La Volhynie aujourd'hui est une région occidentale de l'Ukraine mais à la différence de ce que les Occidentaux connaissent à savoir l'ex-Galicie, elle n'a jamais fait partie de cette dernière et possède sa propre histoire qui, au XIXe siècle est associée à son appartenance à l'Empire russe et non comme sa voisine méridionale qui était une unité à part au sein de la monarchie habsbourgeoise.
Afin de permettre aux francophones de mieux comprendre les enjeux actuels du conflit en Ukraine, il nous a paru indispensable de présenter l'histoire de cette région bien connue de l'historien français et grand connaisseur de relations compliquées entre les trois peuples qui y vécurent, dominèrent ou subirent la domination des deux États voisins avant les grands bouleversements de l'après 2e Guerre mondiale, Daniel Beauvois. En 2005 il a publié en polonais l'ouvrage intitulé "Le triangle ukrainien" dont nous nous sommes inspiré pour le titre afin de rédiger cet article.
Introduction:
Population à la veille de la Première Guerre mondiale
La Volhynie, région peuplée majoritairement d'Ukrainiens (paysans avant tout) faisait partie de l'Empire russe qui y mena une forte politique de russification à la différence de la Galicie autrichienne dont le gouvernement permit le développement d'une certaine autonomie culturelle voire politique - Lemberg (Lwów, Léopol, Lvov, Lviv), et non Cracovie, en était le siège du parlement local (Landtag) dans lequel la noblesse polonaise était en sur-représentation. Quant à la Volhynie de nombreux Juifs et Polonais catholiques cohabitaient avec les paysans ukrainiens orthodoxes. Les premiers dans les villes et bourgades, les seconds étaient paysans ou bourgeois ainsi que les nobles.
La présence des Juifs remonte au Xe siècle et leur installation progressive, surtout dans les villes et bourgs, par la volonté colonisatrice des maîtres de ces contrées (la Rus' de Kiev et ses successeurs, les principautés russes, les Mongols, le Grand Duché de Lituanie, héritier de la première civilisation russe et surtout le Royaume de Pologne) n'est interrompue que pendant de courtes périodes. Ils sont expulsés de Lituanie entre 1495 et 1503, massacrés ou noyés avec les catholiques et les Karaïmes (Karaïtes) lors de la révolte cosaque de l'hetman Chmielnicki en 1648-1649 contre le pouvoir polonais. Ils obtiennent des privilèges (XIVe siècle) et même le statut d'égalité (XVIe siècle) avec les chrétiens de la part des grands ducs de Lituanie et rois de Pologne dans les villes comme Kowel ou Łuck. La Diète de 1775 permettait aux Juifs la liberté d’acquérir la terre et le pouvoir russe entama dès la première moitié du XIXe siècle une politique de colonisation juive des campagnes dans les provinces occidentales (selon Leon Babicki : 33 000 agriculteurs juifs en 1859 y vivaient, chiffre contesté par certains historiens), mais qui fut stoppée à partir de 1861. Ils constituaient la majorité des habitants de villes et bourgades (en 1897 : 48 % à Kowel et 60 % à Łuck). Victimes de pogroms opérés lors des passages de l’armée de la RPU ou de ses détachements dirigés par des « atamans », comme ce fut le cas plus à l’Est (cf. « Petlioura »). Toutes les communautés juives ont été anéanties en 1942 (cf. Shoah par balles, l'histoire oubliée, le documentaire de Romain Icard passé le 12.03.2008 sur France 3).La présence des Polonais est due aux siècles de leur domination sur ces territoires. La noblesse locale fut polonisée et se convertit au catholicisme, déjà avant les partages de la Pologne. Une partie de la noblesse, qui était originaire d'outre Bug, rivière séparant grosso modo le monde catholique du monde orthodoxe ainsi que des paysans invités par elle à défricher et travailler la terre, reçut des donations royales qui, ces dernières, étaient destinées aussi aux institutions ecclésiastiques catholiques, à partir de l'Union de Lublin. Les grandes familles princières d'origine ruthène constituaient une petite minorité de magnats détenant des grandes propriétés terriennes (latifundia) comme les Czartoryski, les Rzewuski, les Czacki ou les Wiśniowiecki (encore en 1830 les maréchaux de la noblesse de Volhynie étaient tous polonais). Ouverts à la culture occidentale, parlant français, ils habitaient des résidences entourées de parcs et jardins comparables à celles des grandes familles aristocratiques françaises d'avant la Révolution.
Château de Ledóchowski à Smordwa (commune de Młynów, district de Dubno), dessin repeint en aquarelle, 1874 par Napoleon Orda
Certaines familles pratiquaient le mécénat et permirent le fonctionnement des institutions ecclésiastiques et scolaires. Tadeusz Czacki, par exemple, est à l'origine de la fondation en 1803 du lycée de Krzemieniec, appelé l'« Athènes de Volhynie », une sorte d'université polonaise, fréquentée par Juliusz Słowacki (ce grand poète romantique aux yeux des Polonais est aussi l'auteur d'un drame consacré à un héros ukrainien, Mazepa).
Le liceum de Krzemieniec, fondation de Tadeusz Czacki. Vue d'aujourd'hui
Mais les milliers de nobles qui reçurent une formation intellectuelle dans les établissements scolaires polonais, laïques ou ecclésiastiques s'étaient appauvris durant le XVIIIe et le XIXe siècles, victimes des aléas de la vie mais aussi des répressions russes après les insurrections de 1831 et 1863 (confiscations et déportations). Il faut rappeler ici que ces hobereaux, cultivant eux-mêmes parfois la terre (leur habitat, encore dans l'entre-deux-guerres, se distinguait clairement de celui des anciens serfs par la présence de deux colonnes à l'entrée, à l'image du typique manoir noble) constituaient une élite dans ces territoires face aux paysans ukrainiens, asservis jusqu'en 1861, corvéables à merci et analphabètes. Alors que les bâtiments ecclésiastiques catholiques, fondations de nobles, étaient construits en pierre et brique, les églises orthodoxes, souvent l’œuvre de la piété populaire, étaient de petite taille et en bois. La moitié des latifundia passa après 1863 aux mains russes par le biais de confiscation ou de vente. Leur parcellisation permit l'achat de petits lots par les colons tchèques et allemands appelés par le pouvoir tsariste afin de contrer la présence polonaise, alors que les masses paysannes ukrainiennes souffraient du manque de terre. Certains propriétaires polonais réussirent à garder la main sur leurs terres par le biais d'achats fictifs, opérés grâce aux intermédiaires juifs qui les administraient en leur nom, alors que l'oukaze impérial interdisait l'installation de Polonais catholiques en Volhynie. À la suite de la première révolution (1905) l'édit impérial de tolérance de 1906 autorisa la construction de nouvelles églises catholiques en ville alors que celles confisquées au profit des orthodoxes ayant subi des transformations de style, étaient perdues par Rome.
À côté de ces deux catégories de population on y trouvait des Tchèques et des Allemands, déjà évoqués, des Russes associés à l'occupation, des Arméniens, originaires de Crimée, présents ici, comme les Karaïmes, depuis le XIVe siècle. En 1914, à titre d'exemple, la capitale de la région, siège du gouverneur russe, Łuck comptait 30 000 habitants dont 24 000 Juifs, 2 300 Russes, 2 000 Polonais, 170 Allemands, 150 Karaïmes, 100 Tchèques et une dizaine de familles arméniennes et musulmanes (Tatars).
Retour à l'histoire
La République des Deux Nations
À la suite de l’Union de Lublin de 1569 les territoires de l’Ukraine actuelle furent incorporés à la Couronne de Pologne malgré les protestations des députés ruthènes du Grand Duché de Lituanie (État, jusque-là, en union personnelle avec le Royaume de Pologne). La voïévodie de Volhynie (capitale Łuck) devint la propriété du roi. En 1596 les évêques ruthènes (ukrainiens) orthodoxes furent contraints par le roi de la nouvelle dynastie des Vasa, d’origine suédoise, Sigismond III, de signer une nouvelle fois l’Union lors du synode de Brest-Litovsk (en polonais Brześć Litewski) et d’accepter l’autorité du pape. Cette réunion des évêques créait l’Église grecque-catholique ukrainienne (uniate) à l’image de celle déjà existante en Russie Rouge (en polonais Ruś Czerwona cf. la carte ci-dessous) qui appartenait à la Pologne depuis le XIVe siècle. Déjà en 1589 Michał Rahoza, consacré par Jérémie II de Constantinople en voyage en Pologne, avait pris le siège métropolitain de Kiev et entamé le mouvement de la réforme de l'Église orthodoxe. Et c'est lui qui signa ensuite l'Union avec l'ensemble des évêques. Mais la majorité du bas clergé orthodoxe la refusa et le siège métropolitain orthodoxe de Kiev fut refondé en 1620, dans le cadre de la République des Deux Nations, par le patriarche de Jérusalem, Théophane III, avant de passer sous la juridiction du patriarcat de Moscou en 1686. Ce dernier reçut le droit de protection des orthodoxes de Pologne.
Ainsi s'ouvrait pour Moscou un moyen d'intervention dans les affaires polonaises et ce jusqu'aux partages. La question de la division des fidèles ukrainiens se poursuivit au cours du XIXe et du XXe siècles. Le pouvoir soviétique interdit l'Église uniate, passée dans la clandestinité, alors que l'ensemble des fidèles orthodoxes resta soumis à Moscou. Suite à l'indépendance de l'Ukraine la question est devenue brûlante et les orthodoxes ukrainiens sont entrés en conflit. Une Église autonome (l'autocéphalie a été proclamée sans consultation de l'autorité patriarcale) est née à Kiev alors qu'une bonne partie des orthodoxes, surtout à l'Est, est restée fidèle à Moscou. Ce n'est qu'en janvier 2019 que le patriarche oecuménique de Constantinople a reconnu officiellement l'autocéphalie de l'Église d'Ukraine. Ce que Moscou a refusé d'accepter car des milliers de paroisses et de l'argent sont en jeu sans parler de l'influence du pouvoir russe sur les orthodoxes ukrainiens par l'intermédiaire du patriarche moscovite. Le président Porochenko pouvait se vanter d'un tel succès alors que le pays était plongé dans la guerre de Donbass.
La Pologne et la Lituanie au XVe siècle. Légende: du haut en bas: Couronne de Pologne 1454, territoires vassaux de la Couronne 1456, territoires annexés ou vassalisés par la Couronne 1456, terres de Lębork et de Bytów en apanage chez les princes de Poméranie, frontière de l'Ordre teutonique, frontières de provinces, lieux de bataille, lieu de l'Union polono-lituanienne. En vert le Grand-Duché de Lituanie.
L’Ukraine fut le théâtre de nombreux soulèvements de Cosaques (par exemple celui de Nalewajko, lis : Nalévaïko) écrasés par les Polonais. Ils exprimaient le plus souvent le mécontentement de nature sociale (cf. révolte sociale des "Haïdamaks") comme l’assujettissement des paysans ukrainiens libres aux seigneurs polonais qui s’étaient taillé des grands domaines (latifundia), ou religieuses, bien que la politique du gouvernement polonais à l’égard des orthodoxes fût relativement tolérante dans la première moitié du XVIIe siècle. Le plus important soulèvement fut celui de Bohdan Chmielnicki -Khmelnitsky (considéré comme le premier chef de l’État ukrainien indépendant par les Ukrainiens eux-mêmes) qui, commandant en 1647 une « sotnia » cosaque (détachement), organisa un putsch militaire. Cette révolte locale eut pour prétexte le refus de la Diète d’augmenter le nombre de Cosaques "enregistrés", promesse du roi Ladislas IV lors des préparatifs de guerre contre l’Empire ottoman, et qui se transforma en insurrection générale de toutes les terres ukrainiennes gagnant la bourgeoisie de villes et le bas clergé. La raison donnée par les insurgés était la défense de l’orthodoxie contre les "persécutions" catholiques mais en réalité il s’agissait, pour les Cosaques Zaporogues (transdniepriens), de la restauration des "libertés" confisquées 10 ans plus tôt. Chmielnicki se fit élire "hetman", signa une alliance avec les Tatars de Crimée et attaqua la Volhynie et la Russie rouge avec des milliers de paysans ukrainiens révoltés contre les seigneurs polonais.
L'hetman Chmielnicki avec l'attribut de son pouvoir, la boulava. Portrait anonyme du XVIIIe siècle.
La haine des Polonais et des Juifs fut à l’origine des pogroms perpétrés lors de traversées d’armées cosaques. Les échos de cette catastrophe atteignirent, par le biais de commerçants juifs, l’Europe occidentale et sont encore présents dans les chants hassidiques. On connaît l’histoire de la petite armée du grand seigneur polonais de Volhynie, « kniaz » (prince) Jeremi Wiśniowiecki qui, pénétrant par le nord, repoussa momentanément les armées de Chmielnicki et permit aux nombreux Juifs d’être sauvés. Le prince, piètre stratège, comme écrit Paweł Jasienica, suivant l’opinion de ses contemporains, se fit connaître par sa cruauté à l’égard des paysans révoltés, faits prisonniers (décapitations, pendaisons et empalements sur les places de villes et bourgades) mais ce n’était que la réponse aux exactions commises sur les prisonniers nobles par le chef cosaque Maksym Krzywonos (Nez Tordu).
Le prince Jeremi Wiśniowiecki. Portrait anonyme des années 1640. Selon le chroniqueur juif, Nathan Hanover, du XVIIe siècle, il était un des grands héros non juif de l'époque. Il en parle à propos des événements de 1648-1649 ainsi:
« … il les [juifs] portait comme sur les ailes d’aigle, en les
faisant passer jusqu’à là où ils voulaient. Lorsqu’ils étaient menacés en arrière
il leur a ordonné de marcher devant lui, et lorsque le danger venait de devant,
il marchait devant eux comme bouclier et ils se mettaient ensemble derrière lui »
Il faut rappeler que les Juifs installés dans ces territoires par le pouvoir polonais, servaient souvent d’intermédiaires entre les paysans asservis et les grands seigneurs. Aubergistes à qui on avait octroyé le privilège de vente d’alcool, commerçants concurrents des chrétiens, artisans dans les villes et bourgades, ils étaient aussi des collecteurs d’impôts pour le compte des princes. Ainsi la fureur paysanne, soutenue par le clergé orthodoxe se dirigea contre ces « Judas déicides ». Léopol (Lwów-Lviv) fut assiégée et l’armée de Chmielnicki atteignit le Bug, frontière de la Petite-Pologne.
Chmielnicki avec Tuhai Bey devant Léopol. Matejko 1885 (Musée nationale de Varsovie)
Les accords temporaires signés à Zbaraż (août 1648), après la défaite polonaise à Piławce (lis Pilavtsé), prévoyaient l’enregistrement de 40.000 Cosaques qui devaient résider dans les régions de Kiev, Bracław et Czernihów, interdisaient le maintien des troupes de la Couronne dans ces territoires, abolissaient l’Union des Églises, expulsaient les Juifs et les jésuites et donnaient l’administration de ces voïévodies aux nobles orthodoxes. C’était, certes, une victoire des Cosaques Zaporogues qui en fait aspiraient à l’assimilation à la noblesse polonaise mais pas celle des revendications paysannes, le régime social n’étant pas remis en question, ni celle des ambitions de l’hetman.
Pendant les guerres cosaques naquit l’idée de la fédération des Trois Nations (idée prônée par le voïévode de Kiev, Adam Kisiel et le nouveau roi, Jean Casimir Vasa), les Ukrainiens devaient être son troisième élément, mais la noblesse polonaise et lituanienne s’y opposa et à Prejesław, en 1654, les délégués du tsar et de l’hetman négocièrent le traité final qui fit basculer du côté russe toute l’Ukraine orientale (rive gauche du Dniepr). La guerre polono-russe fit diviser les Cosaques et en 1658 une partie d’eux opta pour la fédération, la République des Trois Nations mais il était déjà trop tard.
La Pologne dans les frontières avant les traités de paix d'Oliwa (1660) et d'Andruszów (1667).
La guerre russo-polonaise 1654-1667. Légende: fiefs et apanages de la Couronne en hachuré rouge, villes importantes, autres villes, Suède en bleu, Danemark en orange, Brandenbourg en gris, Saxe en violet, empire des Habsbourg en bleu pâle, empire russe en vert, mouvement des armées russes flèche verte, mouvements des armées polonaises flèche rouge, lieux de bataille.
