de son histoire.
De nombreux quartiers et entreprises sont envahis par les eaux, de
nombreux bâtiments subissent d'importants dommages, et, à un degré
important, sont détruites les installations hydrauliques. La ville
est durant un long moment dépourvue d'eau potable et même
partiellement coupée de courant. Grâce à l'héroïsme de ses
habitants on a pu préserver des eaux les plus importants monuments
de la cité (hôtel de ville, Ostrów Tumski et sa cathédrale, gare
centrale) et sauver de nombreux et inestimables mobiliers et
documents. Malheureusement beaucoup de bâtiments ont souffert de
l'intrusion de l'eau dans leurs caves comme les archives de la
Bibliothèque municipale, celles de la ville et des tribunaux. Les
moyens de transport urbain - autobus et tramways - ont été déplacés
sur des terrains non inondables, mais de nombreuses voitures
particulières garées dans les rues inondées n'étaient plus en
état de marche.
Aujourd'hui
La Vieille-Ville est presque
complètement restaurée, ses monuments préservés. Le dernier
exemple de cette politique de restauration est la chapelle baroque,
mausolée de l'abbé des Norbertins (ou Prémontrés), Hochberg, de
l'église gothique Saint-Vincent (place Nankiera) qui était restée
fermée depuis 1945 dans un état de délabrement criant. Suite à
onze ans de travaux les conservateurs l'ont rendu au publique en mai
2013.
La capitale silésienne est une ville
européenne où se côtoient les styles architecturaux en relation
avec les aires politiques et culturelles auxquelles est associée son
histoire. Le style gothique de Wrocław est typiquement silésien,
son style baroque lui vient de l'époque des Habsbourg d'Autriche
(Fischer von Erlach, Ch. Tausch) et la ville possède encore de très
nombreux édifices bâtis par les modernistes allemands, comme Hans
Poelzig ou Max Berg. Sa halle du Centenaire (all. Jahrhunderthalle -
pol. Hala Stulecia) en est un bon exemple parmi les plus importants.
Elle a été inscrite sur la liste des monuments du patrimoine
mondial de l'UNESCO en 2006.
En 2016 Vratislavie a été la capitale européenne de la culture ce qui a permis à la ville d'être enfin connue à l'échelle de l'Europe et du monde.
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