L’armistice d’Andruszów (1667, cf. la carte ci-dessus), qui mit un terme au conflit entre la Pologne et la Moscovie, consacra le fait, alors que le traité de Karłowiec-Karlowitz de 1699, qui fixait la frontière sur le Dniestr, donnait une partie méridionale à l’Empire ottoman (Bucovine et Bessarabie). La frontière entre les trois États resta stable pendant un siècle (cf.la 1re carte ci-dessus).
L’assimilation de l’Ukraine orientale s’accéléra. Le métropolite orthodoxe de Kiev reconnut, après l’assentiment du patriarche de Constantinople, l’autorité du patriarche de Moscou en 1686. Durant la guerre du Nord (1700-1709), opposant la Russie de Pierre le Grand à la Suède de Charles XII, apparut un chef cosaque ambitieux, Ivan Mazepa, qui lié d’abord à la Russie passa ensuite un accord en 1708 avec la Pologne de Stanislas Leszczyński, soutenu par le roi de Suède, et avec Charles XII, lui-même, qui reconnut l’indépendance de l’Ukraine transdnieprienne contre l’appui des troupes cosaques zaporogues. Peu suivi par la population, il fut frappé d’anathème par le clergé orthodoxe, soumis déjà à Moscou, et qui y voyait une alliance contre nature, vu la religion protestante du monarque suédois et le catholicisme de son protégé polonais. Le gouvernement russe ne considérait pas l’Ukraine autrement que comme une province russe, dans laquelle une armée cosaque, déjà mercenaire, gardait un statut d’autonomie, il ne pouvait pas admettre la naissance d’un nouvel État indépendant. Les plans de Mazepa s’effondrèrent à Poltava (défaite suédoise, 1709) et son armée dut se réfugier chez le Turc. Les Russes en profitèrent pour accentuer la politique d’assimilation de l’Ukraine transdnieprienne. En 1720, un oukaze interdit l’usage de la langue littéraire ukrainienne sauf, et avec réserves, pour les ouvrages religieux. Il s’agissait d’une langue qui comptait peu aux yeux des bureaucrates de l’entourage du tsar. Les parlers populaires n’étaient pas menacés puisqu’ils n’avaient guère d’expression écrite.
Le portrait de Mazepa du XVIIIe siècle, auteur inconnu
Le pays, dont la langue officielle était le russe, fut soumis à une politique centralisatrice et « uniformisatrice » qui s’appuyait sur les cadres nobiliaires. En 1764 le gouvernement supprima l’institution d’hetmanat et les régiments cosaques furent transformés en 10 régiments de carabiniers devant 6 ans de service. Les cosaques du rang formèrent une catégorie de paysans libres alors que les paysans dépendant de la noblesse cosaque furent définitivement liés à la terre. Le servage s’étendit sur une bonne partie de l’Ukraine, comme c’était déjà le cas en Pologne, alors que l’Église ukrainienne uniate, dont les biens furent sécularisés, suivait le sort de l’Église orthodoxe. Cependant Kiev continua à jouer en Russie, au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le rôle de la métropole intellectuelle des Slaves de l’Est dans les temps où l’instruction était la chose de l’Église. Son Académie ecclésiastique, dont les cours étaient dispensés en latin, resta fort active et fournit à Moscou des prêtres instruits qui y créèrent l’Académie slavo-gréco-latine en 1687 qui, il est vrai, devint bien vite un instrument de censure.
Partages de la Pologne
Les trois partages de la Pologne (1772, 1793, 1795)
En 1772 la République des Deux Nations, dont le roi élu par la noblesse était Stanislas II de Pologne, amant et favori de Catherine II la Grande, subit le premier partage entre les trois puissances voisines, Russie, Prusse et Autriche. Cette dernière occupa la Petite Pologne et la Russie rouge (Ruthénie) dont la capitale, Léopol, en lui donnant un nouveau nom de "royaume de Lodomérie et Galicie", à l’exception de Cracovie, restée polonaise, mais qui fut annexée plus tard, après l’insurrection de 1846. L’Ukraine dont la Volhynie, resta polonaise. Cependant en 1782 les Habsbourg lui arrachèrent illégalement une petite partie méridionale (district de Krzemieniec, lis-Kchémiéniets) en l’incorporant à la Galicie.
Le 2e partage de 1793 fit entrer la majeure partie des terres ruthènes dont la Volhynie, la Russie blanche, la Podolie, l'Ukraine occidentale ou cis-dnieprienne (au sens historique de l'époque) et la Polésie (territoires de la Biélorussie actuelle) dans le giron russe (cf. cartes ci-dessus).
Le 3e partage concerna le reste des terres ruthènes (à l'exception de la Volhynie occidentale et la Russie noire ) mais les guerres napoléoniennes modifièrent les possessions russes qui avancèrent à l’Ouest (la partie méridionale de la Volhynie revenant à l’Empire moscovite). Les frontières dans ces régions restèrent stables ensuite (cf. la Sainte Alliance, née du Congrès de Vienne) jusqu’à la Première Guerre mondiale.
En 1769 éclata la guerre contre l’Empire
ottoman et les Russes occupèrent la Bucovine (nom slave qui veut dire "pays des
forêts de hêtres"),
qu’ils évacuèrent après le traité de Koutchouk-Kaïnardji (1774), mais les Autrichiens prirent leur place et se la firent céder en 1775 . Ils dépouillèrent entièrement l’Église
orthodoxe de ses biens immenses et s’appliquèrent à peupler leur
nouvelle province (Kronland) en y faisant venir des colons allemands, slaves, hongrois et juifs fuyant les persécutions à l'est. La population autochtone roumanophone était soumise au servage et la langue, interdite dans l'usage officiel.
Jusqu’en 1786 l’administration fut purement militaire. En 1787,
la Bucovine intégra la Galicie.
Les Russes créèrent 3 grandes provinces ukrainiennes dirigées par un gouverneur nommé par Saint-Pétersbourg, celles de Kiev, de Volhynie avec la capitale à Żytomierz et de Podolie avec comme centre administratif, Kamieniec Podolski. Au début il n’y eut pas de bouleversement social : Catherine II garantit aux nobles polonais leurs « droits » sur les paysans ukrainiens. Le nouveau pouvoir considérait les Ukrainiens comme une des branches du peuple russe (rossiïski, grand-russe et non ruski, ruthène) mais au début de l’occupation le pouvoir ne combattit pas avec acharnement le mouvement national ukrainien naissant. L’administration était à peine en formation et l’élément dominant à affaiblir était plutôt les propriétaires terriens polonais, surtout à partir de l’insurrection de 1831 (organisée par l’élément nobiliaire), qui éclata dans le Royaume du Congrès et se propagea au-delà de sa frontière, dans les territoires lituaniens, biélorusses et ukrainiens.
C’est à l’extrême fin du XVIIIe siècle que l’on vit apparaître la langue littéraire ukrainienne par la publication de l’" Enéide travestie" d’Ivan Kotliarevsky (1798) qui est considéré comme le véritable créateur de la langue ukrainienne moderne, dégagée d’un vocabulaire littéraire encombré de slavon et russe. Dans les milieux universitaires de Kharkov et Kiev, on commença à s’intéresser à l’histoire et aux traditions populaires du pays. Certains intellectuels s’engagèrent dans le mouvement décabriste, décapité en 1825, alors que d’autres étaient animés par un esprit pan-slave (cf. la confrérie de Cyrille-et-Méthode, société clandestine prônant le fédéralisme et l’égalité des peuples slaves, liquidée par le pouvoir en 1846). On peut y associer l’activité révolutionnaire et violemment anti-tsariste de Taras Chevtchenko, poète romantique, condamné à 10 ans de déportation en Sibérie (cf. le film de 1951 du même titre de Savtchenko, terminé par son élève, Mikhaïl Paradjanov qui réalisa aussi « Rhapsodie ukrainienne » et surtout en 1965 « Chevaux de feu », révélation et triomphe international ; source Larousse, Dictionnaire du cinéma, 1995).
Territoires annexés par la Russie
Les Russes créèrent 3 grandes provinces ukrainiennes dirigées par un gouverneur nommé par Saint-Pétersbourg, celles de Kiev, de Volhynie avec la capitale à Żytomierz et de Podolie avec comme centre administratif, Kamieniec Podolski. Au début il n’y eut pas de bouleversement social : Catherine II garantit aux nobles polonais leurs « droits » sur les paysans ukrainiens. Le nouveau pouvoir considérait les Ukrainiens comme une des branches du peuple russe (rossiïski, grand-russe et non ruski, ruthène) mais au début de l’occupation le pouvoir ne combattit pas avec acharnement le mouvement national ukrainien naissant. L’administration était à peine en formation et l’élément dominant à affaiblir était plutôt les propriétaires terriens polonais, surtout à partir de l’insurrection de 1831 (organisée par l’élément nobiliaire), qui éclata dans le Royaume du Congrès et se propagea au-delà de sa frontière, dans les territoires lituaniens, biélorusses et ukrainiens.
C’est à l’extrême fin du XVIIIe siècle que l’on vit apparaître la langue littéraire ukrainienne par la publication de l’" Enéide travestie" d’Ivan Kotliarevsky (1798) qui est considéré comme le véritable créateur de la langue ukrainienne moderne, dégagée d’un vocabulaire littéraire encombré de slavon et russe. Dans les milieux universitaires de Kharkov et Kiev, on commença à s’intéresser à l’histoire et aux traditions populaires du pays. Certains intellectuels s’engagèrent dans le mouvement décabriste, décapité en 1825, alors que d’autres étaient animés par un esprit pan-slave (cf. la confrérie de Cyrille-et-Méthode, société clandestine prônant le fédéralisme et l’égalité des peuples slaves, liquidée par le pouvoir en 1846). On peut y associer l’activité révolutionnaire et violemment anti-tsariste de Taras Chevtchenko, poète romantique, condamné à 10 ans de déportation en Sibérie (cf. le film de 1951 du même titre de Savtchenko, terminé par son élève, Mikhaïl Paradjanov qui réalisa aussi « Rhapsodie ukrainienne » et surtout en 1965 « Chevaux de feu », révélation et triomphe international ; source Larousse, Dictionnaire du cinéma, 1995).
En parallèle se développèrent dans les années 1830-1850 les
études historiques ayant pour but de connaître le passé de l’Ukraine. La publication en 1846 d’un faux patriotique "La
légende historique de l’Ukraine", œuvre extraordinaire,
autant par ses falsifications que par l’exposé ordonné des faits
indubitables. Il retrace le passé du pays depuis le duché de
Kiev jusqu’aux cosaqueries au XVIIIe et il devint "un
plaidoyer historique et politique en faveur d’une Ukraine autonome,
seule héritière de la Russie pré-mongole, opposée à la Pologne
catholique et à la Moscovie tatare". (cf. Elie Borchtchak, La
légende historique…).
Mais la première manifestation d’une conscience nationale ukrainienne est le "Livre de la Genèse du peuple ukrainien" de Kostomarov, écrit en ukrainien et traduit en russe pour marquer la différence entre les deux "nations". Au milieu du siècle les travaux du comparatiste Franc Miklošič et du philologue Oleksander Potebnia, fondateur de la langue scientifique, élevèrent définitivement l’ukrainien au statut de langue. L’insurrectionde 1863 mit fin à cette relative tolérance, la question ukrainienne étant considérée par les insurgés comme polonaise. Le gouvernement russe affecta de croire à des menaces de séparatisme (qualifié de "mazepisme").
Aussi l’année 1863 inaugura-t-elle une nouvelle politique de répression, appuyée par les milieux russes les plus nationalistes et définie par la circulaire de Valouïev de 1863. Les revues existantes furent supprimées, la censure sur la langue ukrainienne, renforcée (voici l’exemple du point de vue officiel : "… il n’y a jamais eu de langue petite-russe il n' y en a pas et il ne peut pas y en avoir. La langue employée par le bas peuple n’est autre chose que du russe corrompu par l’influence polonaise"). Le nom d‘Ukraine comme celui de Pologne disparurent pour être remplacés par "Région du Sud-Ouest" et "Pays de la Vistule". L’oukaze d’Ems de 1876 interdit toute publication en ukrainien.
L’industrialisation du pays fit grandir l’importance d’une bourgeoisie ukrainienne, attachée aux valeurs nationales, et grossir le nombre de patriotes actifs. En 1897 se tint un congrès illégal des « hromadas » (sociétés secrètes radicales à l’origine des nationalistes ukrainiens) d’où émergea une organisation générale qui se métamorphosa plus tard en Parti démocrate ukrainien (en 1904). L’année suivante à Poltava la commémoration du centenaire de la publication de l’« Enéide » de Kotliarevsky se transforma en manifestation politique lorsque, après l’intervention des délégués de Galicie et de Bukovine dont le discours en ukrainien souleva l’enthousiasme des auditeurs, le délégué russe voulut à son tour s’exprimer dans sa langue maternelle, il se vit l’interdire par le représentant du gouvernement. Tous les délégués déchirèrent leurs propiskas mais le scandale n’entraîna pas de sanctions. L’interdiction de présenter des rapports en ukrainien au congrès de l’archéologie de Kiev en 1899 suscita une vague de protestations dans les grandes villes. Les municipalités et un certain nombre de « zemstvo » (représentations de nobles) réclamèrent au gouvernement l’introduction de l’enseignement en ukrainien dans les écoles élémentaires. La jeune génération, plus radicale, cherchait à se rapprocher des mouvements révolutionnaires ou lançait des revendications extrémistes comme celle de Mykolaï Mikhnovski d’une Ukraine "…seule, indivisible, libre, indépendante, des Carpates au Caucase", devise désavouée par son propre Parti révolutionnaire ukrainien dont le programme n’allait pas jusqu’à une rupture complète avec l’Empire. Mikhnovski fonda par la suite un nouveau parti (Pari national ukrainien).
La diversité des positions et l’émiettement d’un mouvement qui restait celui de minorités cultivées et qui engageait peu les masses populaires, étaient les caractéristiques de la situation politique de l’Ukraine vers 1900. Le sort des paysans, la condition ouvrière, les libertés fondamentales et la participation au pouvoir étaient les préoccupations plus importantes à l’échelle de l‘Empire qui, en plus, commençait à réaliser les dangers apparus à l’échelle européenne et mondiale. La révolution de 1905 fit trembler le régime et obligea Nicolas II à des concessions. Les revues ukrainiennes se multiplièrent, la langue ukrainienne était enseignée à tous les niveaux, les œuvres de Chevtchenko et d’autres, publiées, et en 1907, l’Académie impériale reconnut que l’ukrainien n’était pas un simple dialecte du russe, mais une véritable langue. La première Douma, composée de 98 membres, comporta 40 députés ukrainiens, dans la deuxième ils étaient 47 mais dans la 3e, celle des "seigneurs", élue de façon moins démocratique, les Ukrainiens ne disposaient plus d’une tribune politique. La crainte de la guerre et le nationalisme grand-russien, poussa le gouvernement à rogner les libertés accordées. En 1910 ne paraissait qu’un seul quotidien en ukrainien, la "Rada" et la répression s’abattit sur le "séparatisme" ukrainien. Les hommes et les publications se réfugièrent de nouveau dans la clandestinité ou retrouvèrent le chemin de l’exil à l’étranger (Galicie ou Bukovine, Prague, Vienne ou Suisse). L’année 1914, à l’occasion du centenaire de la naissance de Chevtchenko, fut le théâtre d’affrontements entre les nationalistes russes et ukrainiens. La presse gouvernementale, ultra nationaliste et cléricale déchaîna une campagne anti-ukrainienne, dans laquelle la Galicie orientale était perçue comme le "Piémont de l’Ukraine" : journaux restant interdits, écoles, bibliothèques, institutions scientifiques fermées. Un rapport au grand-duc Nicolas, après l'invasion de la Galicie orientale (Lemberg occupée le 3 août 1914) et de la Bukovine, déclara : "l’ukrainisme n’est qu’une armée forgée par le gouvernement de Vienne". La langue russe devait remplacer l’ukrainien (ainsi que le polonais et l'allemand) et le clergé orthodoxe russe, venu de Kiev et de l'éparchie de Chełm, exerça une forte pression sur le clergé uniate en vue de le rallier. Jusqu'au début de l'année 1915, 60 paroisses et 100 000 fidèles uniates rejoignirent l'Église orthodoxe.
L'archevêque de Volhynie et de Jitomir, Eulogius Guiéorgyévski, dirigea les structures orthodoxes en Galicie orientale et l'action de propagande contre l''Église uniate durant l'occupation russe (fin 1914-début de l'été 1915)
Le métropolite Andrey Szeptycki, résidant à Lemberg (Léopol), fut puni pour sa résistance et déporté en Russie, à Souzdal, dans la prison réservée aux ecclésiastiques. Ces mesures provoquèrent des protestations à la Douma dont celles de Milioukov et plus tard de Kerenski. Les empires centraux en allaient faire un bon usage, par la suite, en soutenant un Comité de libération de l’Ukraine, créé à l’étranger et publiant des cartes du pays à libérer couvrant 900 000 km2 et qui s’étendait jusqu’à la Caspienne.
La situation des Ukrainiens se présentait tout autrement en Galicie autrichienne. Cette terre fut depuis les siècles le théâtre de rivalité entre deux éléments ethniques surtout dans les parties orientale et méridionale.
Dans la première phase le processus de polonisation se poursuivit. La colonisation menée par la noblesse polonaise ainsi que la propagation de la langue et des coutumes polonais contribuèrent à l'accélération du processus dans la partie orientale où l'élément ruthène dominait. La noblesse et l'aristocratie ruthènes, minoritaires, et les couches plus éclairées issues du substrat populaire avaient succombé à ce processus en fusionnant avec la société polonaise. Ainsi encore avant les partages s'était formé un type d'habitant qui qualifiait son identité en ces termes: gente Ruthenus natione Polonus. Mais un processus inverse eut lieu aussi dans la période avant l'autonomie. Certains colons polonais venus de l'Ouest et installés par les propriétaires fonciers sur leurs territoires subissaient l'influence de leurs voisins et se ruthénisaient à leur tour. Ainsi la division ethnique dans la Galicie orientale passait par les couches sociales. En simplifiant on peut dire que le paysan était ruthène (et de confession gréco-catholique) et le seigneur, propriétaire foncier, polonais (et catholique).
La genèse des tensions polono-ruthènes en Galicie autrichienne remonte au Printemps des peuples. Franz von Stadion fut nommé gouverneur de la Galicie et le véritable instigateur du réveil national ukrainien. Pratiquant la politique de diviser pour mieux régner il proclama le 22 avril 1848, sans consultation de Vienne, la suppression du servage et des corvées libérant ainsi les paysans ruthènes (et polonais) d'obligations à l'égard de leurs seigneurs polonais (qui devaient tout de même être dédommagés par un fond gouvernemental). Pour combattre l'élément polonais dominant il permit la création de la Holovna Rada Ruska (Conseil principal ruthène), appelé aussi Conseil de saint Georges car ses membres étaient en partie les chanoines de la cathédrale uniate saint Georges de Léopol et qui dirigeaient alors le mouvement politique ruthène. En échange de concessions religieuses et politiques ils appuyaient le pouvoir de Vienne. Ce Conseil élabora pour la première fois un programme politique des Ruthènes galiciens en affirmant qu'ils constituaient une nation de 15 millions d'habitants distincts aussi bien des Polonais que des Russes. Il se battit pour défendre les intérêts de l'Église ainsi que pour l'instauration de la langue ukrainienne dans les écoles et l'administration de la Galicie orientale. Il exigeait même la création d'une province séparée avec l'administration ruthène.
Bien que les jeunes membres de l'intelligentsia issus du Conseil eussent l'aspiration de représenter toute la nation ruthène, d'esprit antidémocratique, ils se désintéressaient des masses paysannes. C'est pour cela que le Conseil ne mena pas, dans ses premières années, d'activité d'enseignement et ne tenta pas de les organiser. Son plus grand succès fut la création à Léopol, avec l'accord de Vienne, de la Maison nationale qui devint le principal centre de tout le mouvement ruthène.
Le nouveau gouverneur nommé en janvier 1849, le comte Agenor Gołchowski qui représentait les propriétaires fonciers polonais, entreprit de paralyser l'activité du Conseil ruthène en dénonçant ses liens avec la Russie. Originaire de Podolie où les Polonais constituaient une infime minorité de nobles il mena une politique de concessions à l'égard de l'allemand dans l'administration et l'enseignement en Galicie occidentale contre l'extension du polonais dans l'enseignement en Galicie orientale. Il en dépendait le "maintien de l'identité polonaise dans la mer de population ruthène".
L’attitude des Polonais qui reçurent l'administration de la Galicie en 1861, ressemblait à celle des Russes, c’est-à-dire, les Ukrainiens ne représentaient pas un cas particulier mais constituaient une branche ruthène du peuple polonais. C’est seulement lorsque les Ukrainiens apparurent comme une force politique puissante que Vienne décida de reprendre la politique de division et de détournement du sentiment national ukrainien contre les Polonais.
La Bucovine fut attachée en 1787 à la Galicie puis séparée en 1849. La région, dont le fond était moldave et slave (Ruthènes des basses terres et les montagnards, appelés Huculi en polonais et ukrainien, lis Houtsouli, et apparentés aux Ruthènes ; cf. le film de Paradjanov "Chevaux de feu", mais aussi Stanisław Vincenz, auteur d'une trilogie "Sur la haute polonina", consacrée à ce peuple de montagnards, publiée par la Kultura à Paris, méconnu du public français).
La région qui s’était enrichie entre le XIVe et XVIIe siècle d’éléments divers : roumanophones, arméniens, hongrois, polonais et juifs, avait déjà donc un caractère multi-ethnique, lorsque l’Autriche s’en empara. Les colons allemands et polonais (des montagnards de Silésie autrichienne, venus au début du XIXe s. puis d’autres tant que le pays appartenait à la Galicie) ainsi que les juifs fuyant l’Ukraine russe renforcèrent encore le caractère particulier de cette contrée. L’empereur Joseph II, qui nommait toute l’administration locale et les dignitaires ecclésiastiques, permit un certain développement de l’instruction en plusieurs langues (ukrainienne, roumaine, allemande, polonaise, hongroise et juive). Depuis 1849, elle forma, sauf dans une courte période (1859-1861), une province particulière de l’Empire sous le nom de "duché de Bucovine", avec un parlement local (Landtag) à Czernowitz. Sous François-Joseph Ier la vie culturelle de différentes communautés fut encouragée et sa capitale, Czernowitz, en profita pour se moderniser (système de canalisation, électricité, pavement de rue et même tramway). Les ingénieurs polonais de Léopol construisirent le chemin de fer reliant la capitale de la Galicie à Jassy (en Roumanie) qui passait par Czernowitz et Suczawa et qui permettait la liaison mer Baltique-mer Noire. En 1875 on y ouvrit une université où se créèrent des organisations d’étudiants en fonction de leur appartenance ethnique dont "Soïouz"(Union) ukrainienne, « Allemania » et « Austria », « Ognisko » (Foyer) et « Lechia » polonaises ou encore « Karima » sioniste et « Zefira » et « Hebronia » juives.
Selon le recensement de 1857 la Bucovine comptait 4 558 000 habitants dont 44,6 % de Roumains, surtout au Sud, aux fortes différences sociales ; 38,2 % de Ruthènes et Houtsoules, pauvres paysans et bergers sans tradition citadine ; 6,4 % d’Allemands, employés, artisans qualifiés, ingénieurs de mine et de métallurgie ; 6,5 % de Juifs, habitant villes et bourgades, commerçants et artisans, médecins, avocats et journalistes ; 3 % de Polonais, citadins qui constituaient le 2e groupe ethnique dans la capitale après les Juifs ; 1,6 % de Hongrois ; 0,57 % de Russes vieux-croyants ayant fui les persécutions ; 0,1 % d’Arméniens. Trois quarts de la population, en majorité analphabète, vivaient des activités agricoles et pastorales en 1880 et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle. Comme la majorité (60 %) des paysans n’avaient pas plus de 2 ha alors que 40 % des terres étaient détenues par les grands propriétaires il en résulta une forte émigration aux États-Unis et au Brésil (cf. « Bukovina Society of Americas » qui fonctionne encore aujourd’hui). Au début du XXe siècle la composition confessionnelle se présentait comme suit : orthodoxes (Roumains et Ukrainiens) – 68,44 % ; israélites – 12,86 % ; catholiques (Polonais, Hongrois et Allemands) - 12,23 % ; calvinistes et luthériens (Allemands et Hongrois) – 2,56 %, sans compter les vieux-croyants russes, les Arméniens catholiques et de rite oriental et les Roms (0,7 % - 6000 ?). Un des représentants des Juifs de Bucovine est l’écrivain israélien Aharon Appelfeld dont de nombreux livres ont été publiés en France comme par exemple son autobiographie "Histoire d’une vie" qui évoque la patrie perdue (une excellente bibliographie existe, malheureusement pour les francophones, en polonais (cf. Bukowina de Wikipédia).
La Ruthénie transcarpatique, appelée aussi subcarpatique par les Roumains et les Hongrois, relevait de Budapest depuis le XIIIe siècle et englobait la haute vallée de Cisa (Tisza en hongrois). Selon le recensement de 1846 la population comptait 469 000 habitants comme suit : 235 000 Ruthènes, 120 000 Hongrois, 65 000 Juifs, 14 000 Slovaques, 10 000 Allemands. Les Autrichiens y créèrent un réseau d’écoles primaires avec deux langues : ruthène et slovaque. La région subit des destructions dues aux révoltes et l’insurrection hongroise de 1848 et fut transformée momentanément en district ruthène séparé de la monarchie hongroise (1849-1850). Extrêmement pauvre, elle devint dans la seconde moitié du XIXe siècle une terre d’émigration vers les États-Unis, l’Uruguay, l’Argentine et l’Australie (entre 200 000 et 400 000 personnes). Le recensement de 1880 donna 59,5 % de Ruthènes, 25,7 % de Hongrois, 7,8 % d’Allemands, 4,1 % de Roumains, 2,1 % de Slovaques et Tchèques, 0,5 % pour les autres.
Après la signature du compromis avec les Polonais en 1861, l’autonomie de Galicie (cf. la constitution de 1867) consistait en la création d'un parlement local, Diète ou Landtag à Léopol, la polonisation de l’administration et de l’instruction ainsi que de l’université et de la polytechnique de Léopol et enfin la nomination du gouverneur polonais contre l'appui au parlement de Vienne. Les Autrichiens considérèrent alors le problème ukrainien comme une affaire interne polonaise. Grâce à cette politique la ruthénisation des paysans polonais fut stoppée et l'identité politique polonaise ne cessa d'accroître parmi les habitants de la Galicie orientale jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1880 l'usage du polonais y déclarait 28.1% de la population, en 1890 - 31.2%, en 1900 - 33.5%. En 1910 39.7% de la population déclarait parler le polonais à la maison.
Mais comme le yiddish était considéré comme un jargon (y compris par ses représentants même), les Juifs (10.9% en 1910) penchaient majoritairement pour le polonais. Par exemple selon "Ojczyzna", la revue bimensuelle polono-juive paraissant à Léopol entre 1881 et 1892, la majorité des corporations et associations juives utilisaient l'allemand en 1881 mais 10 ans plus tard le polonais le remplaça. Cette période fut marquée par un fort mouvement assimilationniste. Le courant intégrationniste, plus radical que le camp plus traditionaliste de Haskala qui était représentée par la revue rivale, "Der Israelit" germanophone, combattait l'allemand et prônait l'assimilation au sein de la société polonaise. Ce mouvement allait prendre fin vers la fin du XIXe à cause de l'antisémitisme régnant et du développement du sionnisme. Les hassidim, nombreux en Galicie et les orthodoxes demeuraient séparés du reste de la population en utilisant le yiddish.
La population catholique constituait 25.3% du total mais là aussi on peut supposer que certains uniates se considéraient comme Polonais d'où la différence de 2%. Ainsi on peut estimer à 27-28% les Polonais vivant en Galicie orientale. Leur croissance s'explique aussi par le développement de l'extraction de pétrole et d'ozokérite dans le bassin d'exploitation Boryslaw-Drohobycz (3e rang mondial en 1909) dont de nombreux ouvriers furent appelés à venir de l'Ouest. Jusqu'à la fin de l'autonomie les Polonais n'étaient majoritaires que dans la ville de Léopol ainsi que dans quelques districts: à l'Ouest de la capitale, vers la Petite Pologne (Jarosław, Przemyśl, Brzozów) mais aussi à l'Est (Trembowla, Tarnopol, Skałat).
Les villes et bourgades étaient habitées par une importante population juive (en 1900 - 72.1% à Brody, plus de 50% à Tarnopol, Buczacz, Rawa Ruska, Stanisławów, Kołomyja mais seulement 28% à Léopol).
Puits de pétrole en Galicie. Lithographie 1881
Néanmoins les Ukrainiens vivant sous la domination polonaise disposaient de bien meilleures conditions de développement de leur culture nationale que leurs frères vivant sous le joug tsariste. Autre raison de ce développement était le niveau de vie supérieur ainsi qu'un plus grand taux d’urbanisation en Galicie. Les Ukrainiens habitaient sa partie orientale (Ruthénie) mais y constituaient une minorité dans les villes dominées par les Juifs et les Polonais. Ils revendiquaient la division de la Galicie, où, à l’Est, ils auraient la majorité, et le suffrage démocratique. Jusqu’à la fin de l’Empire austro-hongrois la vie politique de la Galicie fut dominée par les conservateurs, partisans du compromis mais l’éclosion des mouvements nationalistes préparait un sombre avenir.
Un courant russophile très fort portait l’intelligentsia ukrainienne vers le grand voisin de l’Est. Le fait qu’elle fut en partie cléricale et composée de prêtres uniates, frères de l’Église orthodoxe, n’affaiblit pas ce courant, alors que leurs positions étaient plutôt de nature conservatrice, les régimes monarchiques étant perçus par eux comme protecteurs de la tradition. Un de leurs représentants (père Ivan Naumovitch) ne déclara-t-il pas : "Placés devant un choix, nous préférons nous noyer dans l’océan russe que dans le marais polonais". Malgré la loi d’autonomie (1861) et le régime constitutionnel dualiste (Ausgleich, 1867 qui de fait donnait le pouvoir administratif aux Polonais) les Ukrainiens conservèrent un certain nombre de libertés inconnues de l’autre côté de la frontière, en particulier l’emploi de la langue dans les écoles primaires. Ils reçurent des droits théoriquement égaux à ceux des autres nationalités. La Galicie continua à être dominée par une riche aristocratie polonaise de grands propriétaires (1500 familles possédaient 42 % du sol) ayant le monopole de la fabrication et de la vente de la vodka, et par une bourgeoisie urbaine polonaise et juive. Le système électoral des « curies », du Parlement de Vienne à la Diète de Galicie, défavorisait les Ukrainiens qui n’étaient représentés que dans les curies paysannes. En dépit de cette situation politique médiocre, qui recouvrait en plus une situation sociale misérable de la paysannerie analphabète en majorité, la Galicie autrichienne jouissait d’un régime relativement libéral qui permettait dans une grande mesure l’expression du nationalisme ukrainien.
Les dirigeants ukrainiens de Galicie se partageaient en deux tendances, toutes les deux hostiles au gouvernement de Vienne dont l’une était favorable à la Russie, autour du journal "Slovo" (Parole), l’autre – populiste – recherchant un accord avec les Polonais en vue d’un partage de la Galicie. L’échec de cette dernière amena ses dirigeants à se rapprocher de ceux de l’autre tendance. Le mouvement populiste s’appuyait sur des organisations (hromadas) secrètes (la première se forma à Léopol en 1863), mais le libéralisme du régime autorisa la création en 1868 de la société "Prosvita" (Lumières), puis de "Ridna chkola" (société de pédagogie), Association des Sciences "Chevtchenko", "Sokil" (faucon) et "Sitch" (associations d’éducation sportive et para-militaires et enfin « Luh » (association de gymnastique et de pompiers) dont le but était d'élever le niveau intellectuel et d'éveiller la conscience nationale. Des intellectuels comme Ivan Franko (savant et poète), M.I.Pavlik (écrivain et homme politique), Mykhaïlo Hruchevski (historien), Kost Levytski (homme politique) et des artistes comme Solomiya Kruchelnytska y travaillaient sans entraves ni censure. L’université de Léopol possédait des chaires ukrainiennes. En 1890 Franko et Pavlik fondèrent le Parti radical ukrainien qui répondait plus aux aspirations de nouvelles générations déçues du populisme. Les revues "Narod" (peuple, nation) et "Khliborod" (paysan) devaient devenir le nouvel instrument d’éducation de masses paysannes et de propagande socialiste et nationale. Elles menaient une campagne d’opposition à la fois au gouvernement et à la tendance populiste. En 1895 le parti réclama l’indépendance du peuple ukrainien mais se scinda vers 1900 en trois tendances : radicale, national-démocrate et social-démocrate.
Il en était de même du côté polonais. Grâce au nouveau statut d’autonomie le gouvernement local, toujours dirigé par un Polonais, disposait de libertés dans les domaines de l’économie locale, transport et communication, instruction et santé. Des associations à caractère éducatif et éditorial purent être fondées comme par exemple Macierz Polska we Lwowie (Mère polonaise à Léopol) en 1882 publiant les œuvres de littérature polonaise et encyclopédies entre autres, bon marché et donc accessibles au plus large public (1.5 million d'ouvrages jusqu'en 1914).
Les différents partis politiques polonais se formèrent et furent représentés au Landtag ainsi qu'au parlement de Vienne. Les Stańczycy et les Podolacy (de Podolie) représentaient les propriétaires fonciers à partir des années 1860. Ils prônaient à la fois l'élargissement des droits nationaux en Galicie pour les Polonais (alors qu'ils le refusaient pour les Ruthènes et les Juifs) et la fidélité à l'empire tout en condamnant les mouvements irrédentistes ou révolutionnaires. Collaborant avec le pouvoir de Vienne ils étaient majoritaires dans le Cercle polonais au sein du Conseil d'Etat. Craignant l'émancipation de la paysannerie et de la classe ouvrière ils constituèrent le Parti de la Droite nationale en 1907. D'autres partis, au contraire, militaient pour l'émancipation et les droits sociaux (Parti paysan, Parti du progrès, Parti social-démocrate de la Galicie et de la Silésie de Cieszyn, Parti démocrate).
La Galicie devint ainsi le principal centre politique du mouvement national polonais alors que les territoires polonais aux mains des Prussiens et des Russes ne disposaient pas de telles libertés et subissaient une politique de germanisation ou russification, la scolarité étant dans la langue de l'occupant. Comme les partis politiques, les associations de tout type fonctionnaient ici à l’instar de celles des Ukrainiens : "Sokól" (faucon, organisation créée d’abord en Bohême par Miroslav Tyrs en 1862), "Strzelec" (tireur), "Drużyny Bartoszowe" (organisations de type paramilitaire). Elles servirent à la formation des "Légions polonaises" dont le chef, Józef Piłsudski, les engagea comme détachements séparés dans l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale (cf. l'article Au nom de l'Empereur, du Tsar et du Kaiser).
Les Polonais et les Ukrainiens servirent durant la Grande guerre des deux côtés du front au nom du loyalisme monarchique, mobilisés comme tous les hommes valides par les Empires centraux et l’Empire russe. Les soldats polonais et ukrainiens restèrent fidèles en leur majorité aux gouvernements respectifs durant presque tout le conflit (jusqu'en 1917 en tout cas en Russie et plus longtemps en Autriche).
La région de Volhynie fut victime de grandes destructions durant la guerre, surtout au moment de l’offensive des armées des Puissances centrales en août – septembre 1915. Les armées russes en retraite détruisirent villes et villages, manoirs et châteaux en déportant la population à l’Est (stratégie de la terre brûlée pratiquée lors de la campagne napoléonienne en Russie, répétée plus tard par les Soviétiques, en été 1941, face à l’offensive nazie). Les deux contre-offensives russes firent reculer les Autrichiens et le front traversait la région du nord au sud entre 1915 et 1917.
Le 17 mars 1917 s'était constituée à Kiev comme conséquence de la Révolution de février, la Rada centrale (Conseil central).
Mais la première manifestation d’une conscience nationale ukrainienne est le "Livre de la Genèse du peuple ukrainien" de Kostomarov, écrit en ukrainien et traduit en russe pour marquer la différence entre les deux "nations". Au milieu du siècle les travaux du comparatiste Franc Miklošič et du philologue Oleksander Potebnia, fondateur de la langue scientifique, élevèrent définitivement l’ukrainien au statut de langue. L’insurrectionde 1863 mit fin à cette relative tolérance, la question ukrainienne étant considérée par les insurgés comme polonaise. Le gouvernement russe affecta de croire à des menaces de séparatisme (qualifié de "mazepisme").
Aussi l’année 1863 inaugura-t-elle une nouvelle politique de répression, appuyée par les milieux russes les plus nationalistes et définie par la circulaire de Valouïev de 1863. Les revues existantes furent supprimées, la censure sur la langue ukrainienne, renforcée (voici l’exemple du point de vue officiel : "… il n’y a jamais eu de langue petite-russe il n' y en a pas et il ne peut pas y en avoir. La langue employée par le bas peuple n’est autre chose que du russe corrompu par l’influence polonaise"). Le nom d‘Ukraine comme celui de Pologne disparurent pour être remplacés par "Région du Sud-Ouest" et "Pays de la Vistule". L’oukaze d’Ems de 1876 interdit toute publication en ukrainien.
L’industrialisation du pays fit grandir l’importance d’une bourgeoisie ukrainienne, attachée aux valeurs nationales, et grossir le nombre de patriotes actifs. En 1897 se tint un congrès illégal des « hromadas » (sociétés secrètes radicales à l’origine des nationalistes ukrainiens) d’où émergea une organisation générale qui se métamorphosa plus tard en Parti démocrate ukrainien (en 1904). L’année suivante à Poltava la commémoration du centenaire de la publication de l’« Enéide » de Kotliarevsky se transforma en manifestation politique lorsque, après l’intervention des délégués de Galicie et de Bukovine dont le discours en ukrainien souleva l’enthousiasme des auditeurs, le délégué russe voulut à son tour s’exprimer dans sa langue maternelle, il se vit l’interdire par le représentant du gouvernement. Tous les délégués déchirèrent leurs propiskas mais le scandale n’entraîna pas de sanctions. L’interdiction de présenter des rapports en ukrainien au congrès de l’archéologie de Kiev en 1899 suscita une vague de protestations dans les grandes villes. Les municipalités et un certain nombre de « zemstvo » (représentations de nobles) réclamèrent au gouvernement l’introduction de l’enseignement en ukrainien dans les écoles élémentaires. La jeune génération, plus radicale, cherchait à se rapprocher des mouvements révolutionnaires ou lançait des revendications extrémistes comme celle de Mykolaï Mikhnovski d’une Ukraine "…seule, indivisible, libre, indépendante, des Carpates au Caucase", devise désavouée par son propre Parti révolutionnaire ukrainien dont le programme n’allait pas jusqu’à une rupture complète avec l’Empire. Mikhnovski fonda par la suite un nouveau parti (Pari national ukrainien).
La diversité des positions et l’émiettement d’un mouvement qui restait celui de minorités cultivées et qui engageait peu les masses populaires, étaient les caractéristiques de la situation politique de l’Ukraine vers 1900. Le sort des paysans, la condition ouvrière, les libertés fondamentales et la participation au pouvoir étaient les préoccupations plus importantes à l’échelle de l‘Empire qui, en plus, commençait à réaliser les dangers apparus à l’échelle européenne et mondiale. La révolution de 1905 fit trembler le régime et obligea Nicolas II à des concessions. Les revues ukrainiennes se multiplièrent, la langue ukrainienne était enseignée à tous les niveaux, les œuvres de Chevtchenko et d’autres, publiées, et en 1907, l’Académie impériale reconnut que l’ukrainien n’était pas un simple dialecte du russe, mais une véritable langue. La première Douma, composée de 98 membres, comporta 40 députés ukrainiens, dans la deuxième ils étaient 47 mais dans la 3e, celle des "seigneurs", élue de façon moins démocratique, les Ukrainiens ne disposaient plus d’une tribune politique. La crainte de la guerre et le nationalisme grand-russien, poussa le gouvernement à rogner les libertés accordées. En 1910 ne paraissait qu’un seul quotidien en ukrainien, la "Rada" et la répression s’abattit sur le "séparatisme" ukrainien. Les hommes et les publications se réfugièrent de nouveau dans la clandestinité ou retrouvèrent le chemin de l’exil à l’étranger (Galicie ou Bukovine, Prague, Vienne ou Suisse). L’année 1914, à l’occasion du centenaire de la naissance de Chevtchenko, fut le théâtre d’affrontements entre les nationalistes russes et ukrainiens. La presse gouvernementale, ultra nationaliste et cléricale déchaîna une campagne anti-ukrainienne, dans laquelle la Galicie orientale était perçue comme le "Piémont de l’Ukraine" : journaux restant interdits, écoles, bibliothèques, institutions scientifiques fermées. Un rapport au grand-duc Nicolas, après l'invasion de la Galicie orientale (Lemberg occupée le 3 août 1914) et de la Bukovine, déclara : "l’ukrainisme n’est qu’une armée forgée par le gouvernement de Vienne". La langue russe devait remplacer l’ukrainien (ainsi que le polonais et l'allemand) et le clergé orthodoxe russe, venu de Kiev et de l'éparchie de Chełm, exerça une forte pression sur le clergé uniate en vue de le rallier. Jusqu'au début de l'année 1915, 60 paroisses et 100 000 fidèles uniates rejoignirent l'Église orthodoxe.
L'archevêque de Volhynie et de Jitomir, Eulogius Guiéorgyévski, dirigea les structures orthodoxes en Galicie orientale et l'action de propagande contre l''Église uniate durant l'occupation russe (fin 1914-début de l'été 1915)
Le métropolite Andrey Szeptycki, résidant à Lemberg (Léopol), fut puni pour sa résistance et déporté en Russie, à Souzdal, dans la prison réservée aux ecclésiastiques. Ces mesures provoquèrent des protestations à la Douma dont celles de Milioukov et plus tard de Kerenski. Les empires centraux en allaient faire un bon usage, par la suite, en soutenant un Comité de libération de l’Ukraine, créé à l’étranger et publiant des cartes du pays à libérer couvrant 900 000 km2 et qui s’étendait jusqu’à la Caspienne.
La carte de l'Ukraine de 1917, présentée par le député de la Rada suprême actuelle, Youri Bereza.
Territoires annexés par l’Autriche
La situation des Ukrainiens se présentait tout autrement en Galicie autrichienne. Cette terre fut depuis les siècles le théâtre de rivalité entre deux éléments ethniques surtout dans les parties orientale et méridionale.
Dans la première phase le processus de polonisation se poursuivit. La colonisation menée par la noblesse polonaise ainsi que la propagation de la langue et des coutumes polonais contribuèrent à l'accélération du processus dans la partie orientale où l'élément ruthène dominait. La noblesse et l'aristocratie ruthènes, minoritaires, et les couches plus éclairées issues du substrat populaire avaient succombé à ce processus en fusionnant avec la société polonaise. Ainsi encore avant les partages s'était formé un type d'habitant qui qualifiait son identité en ces termes: gente Ruthenus natione Polonus. Mais un processus inverse eut lieu aussi dans la période avant l'autonomie. Certains colons polonais venus de l'Ouest et installés par les propriétaires fonciers sur leurs territoires subissaient l'influence de leurs voisins et se ruthénisaient à leur tour. Ainsi la division ethnique dans la Galicie orientale passait par les couches sociales. En simplifiant on peut dire que le paysan était ruthène (et de confession gréco-catholique) et le seigneur, propriétaire foncier, polonais (et catholique).
La genèse des tensions polono-ruthènes en Galicie autrichienne remonte au Printemps des peuples. Franz von Stadion fut nommé gouverneur de la Galicie et le véritable instigateur du réveil national ukrainien. Pratiquant la politique de diviser pour mieux régner il proclama le 22 avril 1848, sans consultation de Vienne, la suppression du servage et des corvées libérant ainsi les paysans ruthènes (et polonais) d'obligations à l'égard de leurs seigneurs polonais (qui devaient tout de même être dédommagés par un fond gouvernemental). Pour combattre l'élément polonais dominant il permit la création de la Holovna Rada Ruska (Conseil principal ruthène), appelé aussi Conseil de saint Georges car ses membres étaient en partie les chanoines de la cathédrale uniate saint Georges de Léopol et qui dirigeaient alors le mouvement politique ruthène. En échange de concessions religieuses et politiques ils appuyaient le pouvoir de Vienne. Ce Conseil élabora pour la première fois un programme politique des Ruthènes galiciens en affirmant qu'ils constituaient une nation de 15 millions d'habitants distincts aussi bien des Polonais que des Russes. Il se battit pour défendre les intérêts de l'Église ainsi que pour l'instauration de la langue ukrainienne dans les écoles et l'administration de la Galicie orientale. Il exigeait même la création d'une province séparée avec l'administration ruthène.
Bien que les jeunes membres de l'intelligentsia issus du Conseil eussent l'aspiration de représenter toute la nation ruthène, d'esprit antidémocratique, ils se désintéressaient des masses paysannes. C'est pour cela que le Conseil ne mena pas, dans ses premières années, d'activité d'enseignement et ne tenta pas de les organiser. Son plus grand succès fut la création à Léopol, avec l'accord de Vienne, de la Maison nationale qui devint le principal centre de tout le mouvement ruthène.
Le nouveau gouverneur nommé en janvier 1849, le comte Agenor Gołchowski qui représentait les propriétaires fonciers polonais, entreprit de paralyser l'activité du Conseil ruthène en dénonçant ses liens avec la Russie. Originaire de Podolie où les Polonais constituaient une infime minorité de nobles il mena une politique de concessions à l'égard de l'allemand dans l'administration et l'enseignement en Galicie occidentale contre l'extension du polonais dans l'enseignement en Galicie orientale. Il en dépendait le "maintien de l'identité polonaise dans la mer de population ruthène".
L’attitude des Polonais qui reçurent l'administration de la Galicie en 1861, ressemblait à celle des Russes, c’est-à-dire, les Ukrainiens ne représentaient pas un cas particulier mais constituaient une branche ruthène du peuple polonais. C’est seulement lorsque les Ukrainiens apparurent comme une force politique puissante que Vienne décida de reprendre la politique de division et de détournement du sentiment national ukrainien contre les Polonais.
Les territoires polonais annexés par l'Autriche en 1795: en vert - la République de Cracovie, en jaune - le territoire annexé au Grand Duché de Varsovie puis au Royaume du Congrès (russe), en bleu - la région de Zamość (russe après 1815), en marron clair - la Galicie, en gris - la région de Tarnopol (russe après 1815), en rose - la Bucovine (province séparée, Kronland, Herzogtum Bukowina, à partir de 1849).
La Bucovine fut attachée en 1787 à la Galicie puis séparée en 1849. La région, dont le fond était moldave et slave (Ruthènes des basses terres et les montagnards, appelés Huculi en polonais et ukrainien, lis Houtsouli, et apparentés aux Ruthènes ; cf. le film de Paradjanov "Chevaux de feu", mais aussi Stanisław Vincenz, auteur d'une trilogie "Sur la haute polonina", consacrée à ce peuple de montagnards, publiée par la Kultura à Paris, méconnu du public français).
La région qui s’était enrichie entre le XIVe et XVIIe siècle d’éléments divers : roumanophones, arméniens, hongrois, polonais et juifs, avait déjà donc un caractère multi-ethnique, lorsque l’Autriche s’en empara. Les colons allemands et polonais (des montagnards de Silésie autrichienne, venus au début du XIXe s. puis d’autres tant que le pays appartenait à la Galicie) ainsi que les juifs fuyant l’Ukraine russe renforcèrent encore le caractère particulier de cette contrée. L’empereur Joseph II, qui nommait toute l’administration locale et les dignitaires ecclésiastiques, permit un certain développement de l’instruction en plusieurs langues (ukrainienne, roumaine, allemande, polonaise, hongroise et juive). Depuis 1849, elle forma, sauf dans une courte période (1859-1861), une province particulière de l’Empire sous le nom de "duché de Bucovine", avec un parlement local (Landtag) à Czernowitz. Sous François-Joseph Ier la vie culturelle de différentes communautés fut encouragée et sa capitale, Czernowitz, en profita pour se moderniser (système de canalisation, électricité, pavement de rue et même tramway). Les ingénieurs polonais de Léopol construisirent le chemin de fer reliant la capitale de la Galicie à Jassy (en Roumanie) qui passait par Czernowitz et Suczawa et qui permettait la liaison mer Baltique-mer Noire. En 1875 on y ouvrit une université où se créèrent des organisations d’étudiants en fonction de leur appartenance ethnique dont "Soïouz"(Union) ukrainienne, « Allemania » et « Austria », « Ognisko » (Foyer) et « Lechia » polonaises ou encore « Karima » sioniste et « Zefira » et « Hebronia » juives.
Selon le recensement de 1857 la Bucovine comptait 4 558 000 habitants dont 44,6 % de Roumains, surtout au Sud, aux fortes différences sociales ; 38,2 % de Ruthènes et Houtsoules, pauvres paysans et bergers sans tradition citadine ; 6,4 % d’Allemands, employés, artisans qualifiés, ingénieurs de mine et de métallurgie ; 6,5 % de Juifs, habitant villes et bourgades, commerçants et artisans, médecins, avocats et journalistes ; 3 % de Polonais, citadins qui constituaient le 2e groupe ethnique dans la capitale après les Juifs ; 1,6 % de Hongrois ; 0,57 % de Russes vieux-croyants ayant fui les persécutions ; 0,1 % d’Arméniens. Trois quarts de la population, en majorité analphabète, vivaient des activités agricoles et pastorales en 1880 et ce jusqu’à la fin du XIXe siècle. Comme la majorité (60 %) des paysans n’avaient pas plus de 2 ha alors que 40 % des terres étaient détenues par les grands propriétaires il en résulta une forte émigration aux États-Unis et au Brésil (cf. « Bukovina Society of Americas » qui fonctionne encore aujourd’hui). Au début du XXe siècle la composition confessionnelle se présentait comme suit : orthodoxes (Roumains et Ukrainiens) – 68,44 % ; israélites – 12,86 % ; catholiques (Polonais, Hongrois et Allemands) - 12,23 % ; calvinistes et luthériens (Allemands et Hongrois) – 2,56 %, sans compter les vieux-croyants russes, les Arméniens catholiques et de rite oriental et les Roms (0,7 % - 6000 ?). Un des représentants des Juifs de Bucovine est l’écrivain israélien Aharon Appelfeld dont de nombreux livres ont été publiés en France comme par exemple son autobiographie "Histoire d’une vie" qui évoque la patrie perdue (une excellente bibliographie existe, malheureusement pour les francophones, en polonais (cf. Bukowina de Wikipédia).
La Ruthénie transcarpatique, appelée aussi subcarpatique par les Roumains et les Hongrois, relevait de Budapest depuis le XIIIe siècle et englobait la haute vallée de Cisa (Tisza en hongrois). Selon le recensement de 1846 la population comptait 469 000 habitants comme suit : 235 000 Ruthènes, 120 000 Hongrois, 65 000 Juifs, 14 000 Slovaques, 10 000 Allemands. Les Autrichiens y créèrent un réseau d’écoles primaires avec deux langues : ruthène et slovaque. La région subit des destructions dues aux révoltes et l’insurrection hongroise de 1848 et fut transformée momentanément en district ruthène séparé de la monarchie hongroise (1849-1850). Extrêmement pauvre, elle devint dans la seconde moitié du XIXe siècle une terre d’émigration vers les États-Unis, l’Uruguay, l’Argentine et l’Australie (entre 200 000 et 400 000 personnes). Le recensement de 1880 donna 59,5 % de Ruthènes, 25,7 % de Hongrois, 7,8 % d’Allemands, 4,1 % de Roumains, 2,1 % de Slovaques et Tchèques, 0,5 % pour les autres.
En 1910, la
population de Transcarpatie comprenait 605 942 personnes, dont 330 010 (54,5%)
locuteurs de ruthène, 185 433 (30,6%) locuteurs de hongrois, 64 257 (10,6%)
locuteurs de langue allemande, 11 668 (1,9%) locuteurs de langue roumaine, 6
346 (1%) locuteurs de slovaque / tchèque et 8 228 (1,4%) locuteurs d'autres
langues. Les Juifs semblent être comptabilisés parmi ces derniers.
Le siège du Landtag de Galicie-Lodomérie à Léopol, 1898
Après la signature du compromis avec les Polonais en 1861, l’autonomie de Galicie (cf. la constitution de 1867) consistait en la création d'un parlement local, Diète ou Landtag à Léopol, la polonisation de l’administration et de l’instruction ainsi que de l’université et de la polytechnique de Léopol et enfin la nomination du gouverneur polonais contre l'appui au parlement de Vienne. Les Autrichiens considérèrent alors le problème ukrainien comme une affaire interne polonaise. Grâce à cette politique la ruthénisation des paysans polonais fut stoppée et l'identité politique polonaise ne cessa d'accroître parmi les habitants de la Galicie orientale jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1880 l'usage du polonais y déclarait 28.1% de la population, en 1890 - 31.2%, en 1900 - 33.5%. En 1910 39.7% de la population déclarait parler le polonais à la maison.
Mais comme le yiddish était considéré comme un jargon (y compris par ses représentants même), les Juifs (10.9% en 1910) penchaient majoritairement pour le polonais. Par exemple selon "Ojczyzna", la revue bimensuelle polono-juive paraissant à Léopol entre 1881 et 1892, la majorité des corporations et associations juives utilisaient l'allemand en 1881 mais 10 ans plus tard le polonais le remplaça. Cette période fut marquée par un fort mouvement assimilationniste. Le courant intégrationniste, plus radical que le camp plus traditionaliste de Haskala qui était représentée par la revue rivale, "Der Israelit" germanophone, combattait l'allemand et prônait l'assimilation au sein de la société polonaise. Ce mouvement allait prendre fin vers la fin du XIXe à cause de l'antisémitisme régnant et du développement du sionnisme. Les hassidim, nombreux en Galicie et les orthodoxes demeuraient séparés du reste de la population en utilisant le yiddish.
La population catholique constituait 25.3% du total mais là aussi on peut supposer que certains uniates se considéraient comme Polonais d'où la différence de 2%. Ainsi on peut estimer à 27-28% les Polonais vivant en Galicie orientale. Leur croissance s'explique aussi par le développement de l'extraction de pétrole et d'ozokérite dans le bassin d'exploitation Boryslaw-Drohobycz (3e rang mondial en 1909) dont de nombreux ouvriers furent appelés à venir de l'Ouest. Jusqu'à la fin de l'autonomie les Polonais n'étaient majoritaires que dans la ville de Léopol ainsi que dans quelques districts: à l'Ouest de la capitale, vers la Petite Pologne (Jarosław, Przemyśl, Brzozów) mais aussi à l'Est (Trembowla, Tarnopol, Skałat).
Les villes et bourgades étaient habitées par une importante population juive (en 1900 - 72.1% à Brody, plus de 50% à Tarnopol, Buczacz, Rawa Ruska, Stanisławów, Kołomyja mais seulement 28% à Léopol).
Puits de pétrole en Galicie. Lithographie 1881
Néanmoins les Ukrainiens vivant sous la domination polonaise disposaient de bien meilleures conditions de développement de leur culture nationale que leurs frères vivant sous le joug tsariste. Autre raison de ce développement était le niveau de vie supérieur ainsi qu'un plus grand taux d’urbanisation en Galicie. Les Ukrainiens habitaient sa partie orientale (Ruthénie) mais y constituaient une minorité dans les villes dominées par les Juifs et les Polonais. Ils revendiquaient la division de la Galicie, où, à l’Est, ils auraient la majorité, et le suffrage démocratique. Jusqu’à la fin de l’Empire austro-hongrois la vie politique de la Galicie fut dominée par les conservateurs, partisans du compromis mais l’éclosion des mouvements nationalistes préparait un sombre avenir.
Un courant russophile très fort portait l’intelligentsia ukrainienne vers le grand voisin de l’Est. Le fait qu’elle fut en partie cléricale et composée de prêtres uniates, frères de l’Église orthodoxe, n’affaiblit pas ce courant, alors que leurs positions étaient plutôt de nature conservatrice, les régimes monarchiques étant perçus par eux comme protecteurs de la tradition. Un de leurs représentants (père Ivan Naumovitch) ne déclara-t-il pas : "Placés devant un choix, nous préférons nous noyer dans l’océan russe que dans le marais polonais". Malgré la loi d’autonomie (1861) et le régime constitutionnel dualiste (Ausgleich, 1867 qui de fait donnait le pouvoir administratif aux Polonais) les Ukrainiens conservèrent un certain nombre de libertés inconnues de l’autre côté de la frontière, en particulier l’emploi de la langue dans les écoles primaires. Ils reçurent des droits théoriquement égaux à ceux des autres nationalités. La Galicie continua à être dominée par une riche aristocratie polonaise de grands propriétaires (1500 familles possédaient 42 % du sol) ayant le monopole de la fabrication et de la vente de la vodka, et par une bourgeoisie urbaine polonaise et juive. Le système électoral des « curies », du Parlement de Vienne à la Diète de Galicie, défavorisait les Ukrainiens qui n’étaient représentés que dans les curies paysannes. En dépit de cette situation politique médiocre, qui recouvrait en plus une situation sociale misérable de la paysannerie analphabète en majorité, la Galicie autrichienne jouissait d’un régime relativement libéral qui permettait dans une grande mesure l’expression du nationalisme ukrainien.
Les dirigeants ukrainiens de Galicie se partageaient en deux tendances, toutes les deux hostiles au gouvernement de Vienne dont l’une était favorable à la Russie, autour du journal "Slovo" (Parole), l’autre – populiste – recherchant un accord avec les Polonais en vue d’un partage de la Galicie. L’échec de cette dernière amena ses dirigeants à se rapprocher de ceux de l’autre tendance. Le mouvement populiste s’appuyait sur des organisations (hromadas) secrètes (la première se forma à Léopol en 1863), mais le libéralisme du régime autorisa la création en 1868 de la société "Prosvita" (Lumières), puis de "Ridna chkola" (société de pédagogie), Association des Sciences "Chevtchenko", "Sokil" (faucon) et "Sitch" (associations d’éducation sportive et para-militaires et enfin « Luh » (association de gymnastique et de pompiers) dont le but était d'élever le niveau intellectuel et d'éveiller la conscience nationale. Des intellectuels comme Ivan Franko (savant et poète), M.I.Pavlik (écrivain et homme politique), Mykhaïlo Hruchevski (historien), Kost Levytski (homme politique) et des artistes comme Solomiya Kruchelnytska y travaillaient sans entraves ni censure. L’université de Léopol possédait des chaires ukrainiennes. En 1890 Franko et Pavlik fondèrent le Parti radical ukrainien qui répondait plus aux aspirations de nouvelles générations déçues du populisme. Les revues "Narod" (peuple, nation) et "Khliborod" (paysan) devaient devenir le nouvel instrument d’éducation de masses paysannes et de propagande socialiste et nationale. Elles menaient une campagne d’opposition à la fois au gouvernement et à la tendance populiste. En 1895 le parti réclama l’indépendance du peuple ukrainien mais se scinda vers 1900 en trois tendances : radicale, national-démocrate et social-démocrate.
Il en était de même du côté polonais. Grâce au nouveau statut d’autonomie le gouvernement local, toujours dirigé par un Polonais, disposait de libertés dans les domaines de l’économie locale, transport et communication, instruction et santé. Des associations à caractère éducatif et éditorial purent être fondées comme par exemple Macierz Polska we Lwowie (Mère polonaise à Léopol) en 1882 publiant les œuvres de littérature polonaise et encyclopédies entre autres, bon marché et donc accessibles au plus large public (1.5 million d'ouvrages jusqu'en 1914).
Les différents partis politiques polonais se formèrent et furent représentés au Landtag ainsi qu'au parlement de Vienne. Les Stańczycy et les Podolacy (de Podolie) représentaient les propriétaires fonciers à partir des années 1860. Ils prônaient à la fois l'élargissement des droits nationaux en Galicie pour les Polonais (alors qu'ils le refusaient pour les Ruthènes et les Juifs) et la fidélité à l'empire tout en condamnant les mouvements irrédentistes ou révolutionnaires. Collaborant avec le pouvoir de Vienne ils étaient majoritaires dans le Cercle polonais au sein du Conseil d'Etat. Craignant l'émancipation de la paysannerie et de la classe ouvrière ils constituèrent le Parti de la Droite nationale en 1907. D'autres partis, au contraire, militaient pour l'émancipation et les droits sociaux (Parti paysan, Parti du progrès, Parti social-démocrate de la Galicie et de la Silésie de Cieszyn, Parti démocrate).
La Galicie devint ainsi le principal centre politique du mouvement national polonais alors que les territoires polonais aux mains des Prussiens et des Russes ne disposaient pas de telles libertés et subissaient une politique de germanisation ou russification, la scolarité étant dans la langue de l'occupant. Comme les partis politiques, les associations de tout type fonctionnaient ici à l’instar de celles des Ukrainiens : "Sokól" (faucon, organisation créée d’abord en Bohême par Miroslav Tyrs en 1862), "Strzelec" (tireur), "Drużyny Bartoszowe" (organisations de type paramilitaire). Elles servirent à la formation des "Légions polonaises" dont le chef, Józef Piłsudski, les engagea comme détachements séparés dans l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale (cf. l'article Au nom de l'Empereur, du Tsar et du Kaiser).
La Première Guerre mondiale et ses conséquences
La carte du gouvernement de Volhynie de l'état-major russe avec quelques noms de ville en polonais rajoutés. Distances exprimées en verstes, altitude exprimée en pieds.
Les Polonais et les Ukrainiens servirent durant la Grande guerre des deux côtés du front au nom du loyalisme monarchique, mobilisés comme tous les hommes valides par les Empires centraux et l’Empire russe. Les soldats polonais et ukrainiens restèrent fidèles en leur majorité aux gouvernements respectifs durant presque tout le conflit (jusqu'en 1917 en tout cas en Russie et plus longtemps en Autriche).
La région de Volhynie fut victime de grandes destructions durant la guerre, surtout au moment de l’offensive des armées des Puissances centrales en août – septembre 1915. Les armées russes en retraite détruisirent villes et villages, manoirs et châteaux en déportant la population à l’Est (stratégie de la terre brûlée pratiquée lors de la campagne napoléonienne en Russie, répétée plus tard par les Soviétiques, en été 1941, face à l’offensive nazie). Les deux contre-offensives russes firent reculer les Autrichiens et le front traversait la région du nord au sud entre 1915 et 1917.
Le 17 mars 1917 s'était constituée à Kiev comme conséquence de la Révolution de février, la Rada centrale (Conseil central).
Elle fut créée par la
Société des Ukrainiens progressiste une organisation secrète fondée en 1908 par
les membres du Parti radical démocratique ukrainien dans le but de
coordonner le mouvement national ukrainien et de sa défense face au
nationalisme grand-russe après la dissolution de la Douma en 1907. Parmi ses
membres on comptait aussi les socio-démocrates et des personnalités sans
appartenance politique dont Mykhaïlo
Hrouchevsky, Serhiy Okhrimenko, Symon
Petliura, Volodymyr Vynnytchenko, Dmytro
Dorochenko, Viatcheslav Prokopovytch,Fedir
Chteinguel (ou Theodor von Steinheil). Ils n'envisageaient pas une Ukraine
indépendante mais considéraient que la Russie devait octroyer les mêmes droits
dont disposaient les Ruthènes en Galicie. Leur programme prévoyait
l'introduction de l'ukrainien dans l'enseignement, l'administration, les
tribunaux et l'Eglise. La Société propageait ses idées dans deux journaux, l'un
Rada publié à Kiev et l'autre Ukraïnskaia zhizn (Vie ukrainienne) qui
paraissait à Moscou. Ses antennes (hromada, à l'exeption de celle de Saint
Pétersbourg) entretenaient de bonnes relations avec l'opposition dans la IIIe
et la IVe Douma, en particulier avec les leaders du Parti constitutionnel démocratique et le groupe
d'autonomistes-fédéralistes. Après la création de la Rada, le dernier congrès
de la Société qui eut lieu le 17 avril, vota la résolution de la lutte par les
moyens légaux pour l'autonomie de l'Ukraine dans le cadre de l'Empire russe et
se transforma en Union des autonomistes-fédéralistes ukrainiens qui devint en
juin le Parti ukrainien des socialistes fédéralistes.
Le 19 avril 1917 se
réunit à Kiev le Congrès national ukrainien, au cours duquel 900 délégués de
toute l'Ukraine russe élurent 150 représentants au Conseil central et
approuvèrent Mikhaïlo Htouchevsky comme président. Le 17 mai 1917, des
représentants des milieux militaires ukrainiens se joignirent au Conseil, ainsi
qu'en juin ceux de la paysannerie. Le Conseil central comprenait également des
représentants des travailleurs et des minorités nationales. La Rada centrale allait voter 4 déclarations.
La Ire instituait une Ukraine autonome au sein de la Russie fédérale avec le Secrétariat général comme pouvoir executif, composé de 8 ministère et dirigé par V.Vynnytchenko. Après le refus des exigences d'autonomie ukrainienne, le Gouvernement provisoire signa un accord le 15 juillet, sa position devenue affaiblie par la contestation intérieure et les difficultés sur le front.
La partie
ukrainienne acceptait de reporter la question de l'autonomie jusqu'à la
convocation de l'Assemblée législative panrusse (Constituante). À son tour, le
Gouvernement provisoire reconnaissait le Conseil comme son représentant dans
cinq gouvernorats (Kiev, Podolie, Poltava, Volhynie et Tchernihov) et déléguait
les pouvoirs exécutifs au Secrétariat général.
La IIe déclaration reproduisait les décisions de l'accord avec le Gouvernement provisoire qui, un mois plus tard, le 17 août, le remettait en question en réduisant le rôle du Secrétarait général à l'execution des ordres du pouvoir central russe. Incapable de saisir l'occasion de la crise en Russie, perpétrée dans les débats partisans entre les membres dépourvus d'expérience, reportant les décisions importantes sur le plan d'approvisionnement des ville, de la sécurité et de la création d'une armée et surtout la question de la réforme agraire, la Rada centrale perdait l'appui populaire.
Le traité de Brest-Litovsk donna à l’État ukrainien la Volhynie en même temps que la terre de Chełm et la Polésie. Il en résulta le retrait de l’armée autrichienne remplacée par l’armée allemande qui occupa la région ainsi que toute l’Ukraine jusqu’en décembre 1918 puis s’en emparèrent les partisans de Petlioura.
République de Pologne 1918-1920.
Légende (de haut en bas et de gauche à droite): territoires libérés en novembre 1918, premiers centres du pouvoir polonais, soulèvement de la Grande Pologne, la plus large extension des soulèvements silésiens, territoires attribués à la Pologne par le traité de Versailles, territoires dominés par le Pologne jusqu'en 1920, territoires attribués à la Pologne par le Conseil des Ambassadeurs, Lituanie centrale en 1920, annexée par la Pologne en 1922, territoires des plébiscites gagnés par la Pologne et l'Allemagne, batailles importantes, expédition militaire polonaise sur Kiev (avril-mai 1920), offensive des armées bolchéviques, la plus large extension de l'avancée bolchévique, contre-offensive polonaise, frontières définitives en 1922
En 1918 la Pologne devint de nouveau indépendante mais ses frontières n'étaient pas fixées à l'Est. Les Alliés étaient favorables à une suggestion du secrétaire du Foreign Office, lord Curzon, qui proposait de les limiter aux territoires purement polonais (ligne Curzon), chose irréalisable vu le caractère de mosaïque du peuplement de ces régions (Ukrainiens-orthodoxes des territoires russes, dits Ruthènes-uniates en Galicie autrichienne, Polonais catholiques et autres). Les Polonais, au nom de leurs "droits historiques", voulaient revenir aux frontières antérieures au "premier partage de la Pologne" en 1772 et annexer la partie occidentale de l'Ukraine (la Galicie orientale autrichienne et la Volhynie russe, occupées par les puissances centrales avant leur défaite en 1918).
L’État polonais, renaissant des trois parties distinctes n’ayant pas connu pendant plus d’un siècle la même expérience politique et économique des puissances occupantes (Autriche, Prusse et Russie), n’avait pas encore concrétisé en novembre 1918 la forme de son régime politique. Son gouvernement à Varsovie, reconnu par les Alliés seulement en janvier 1919, a déclaré qu’en attendant l’élection d’une assemblée (Diète) constituante Józef Piłsudski était le chef de l’État aux larges pouvoirs législatifs et exécutifs et que cet État avait pour régime la république. Le manifeste du gouvernement (21 novembre 1918) en faisait un régime à caractère populaire (décrets de la journée de 8 huit heures et assurance maladie pour les ouvriers) et annonçait « une réforme agraire radicale et les nationalisations des branches mûres à cet effet de l’industrie » dont les modalités seraient votées par l’assemblée constituante à venir. En même temps le gouvernement se détachait de l’idée de la révolution et proclamait la volonté de fonder un régime de démocratie parlementaire (l’ordonnance électorale garantissait le scrutin universel égal, secret et proportionnel à tous les habitants du pays de plus de 21 ans sans distinction de sexe). Les élections ont été convoquées pour le 26 janvier 1919 mais le gouvernement ne contrôlait, à ce moment-là, que la partie russe de la Pologne (ancien Royaume du Congrès, créé en 1815).
Les derniers mois d’occupation autrichienne en Galicie virent s’opérer un changement de la politique à l’égard de la cause ukrainienne. Certains éléments considéraient que, si les Polonais aspiraient à l’indépendance (le 15 octobre 1918 les députés polonais de Galicie autrichienne avaient retiré leur allégeance à la couronne d'Autriche pour se joindre à la nouvelle Pologne), il devait être de même pour les Ukrainiens, qui, pouvant par ailleurs s'estimer brimés par le "double joug austro-polonais", surtout dans la partie orientale, coincés entre la Russie bolchevique et la Pologne renaissante, allaient préférer se placer du côté autrichien. Ainsi les généraux autrichiens, sans consulter l’état-major, concentrèrent-ils des détachements militaires où dominait l’élément ukrainien dans la partie orientale et surtout à Léopol, capitale de la Galicie, siège du parlement local. La nuit du 30 octobre au 1 novembre 1918 les Ukrainiens, dont les délégués de Galicie orientale mais aussi ceux de la Bukovine, de la Ruthénie transcarpatique, jadis administrées par Budapest, au nom de l'Ausgleich de 1867, s’y réunirent, s’en emparèrent et proclamèrent la République Populaire d’Ukraine Occidentale (RPUO).
Certains quartiers de la ville, peuplée en majorité de Polonais (alors que les campagnes environnantes étaient habitées par les Ukrainiens), organisèrent la défense et des combats acharnés opposèrent les deux parties. Le secours polonais venu de l’Ouest permit la reprise totale de la ville (22 novembre) et de la ligne du chemin de fer la reliant à la Galicie occidentale, alors que la guerre polono-ukrainienne sévissait plus à l’Est. Dans la mémoire polonaise s’est gravé pour toujours le sacrifice des enfants de 13 à 17 ans ayant pris part aux combats (« Aiglons de Lwów » dont on a dressé le monument funéraire après la guerre et qui a été récemment restauré par les soins de la Pologne et des Polonais restés à Léopol après la Seconde Guerre mondiale en accord avec le gouvernement de l’Ukraine indépendante, mais dont la réalisation avait été bloquée longtemps par les autorités de la ville).
Monument aux Aiglons de Lwów 1939
La RPUO entra en contact avec Kiev où Simon Petlioura s'établit au nom de la Rada, après l'effondrement du régime germanophile de l'hetman Pavel Skoropadsky qui ne survécut pas à la défaite de ses protecteurs (les Allemands avaient créé, après le traité de Brest-Litovsk, un État ukrainien fantoche afin de pouvoir exploiter sans limites les richesses agricoles et minières du pays) et s’enfuit le 14 décembre.
L'Ukraine au début de 1919: en vert foncé - République populaire d'Ukraine (Kiev), en vert clair - République populaire d'Ukraine occidentale (Léopol)
Le 22 janvier 1919 la Rada de Kiev ratifia l'union des deux républiques ukrainiennes sous une forme fédérale. C'était un vœu pieux car, dès le 15 novembre 1918, les éléments galiciens de la nouvelle Armée polonaise prirent toute la Galicie et Léopol fut abandonnée par les Ukrainiens la nuit du 21. Peu après les bolcheviques déclenchèrent une offensive qui les ramena à Kiev le 5 février. La Rada s'enfuit à l'Ouest.
À la fin du mois de décembre 1918 le gouvernement de Varsovie contrôlait la région de Léopol mais les frontières étaient loin d’être stabilisées et encore moins reconnues. Des masses de prisonniers de guerre la traversaient, russes en direction de l’Est et allemands en direction de l’Ouest, sans compter les Polonais et les Ukrainiens revenant de captivité en Allemagne ou de déportation en Russie. Le nouveau pouvoir de gauche était contesté par les nationalistes polonais (ND) de Dmowski dont les critiques se dirigeaient plutôt contre le gouvernement que contre le chef de l’État, Piłsudski, qui, originaire de Lituanie, rêvait d’une fédération des États recouvrant les territoires d’avant les partages de la Pologne, idée, déjà caduque, vu les aspirations nationales des peuples qui les habitaient et qui avaient proclamé le désir d’une existence indépendante de la Pologne (grâce à la présence de l’armée allemande on proclama en mars 1918, à Minsk, la République populaire de Biélorussie et en octobre, à Vilna, la République de Lituanie, combattues toutes les deux par les bolcheviques afin de récupérer ces territoires de l’Empire russe et qui, après la victoire temporaire, instaurèrent la République socialiste lituano-biélorusse des Soviets le 27.02.1919 en y commettant des exactions et en éliminant les éléments potentiellement contre-révolutionnaires (c.f. l'article sur Wilno). D’autre part les partis révolutionnaires polonais rejetaient aussi toute l’idée d’autonomie et d’autodétermination réclamant plus de pouvoir aux soviets, rejetant l’élection de l’assemblée constituante et prônant la dictature du prolétariat.
Sur le plan international (la conférence de Paris commença ses travaux de préparation des traités de paix en janvier 1919) la France voulait jouer un rôle double de la protectrice de la Pologne mais aussi de l'Ukraine (grenier à blé) partant du postulat que les deux gouvernements étaient à la fois anti-allemands et anti-bolcheviques. Tandis que la Grande-Bretagne se méfiait de l’influence française dans cette région et du nationalisme polonais et, ignorant la réalité du terrain (Churchill à qui on présenta en 1919 une carte physique des confins biélorusses la prit pour une carte ethnique, difficile à réaliser par ailleurs à l’époque, et déclara que ce qui était vert foncé relevait des Biélorusses et le vert clair des Polonais), prônait les solutions de séparation ethnique (cf. ligne Curzon, ligne Foch et ligne Botha).
La ligne Barthélemy, proposée par le général français, dirigeant la commission d'armistice à Léopol, en janvier 1919, comme ligne de démarcation entre les forces ukrainiennes et polonaises. L'armistice signé le 24 février suite à l'action d'une autre commission alliée mais la ligne fut rejetée par les Ukrainiens et la guerre reprise le 2 mars.
Légende (de haut en bas): ligne de chemin de fer, villes, rivières, limite de la région, absence de revendications polonaises puis ukrainiennes
Le front à l'Est de la Pologne au milieu de février 1919
Légende (de haut en bas): positions des armées polonaises et sur la carte les commandants de groupes, directions d'attaque de l'Armée rouge au nord puis de l'Armée active de la République populaire d'Ukraine et de l'Armée de Galicie de la République populaire d'Ukraine occidentale.
Les Alliés tentèrent d'imposer un armistice entre Polonais et Ukrainiens, mais la grande offensive polonaise au-delà du Dniepr fut lancée le 16 mai 1919 avec le concours de l'armée Haller (c.f. mon article sur ce blog), transférée du front occidental et équipée par la France démobilisée, à qui on avait interdit toute implication dans ce conflit (le maréchal Foch était responsable sur place). La situation se compliquant encore plus et les Alliés, voulant empêcher la jonction des forces bolcheviques aux troupes de la République soviétique de Hongrie en juin-juillet, autorisèrent la Pologne à occuper militairement toute la Galicie, sous réserve de régler le sort de sa partie orientale ultérieurement (on y allait recenser en 1921 : 3 132 000 Ruthènes ou Ukrainiens, 2 144 000 Polonais y compris 659 000 juifs).
Le 1er septembre 1919 le gouvernement de la RPU de Kiev opéra un rapprochement avec les Polonais afin de signer un accord d’action commune contre l’Armée Rouge et de garder les arrières libres. Mais l'offensive des forces blanches de Denikine soutenues par la France et la Grande-Bretagne (Kiev fut prise le 31.08. et Orel atteinte le 20.10.) obligea l'hetman Petlioura en mauvais termes avec les Galiciens orientaux (RPUO) à franchir les lignes polonaises avec les débris de ses troupes. Il conclut avec Piłsudski un accord abandonnant à la Pologne la Galicie orientale et la Volhynie occidentale avec Równe et Krzemieniec moyennant l'aide polonaise pour la reprise de l'Ukraine orientale alors que les bolcheviques avaient repris Kiev le 16 décembre 1919. Le traité (Umowa Warszawska) signé le 21 avril 1920 garantissait les mêmes droits aux Ukrainiens restés en Pologne et aux Polonais habitant l’Ukraine orientale. Mais le traité de Riga, qui marquait la fin de la guerre russo-polonaise, en reconnaissant la RSFS de Russie et la RSS d'Ukraine annulait de fait les accords précédents signés avec la RPU. Pour les Ukrainiens c'était la trahison.
La signature du traité de Riga, le 18 mars 1921 par lequel la frontière, correspondant grosso modo au 2e partage de la Pologne de 1793, fut reconnue par officiellement par l'Ukraine soviétique (qui renonçait à la Galicie orientale) ainsi que la Russie qui le signait aussi au nom de la Biélorussie soviétique et qui incluait la Volhynie.
La IIe République de Pologne
La Diète constituante qui se réunit pour la première fois en février 1919, mais au complet seulement au milieu de l’année (394 députés dont 70 élus de Galicie occidentale et 28 anciens députés de Galicie orientale issus du parlement autrichien, étant donné les combats poursuivis dans cette zone contre l’armée de la RPUO et en Volhynie contre les forces de la République populaire ukrainienne de Kiev contre lesquelles les bolcheviques avaient lancé une contre-offensive, est dominée par les nationalistes polonais (140 députés, 30,5 % des suffrages exprimés lors des élections). Dans cette assemblée sont absents les représentants de la minorité ukrainienne et biélorusse alors qu’il y a 11 députés juifs et 2 allemands.
Le traité de Versailles fut signé le 29 juin 1919 par l’Allemagne mais aussi par la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie qui devaient signer également un traité complémentaire ("petit traité de Versailles") concernant le respect des minorités alors qu’une telle contrainte ne fut pas formulée à l’égard de la République de Weimar. Ainsi les minorités habitant ces États recevaient le droit d’adresser à la Société des Nations des plaintes contre leurs gouvernements. La cause polonaise redevint séduisante pour les Occidentaux car la traditionnelle ante murale ! Le Conseil Suprême des Alliés qui au départ comptaient sur la soumission des Ukrainiens au pouvoir des Armées blanches, vainqueurs des bolcheviques, décida après les succès de ces derniers, de confier à la Pologne un mandat de 25 ans sur la Galicie orientale le 21 novembre 1919, ce que Varsovie refusa et la proposition fut retirée le 22 décembre. Les péripéties de la russo-polonaise firent passer l'affaire sur l'arrière-plan. Elle réapparut au sein de la Société des Nations en février et en septembre 1921 mais le traité soviéto-polonais de Rīga (18 mars 1921) reconnut à la Pologne toute la Galicie avec Léopol. La conférence des Ambassadeurs (15 mars 1923) en prit acte en demandant à Varsovie des mesures d'autonomie en faveur des Ruthènes-Ukrainiens.
Carte physique.
Légende (de gauche à droite et de haut en bas): ville, chef-lieu de voïévodie; ville, chef-lieu de canton; autre ville; commune rurale; autres localités; agglomérations en nombre d'habitants puis rivière; routes pavées; routes en terre battue; chemins de fer à écartement étroit, chemins de fer à une voie; chemins de fer à une voie rapide; chemin de fer à deux voies; relief (altitude en mètres).
Légende (de gauche à droite et de haut en bas): ville, chef-lieu de voïévodie; ville, chef-lieu de canton; autre ville; commune rurale; autres localités; agglomérations en nombre d'habitants puis rivière; routes pavées; routes en terre battue; chemins de fer à écartement étroit, chemins de fer à une voie; chemins de fer à une voie rapide; chemin de fer à deux voies; relief (altitude en mètres).
La voïévodie de Volhynie, carte administrative et de communication.
Légende
(de haut en bas ): frontières de l’État, de voïévodie, de canton, de
commune, chef-lieu de canton, bourgade, chef-lieu de commune, sur la
carte lignes de chemin de fer et principales routes.
Le 15 mai 1923 la Pologne annexa la Galicie orientale ou l'ex-Ukraine occidentale. Ainsi la Volhynie comme la Galicie orientale furent incorporée à la Pologne qui au départ promit de respecter l'autonomie locale de ces territoires peuplés en majorité d'Ukrainiens.
La Diète constituante vota en juillet 1919 un début de la réforme agraire sous l’influence des partis paysans et socialistes mais, si le maximum était de 60 à 180 ha selon la catégorie de la terre à l’Ouest du pays, il fut augmenté à 400 ha à l’Est (Kresy en polonais) voire à 700 ha, si les exploitations étaient industrialisées. Les bénéficiaires prioritaires étaient les soldats et invalides de guerre, et ensuite les ouvriers agricoles et petits paysans. Ainsi, dès la fin de la guerre russo-polonaise, 10 000 soldats de l’Armée polonaise furent-ils installés dans les voïévodies orientales. Cette première colonisation militaire fut stoppée car s’y opposèrent aussi bien le parti national-démocrate qui défendait les intérêts des grands propriétaires terriens que le parti paysan, « PSL-Wyzwolenie » au nom de la protection des minorités puisque la colonisation changeait le rapport inter-ethnique au profit des Polonais.
La Volhynie en 1921 était une région périphérique pour la Pologne renaissante et se caractérisait par un fort sous-développement économique. La moitié du territoire couvraient les marécages et les forêts et les destructions dues aux combats de la Ire Guerre mondiale, de la guerre civile russe et de la guerre russo-polonaise, contribuaient à cette situation particulière. Peu de villes disposaient de réseau de rues pavées, de tout-à-l'égout (seule, la ville d'Ostróg), d'électricité (Ostróg, Łuck et Równe possédaient un générateur). La taux d'analphabétisme variait selon la confession entre 31% chez les catholiques vivant en ville et 84% chez les orthodoxes vivant dans le milieu rural. L’État commença un effort de modernisation, de construction d'écoles (le taux de scolarisation passa de 15% en 1921 à 70% en 1939), d'électrification et d'installation téléphonique dans les villes mais ses moyens étaient limités. Le caractère agricole de la région poussa l’État à la politique de redistribution de terres (1,5 million d'hectares de SAU). La réforme agraire du point de vue statistique s'avéra très limitée en Volhynie (comme dans tous les teritoires orientaux les grandes propriétés devaient être limitées à 300 ha et non à 180 ha comme ailleurs) mais les tensions ethniques persistaient d'autant plus que les Polonais en bénéficièrent plus que les Ukrainiens. En réalité en 1936, parmi les exploitations agricoles dont la superficie était supérieure à 50 ha, 541 propriétés foncières polonaises réunissaient 379300 ha ce qui donne une moyenne de 700 ha alors que du côté ukrainien on comptait 46 propriétés pour 8600 ha. Les Ukrainiens restaient en immense majorité les petits paysans. Même les grands propriétaires russes possédaient 184 exploitations pour la superficie totale de 64500 ha (la moyenne étant de 350 ha). La question agraire fut un des éléments du combat ukrainien contre le pouvoir de Varsovie et les Polonais qui y vivaient. Elle fut un des éléments du discours nationaliste qui allait déboucher sur la tragédie de 1943.
Selon le recensement de 1921 la Volhynie était habitée par 1 437 907 de personnes dont la majorité de paysans ukrainiens orthodoxes souvent analphabètes (68,4%; 983 596 se déclarèrent comme Ukrainiens), alors que les catholiques, donc les Polonais (paysans, bourgeois, nobles, et colons récemment installés, 16,8%; 240 922) ne représentaient qu'une minorité. Les Juifs (10,6%; 151 744) constituaient 59 % des habitants de villes dans cette voïévodie où l'on trouvait des Tchèques (1,77%; 25 405 qui constituaient la plus forte minorité du pays et non, comme on aurait pu croire, dans la partie polonaise de la Silésie autrichienne de Teschen-Cieszyn), des Allemands (1,74%; 24 960) et des Russes (0,66%; 9 450). Les deux premières minorités dominaient la région, les premiers dans l'administration et grands propriétaires fonciers, les seconds dans le commerce local.
Le peuplement tchèque en Volhynie dans la 2e moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècles.
Légende:(de haut en bas) - territoire habité par les Tchèques, frontière du gouvernement (goubernia) de Volhynie russe, frontière polono-soviétique en 1939, plus grandes bourgades tchèques, chefs-lieu du district (powiat).
Les partis de gauche exigeaient l’égalité des droits pour les minorités et en 1922 la République de Pologne la promit ainsi que la création d’une université ukrainienne à Léopol, mais une fois la décision du Conseil des Ambassadeurs, reconnaissant sa frontière orientale, prise, les promesses restèrent lettre morte, et ce malgré la Constitution (dont le modèle était le régime de la IIIe République française) votée en mars 1923 qui la garantissait. Dès le mois d’avril le nouveau gouvernement limitait le développement de l’instruction en ukrainien et biélorusse, entravait les publications et soulignait les différences entre Ruthènes (uniates) et Ukrainiens (orthodoxes) dans les voïévodies orientales. Les conflits du passé entre les nationalités habitant ces régions se maintenaient et pesaient lourdement dans ce nouvel État en formation. La peur de mouvements centrifuges conduisait à la prise de décision rendant la situation de plus en plus aiguë.
Les élections, boycottés par une majorité des Ukrainiens de Galicie, à la suite de l’appel du gouvernement en exil d'Evhen Petrouchévitch, au suffrage universel à la proportionnelle, à la Diète du 5 novembre 1922, permirent l’arrivée de députés des minorités (18,7 % dont seulement 4,6 % d’Ukrainiens) alors qu’au Sénat, élu le 12 novembre 1922, les minorités augmentèrent encore les effectifs, les portant à 24,3 %. L’élection du premier président de la République, Gabriel Narutowicz, grâce aux voix des minorités, exaspéra la droite nationaliste et poussa, une semaine plus tard, un déséquilibré, lié aux milieux extrémistes, à commettre un attentat meurtrier. Le gouvernement du centre-droit dut faire face à la crise économique (cf. la situation en Allemagne et les tentions entre les Alliés à ce sujet en 1923), à la contestation sociale et aux agitations des extrémistes de gauche (communistes) et de droite (mouvements fascisants) jusqu’à déclarer l’état d’exception.
L'influence de Józef Piłsudski diminuant tandis que celle des nationalistes de Roman Dmowski augmentant, le gouvernement opéra un changement de politique face aux minorités en supprimant certains de leurs droits comme, par exemple, celui de l'enseignement en langue maternelle. Les conflits et les tensions avec l'Église orthodoxe se multiplièrent également.
Une bonne partie des intellectuels ukrainiens engagés politiquement se lia alors à l'activité du Parti communiste de l'Ukraine occidentale ou appuya le gouvernement en exil à Vienne. C'est à l'initiative de ce dernier que fut fondée en 1921 l'Organisation militaire ukrainienne (OMU) qui passa à l'action dès 1922 dans les régions du Sud-Est en commettant des actes terroristes. Le parlement et le gouvernement polonais entreprirent l'œuvre de centralisation et d'unification du pays et octroyèrent en même temps aux voïévodes et starostes (préfets et chefs du canton) des pouvoirs locaux élargis. En 1923 le parlement vota une loi d'autonomie locale sans pour autant permettre la création de régions autonomes avec un parlement local à l'image de la Haute Silésie comme exigeait l'intelligentsia ukrainienne en rappelant les engagements pris par la Pologne lors de la signature du "Petit Traité de Versailles". La loi scolaire votée au même moment ne satisfaisant absolument pas les Ukrainiens car elle mettait l'accent sur l'héritage de la nation polonaise. Le point névralgique fut avant tout la colonisation des territoires orientaux qui devait renforcer l'élément polonais face aux minorités ethniques, majoritaires dans ces régions.
Les décisions du gouvernement exaspérèrent les activistes de l'OMU qui passèrent à d'autres actions terroristes (attentat manqué contre le président de le République, Wojciechowski, attaque du bourg frontalier avec l'URSS avec l'appui des agents soviétiques, attaques contre les manoirs polonais et les trains de passagers). Le gouvernement riposta en créant le Corps de Défense des Frontières (KOP) et en arrêtant les dirigeants de l'OMU. Ces actions ne réglaient pas les causes mais agissaient sur les conséquences du problème. Les tentatives d'apaisement du conflit polono-ukrainien entreprises par l'archevêque uniate, Andrey (Andrzej) Szeptycki, qui appuyait le programme d'autonomie territoriale, dressèrent contre lui les milieux nationalistes des deux camps.
Durant les années 1923-1926 le gouvernement polonais mena une politique assimilatrice à l'égard des minorités ethniques de l'Est de la République. Son refus d'ouvrir une université ukrainienne à Léopol comme il s'était engagé lors la signature du Petit Traité de Versailles fut suivi de l'initiative des milieux ukrainiens d'ouvrir 64 chaires de l'université clandestine qui était fréquentée par 1500 étudiants et de l'école polytechnique supérieure et dont les élites tournaient les regards vers Kiev soviétique. Les deux institutions furent liquidées par la police. Après le coup d'État de Piłsudski de mai 1926 cette politique fut corrigée et on lança le programme d'assimilation étatique qui prévoyait l'accélération de la réforme agraire et la parcellisation des latifundia. En 1927 on élabora une tentative d'organisation de comités régionaux qui seraient composés de représentants des minorités et auxquels on octroierait le droit de faire des propositions. Le gouvernement nomma les nouveaux voïévodes à Léopol et à Łuck, Piotr Dunin-Borkowski (1927-1928) et Henryk Józewski (1928-1929 et 1930-1938), tous les deux connus pour leurs sympathies pro-ukrainiennes et créa à Varsovie l'Institut ukrainien des sciences dont le but était d'étudier l'histoire, la culture et la vie économique de la nation ukrainienne. Mais les intéressés rejetèrent ces initiatives prônant la lutte pour un État indépendant.
Pisarzowa Wola, village dans la commune de Werba, 1938-1939. a gauche, garde forestier Jabłoński, assassiné dans la colonie Szury, 29.08.1943 et à droite, Józef Walawko, assassiné près de Bielno, le 6.01.1944 par l'UPA
Le gouvernement emprunta la voie de la répression vis-à-vis de toute institution ukrainienne soupçonnée de l'activité anti-étatique. En 1930 l'organisation de scoutisme "Plast" fut liquidée et le réseau des institutions ukrainiennes en Volhynie démantelé. Les OMU et OUN (organisation nationaliste ukrainienne) redoublèrent les actions terroristes et cette dernière entreprit même une collaboration avec les services secrets allemands alors que leurs membres furent entraînés dans l'école du NSDAP à Leipzig. Par ailleurs les milieux extrémistes torpillèrent toutes les tentatives de compromis des milieux modérés avec l'État polonais. En 1938 les autorités, face au danger allemand à l'Ouest et au nom de la politique de sécurité et d'intégralité de l'État, contre-attaquèrent face à l'activisme ukrainien à l'Est. Afin d'affaiblir l'élément ukrainien l'action du gouvernement se concentra d'abord sur la re-catholicisation et la re-polonisation de la petite noblesse en donnant l'ordre de destruction des églises orthodoxes par l'armée (été 1938). Le projet de colonisation des confins orientaux fut réactualisé. Mais cette politique eut les effets contraires aux attendus: l'influence de l'OUN ne cessait d'augmenter auprès de la société, rurale en grande majorité.
Certains hommes politiques du camp au pouvoir depuis 1926 comme Leon Wasilewski et Mieczyslaw Niedzialkowski furent opposés aux chantres de la politique de l'assimilation forcée et prônaient au contraire une politique d'autonomie régionale dans l'intérêt de la République et le respect des minorités afin de les éloigner du pôle d'attraction que pouvait constituer l'Ukraine soviétique. Les Ukrainiens, selon eux, devaient retrouver le statut de gestionnaires de leur propres régions. Cela eût été la meilleure garantie de paix et d'un meilleur développement économique. Administrés ainsi, les territoires de l'Est pouvaient être une meilleure alternative. Mais la politique de l'entre-deux-guerres voulant incorporer par la force ces régions s'avéra en septembre 1939 fatale pour l'État polonais dont une bonne partie de la population n'était pas intéressée par sa défense et l'atmosphère d'hostilité causa des milliers de victimes dans ces confins ethniques de l'Est de la Pologne.
La IIe Guerre mondiale
L'occupation soviétique
En septembre 1939, en accord avec les clauses secrètes du pacte germano-soviétique, la Pologne fut occupée à l'ouest par les Allemands et à l'est par les Soviétiques.
La carte du partage de la Pologne selon la clause secrète du pacte Ribbentrop-Molotov, parue le 18 septembre 1939 (le lendemain de l'entrée de l'Armée rouge en Pologne) dans le quotidien "Izvestia". La limite entre les deux envahisseurs passe sur les cours d'eau (du nord au sud): Narew, Vistule et San
Elle fut repoussée par la suite jusqu'au Bug (cf ci dessus la rencontre entre les Allemands et les Soviétique près de Brest-Litovsk puis la carte)
Pour plus de photos cf. l'article "Le défilé de la victoire" (en pl mais aussi en fr)
Pour plus de photos cf. l'article "Le défilé de la victoire" (en pl mais aussi en fr)
La Volhynie se trouva dans la zone soviétique. Mais les premières actions anti-polonaises entreprises par les Ukrainiens commencèrent dans la première moitié de septembre 1939 et se renforcèrent à partir de l'invasion de l'Armée rouge sous l'effet de la propagande soviétique (attaquer et liquider les seigneurs polonais): assassinats, vols, désarmement et assassinats de soldats polonais en fuite, rémission aux mains de la NKVD des Polonais engagés dans la vie politique, incendies de fermes. Les victimes étaient aussi les policiers, les membres de l'administration, les employés de poste, les gardes forestiers et les fugitifs civils de l'Ouest, les colons (vétérans militaires de la guerre russo-polonaise) et les propriétaires fonciers. Les auteurs de ces actes de terreur qui se prolongèrent jusqu'au début d'octobre et furent arrêtés par la terreur de la NKVD, étaient les Ukrainiens locaux nationalistes ou communistes. Ces derniers contribuèrent, par dénonciation, à l'arrestation et la déportation de Polonais par les agents de la police politique. Le bilan est difficile à établir faute de témoins vivants et en raison des événements qui suivirent. L’Institut de la mémoire nationale polonais estime à 155 actes de terreur, 113 attaques suivies de meurtre où auraient trouvé la mort 1036 à 1136 personnes.
Carte de la situation entre 1939 et 1941. La ligne rouge - la frontière entre l'URSS et la IIIe Reich, en jaune - le Gouvernement général, à l'ouest et au nord les territoires polonais annexé au Reich (provinces agrandies ou régions nouvelles comme Pays de la Warthe - ex-Posnanie); en vert très foncé le Lituanie élargie à la région de Wilno et transformée en RSS en août 1940, en vert foncé - la RSS de Biélorussie et en vert clair - la RSS d'Ukraine.
Les premières déportations des Polonais par la NKVD concernaient les fugitifs de la Pologne centrale et occidentale. On estime à 55 000 personnes (catholiques et israélites surtout) déplacées vers le Biélorussie et l'Ukraine orientales déjà en octobre 1939. Le 5 décembre le Conseil des commissaires du peuple prit la décision n°1001-558 décidèrent de déporter les colons et les employés des services forestiers des territoires occidentaux biélorusses et ukrainiens. Puis quelques jours plus tard la directive de Beria stipulait la déportation de tout « élément politiquement incertain ». On dressa des listes de familles destinées à quitter ces régions. La déportation massive commença en février 1940 et la dernière vague eut lieu en mai et juin 1941. Les expulsés furent placées dans les trains à raison de 55 wagons par transport.
La première se déroula le 10 février et concerna essentiellement la population autochtone. Sur 140 000 personnes, 70% étaient les Polonais et 30%, les Biélorusses et Ukrainiens. On enlevait toutes les familles sans exception et les transportait vers le Nord (Komi, Archangelsk, Tchelabinsk, et la Sibérie) pour les mettre au travail dans l'exploitation forestière avec les conditions proches des camps de Goulag et une forte mortalité.
La deuxième, entre 13 et 14 avril 1940, concernait les ennemis du régime (fonctionnaires d’État, militaires, policiers, gardiens de prison, enseignants, activistes sociaux, négociants, industriels et banquiers, et les familles des personnes arrêtées pour tentative de passage de la frontière germano-soviétique. 61 000 personnes (dont 80% de femmes et enfants) furent transportées en majorité au Nord du Kazakhstan.
La troisième déportation (mai-juillet 1940) concernait les fugitifs de la Pologne centrale et occidentale venus à l'Est pendant les opérations militaires et qui se trouvèrent sous l'occupation soviétique. La majorité était constituée de Juifs, 80% du contingent, puis le reste c'étaient les Biélorusses et les Ukrainiens. On estime leur nombre à 80 000. Ils étaient dirigés vers les régions de Sibérie en majorité pour être installés dans les colonies spéciales sous contrôle de la NKVD.
La quatrième (mai-juin 1941) enleva principalement les représentants de l'intelligentsia, les fugitifs restants, les familles de cheminots et des arrêtés précédemment par la NKVD, des ouvriers qualifiés et de artisans. Elle concerna surtout les habitants des régions de Białystok, Grodno et de Wilno qui furent envoyés Kazakhstan, dans l'Altaï, la région de Krasnoyarsk et autres de la Sibérie.
Au total on estime à 330 – 400 000 personnes ayant subi ce sort, durant 15 mois d'occupation soviétique, sans compter les prisonniers condamnés et déportés dans les camps de travail (Goulag), les prisonniers de guerre, la jeunesse incorporée dans l'Armée rouge, les membres de bataillons de construction et autres évacués avec les entreprises. Ainsi le nombre de citoyens de la IIe République de Pologne déportés monte à 700 000 individus (de toutes les confessions).
Avant les accords Sikorski-Maïski (polono-soviétiques), signés en août 1941 qui prévoyaient une amnistie pour les déportés, citoyens polonais, 10% d'entre eux y sont morts de froid, faim, maladies et épuisement par le travail et les conditions particulièrement rudes dans ces lieux de relégation et tombés dans la déchéance vers les marges de la société soviétique. Les historiens polonais travaillant dans l'IPN (Institut de la mémoire nationale) et sur les documents d'archives soviétiques ouvertes à l'époque du président Eltsine , arrivent à 800 000 victimes de la terreur soviétique. Les données de la NKVD livrées par les Russes ne fournissaient que les chiffres de transports ferroviaires c'est-à-dire 320 000 pour les quatre vagues ce qui est contesté par la plupart des historiens car certaines données attendent encore à être fournies. Les 10% de morts avant l'amnistie sont contestés par les données soviétiques qui les estiment à 0,7% (les archives soviétiques fournissent 15 000 morts avant juin 1941 parmi les déportés de février et juin 1940). Mais ces dernières ne concernent que quatre transports en train. La mortalité dans les autres transports est méconnue. Les déportés eux-mêmes les qualifiaient de «crématoires blancs» où l'on mourrait de froid.
Par ailleurs les prisonniers politiques des Soviétiques étaient au nombre de 21 000 en Ukraine occidentale (16 500 en Biélorussie occidentale et 2 500 dans la région de Wilno). Sur le total de 40 000 prisonniers détenus le 10 juin 1941 dans les régions polonaises occupées par l'URSS, 35 000 furent exécutés dont 2000 à Łuck, 1000 à Dubno en Volhynie avant la retraite de l'Armée rouge face à l'invasion allemande du 22 juin.
La bataille des chiffres est loin d'être terminée.
L'occupation allemande.
La situation s'aggrava en 1941 après l'attaque de l'Union Soviétique par les troupes allemandes (Opération Barbarossa). Une partie de la communauté ukrainienne, en espérant la formation d'un pays indépendant, collabora avec les nazis (cf. participation dans la Division SS Galizien) ou s'engagea dans les actions hostiles aux autres groupes ethniques dans la région (Polonais, Juifs, Tchèques). Les Ukrainiens formèrent des groupes de résistance qui devinrent une véritable armée de guérilla.
Le Gouvernement Général de Pologne à partir du mois d'août 1941: la Galicie orientale y est annexée mais pas la Volhynie.
Propagande de recrutement de volontaires pour la division SS Galicie
Sur la première on peut lire:"Levez-vous au combat contre le bolchevisme dans les rangs de la Division de Galicie", sur la seconde:"La guerre d'Hitler - cet ami de la nation"
La population avait accueilli avec l'enthousiasme la Wehrmacht. On construisait des portes en bois souhaitant la bienvenue, des délégations ukrainiennes recevaient les Allemands avec du sel et du pain (tradition slave de bienvenue aux hôtes de prestige ou aux notables et dirigeants). On connaît les cas de communistes ukrainiens métamorphosés en nationalistes (patriotes) dans les districts de Kostopol, Włodzimierz Wołyński et Krzemieniec. Avec l'armée allemande arrivèrent les activistes de l'OUN organisés en groupes de marche (pochidni hrupy) dont les membres commirent des assassinats sur les Juifs et les Polonais ( villages de Olganówka Nowa et Stara, commune de Rożyszcze, district de Łuck ou la ville de Kostopol) en installant un pouvoir «ukrainien». Avant que les Allemands n'organisent pas le leur ils proclamaient la création d'un État et d'un gouvernement ukrainiens et appelaient la population au combat contre les Polonais, Juifs et Moscovites comme ennemis du peuple ukrainien.
Dès
le début de l'occupation allemande de la Volhynie se forma une
police (appelée d'abord «milice») ukrainienne qui fut acceptée,
équipée et incorporée aux détachements spéciaux,
Schutzmannschaften, avec de larges pouvoirs (de contrôle,
perquisition, arrestation, interrogation, réquisition de
contingents, déportation). Les Allemands ne disposant pas de forces
d'occupation suffisantes lui laissaient une certaine latitude
d'action tout en gardant en définitive le commandement. La police
était composée d'activistes de l'OUN à toutes les échelles comme
l'administration. Une partie de la population ukrainienne y voyait
les intermédiaires de l'occupant allemand, une autre les soutenait
n'hésitant pas à dénoncer les voisins polonais, juifs ou
ukrainiens tièdes à la cause nationaliste.
Déjà
en 1941, après la débâcle des Soviétiques dont les Ukrainiens
récupérèrent les armes, les dirigeants nationalistes montraient
ouvertement le désir d'éliminer leurs voisins polonais (lors des
manifestations de force de la police on pouvait entendre: "Smert',
smert', lacham smert', smert' moskowśko-żydiwśkij komuni"
(mort aux Polonais, aux Moscovites et Juifs communistes), mais aussi,
voir des affiches appelant à la destruction d'autres nationalités
vivant en Volhynie. La propagande nationaliste était destinée avant
tout aux paysans ukrainiens pauvres et dans laquelle participèrent
certains prêtres orthodoxes. Il s'agissait de marquer la distance
puis la rejet de leurs voisins catholiques et israélites et enfin
créer un sentiment de haine.
Pendant la première année
d'occupation on enregistra une quarantaine d'actes de terreur contre
la population polonaise avec 41 morts. Mais les actes d'agression se
manifestaient massivement d'abord contre les Juifs. Ces derniers
furent associés aux communistes par les Allemands. De la sorte la
première phase de l'extermination concernait les
élites et les représentants du pouvoir soviétique de nationalité
juive. Elle prit souvent la forme de pogromes organisés par la
population locale mais aussi de fusillades opérées par la Wehrmacht
(à la fin du mois de juin, 1160 Juifs furent tués dans le château
de Łuck, 130 à Krzemieniec
et quelques milliers en Galicie orientale) ou par les Einsatzgruppen.
La découverte des massacres dans les prisons de la NKVD provoqua
renforça la conviction de la collaboration de Juifs avec l'occupant
soviétique et intensifia les pogromes.
Exécution de Juifs par les Allemands
L'antisémitisme allemand et
ukrainien jubilait sous la triple accusation: peuple déicide
(antijudaïsme chrétien), corrupteur (antisémitisme moderne) et
judéo-communisme (anti-communisme des nationalistes à l'Est de
l'Europe soumise au pouvoir soviétique). La veille du pogrome à
Léopol, les nationalistes placardaient les affiches dans les rues
qui dénonçaient l'ennemi russe, polonais, hongrois et juif. Au
total on estime le nombre de pogromes en Volhynie et Galicie
orientale à 35-120, dans lesquels on extermina entre 12 et 35 000
personnes. Selon Timothy Snyder, les milices locales sont
responsables de 20 000 morts. Alexandre Krouglov estime, pour
seulement le mois de juillet 1941, 38-39 000 victimes des milices
ukrainiennes et forces allemandes dans ces actions de «nettoyage»
(régions de Czernowitz et Tarnopol, 9000 dans chacune et celle de
Léopol, 7000 victimes). Selon John-Paul Himka, les nationalistes
ukrainiens de Stepan Bandera voulaient ainsi monter aux Allemands
leur soutien et en obtenir la confiance et, in fine, prouver qu'ils
méritaient un État. Himmler, lors de sa visite à Léopol, le 21
juillet, aurait ordonné verbalement à Friedrich Jackeln,
l'extermination de tous les hommes juifs incapables de travailler, ce
qui portent à 62 000 le nombre de victimes au mois d'août.
Insatisfait du résultat, Himmler aurait ordonné l'extermination de
femmes et enfants. La première grande « Action » se
déroula entre 26-28 août à Kamieniec Podolski où 22000 Juifs,
expulsés de Hongrie et locaux, furent exécutés. Elle servit de
modèle aux « actions » (« d'élimination de
résistants ») suivantes qui se déplacèrent vers l'Est avec
pour atteindre Kiev (Shoah
par balles), avant de se retourner vers les régions, déjà
occupées, à l'Ouest. Elles furent l’œuvre des SS,
de la police ukrainienne et de la Wehrmacht.
En septembre et octobre 1941 les 5 500 Juifs d'Ostroga, capitale de la culture juive en Volhynie furent fusillés. Równe, choisie comme siège du Commissariat du Reich pour l'Ukraine, vit une partie de ses Juifs exterminés dans la forêt voisine, Sosenki (17 000) le 6 novembre et les autres furent enfermés dans son ghetto (10 000). Alors que 550 000 Juifs de l'Ukraine orientale disparurent à la fin de l'année, le processus de ghettoïsation s'installa à l'Ouest, en Volhynie, Galicie orientale et Podolie où l'on estime à 442 ghettos (créé à partir de 200 Juifs) dont le plus grand était celui de Léopol (Lemberg). Au printemps 1942 les exécutions massives se déroulaient au nom de la guerre contre les Juifs (cf Timothy Snyder : le but de la guerre défini par Hitler en décembre 1941) alors que l'offensive allemande avait été stoppée partiellement par les Soviétiques. Le 22 juin Himmler ordonna la liquidation de ghettos et le transfert d'artisans juifs utiles dans les camps de travail. Cette opération se réalisa à l'aide de détachement de la police auxiliaire ukrainienne (Schutzmannschaft) dont le rôle consistait à encercler le ghetto, accompagner les victimes sur quelques kilomètres au bord des tranchées, déjà creusées, et les faire déshabiller avant l'exécution par les SS, puis à tuer les fuyards et achever les blessés dans les tranchées.
Massacre de Juifs par les auxiliaires ukrainiens
Ces exécutions, qui duraient quelques heures voire quelques jours, étaient publiques, vues par la population locale. Ainsi les 5000 Juifs restant en vie de Równe furent massacrés le 12 juillet dans les carrières près de Kostopol tandis que le 21 août, 12 000 Juifs de Łuck furent fusillés dans deux endroits disticts: les femmes et enfants dans le village de Góra Połonka, les hommes dans la cour du château. Entre les 3 et 5 juin les 5 à 8000 habitants juifs inutiles de Kowel furent éliminés par les détachements de Sicherheistdienst, de la gendarmerie allemande et de la police ukrainienne, dans la forêt voisine du village Bachowo et le 19 août ces mêmes détachements exécutèrent 5000 Juifs du quartier Nowe Miasto et 150 Roms dans le cimetière de la ville. Ceux qui réussirent à y échapper furent plus tard arrêtés, emprisonnés dans la Grande Synagogue et fusillés dans le cimetière catholique (2000 victimes). A la fin de l'année Himmler fit le rapport à Hitler sur la question juive la déclarant comme résolue (il y annonçait la mort de 363 211 Juifs de la «Russie méridionale».
Selon A. Krouglov, 300 000 victimes avaient habité l'Ukraine actuelle. Selon l'Encyclopédie russe publiée en 2009 dans l'article «Holocauste» 778 000 Juifs sont morts en Ukraine. Sur les 100 000 survivants juifs originaires de ces territoires, la plupart dans la zone d'occupation roumaine, les Volhyniens n'étaient que 5000, les Galiciens, 20-26 000. Ceux qui furent cachés par les Polonais dans ces territoires furent massacrés par l'Armée insurrectionnelle ukrainienne lors des événements de l'année suivante en Volhynie et en Galicie.
En 1942 les éléments locaux de l' UPA commencèrent à attaquer la minorité polonaise afin de "nettoyer" la Volhynie. La première attaque connue fut celle contre le village d'Oborkin le 13 novembre 1942 dans le canton de Łuck où les Ukrainiens assassinèrent 50 Polonais. Malgré cela la majorité des Polonais considérèrent cet événement comme un cas isolé résultant de groupes désorganisés de bandits et personne ne pensait que cela allait se reproduire. Le membre de l'Institut de la mémoire nationale, Władyslaw Filar, lui-même témoin des massacres, affirme qu'il est impossible d'établir si ces événements furent un jour planifiés. Il n'y a pas de preuves documentées que l'UPA et l'OUN aient pris la décision d'exterminer les Polonais de Volhynie.
Le 9 février 1943 la colonie de Parośło dans le canton de Sarny fut attaquée et 173 Polonais assassinés. En mars 1943 quelque 5000 policiers ukrainiens prirent les armes et s'enfuirent dans les forêts de Volhynie. Timothy Snyder considère que cet événement marque le début des opérations de l'UPA à une grande échelle. Dans la nuit du 22 et 23 avril des groupes ukrainiens attaquèrent la colonie modèle de Janowa Dolina en tuant 600 personnes et en incendiant tout le village. La présence de 1000 soldats de la Wehrmacht ne l'empêcha pas ce qui permet de supposer une silencieuse collaboration entre les deux forces. Les survivants polonais étaient ceux qui avaient trouvé le refuge auprès des familles ukrainiennes amies comme celle des Karwan. Entre mai et juin les attaques se multiplièrent. Dans le canton de Sarny 4 villages furent brûlés (12.05.), dans celui Kostopol 170 habitants du village de Niemodlin (24.05.), dans celui de Włodzimierz Wołynski, tous les manoirs et exploitations des nobles, détruits par le feu la nuit du 24 au 25 mai, le 28 les habitants de Staryki, tous massacrés et la liste s'allonge concernant tous les cantons de la région. Ces actions furent montées par de nombreuses unités et paraissaient coordonnées.
Mais il serait exagéré d'affirmer que les massacreurs reçurent un appui général des Ukrainiens et pourtant leur réalisation n'eût été possible sans la collaboration des Ukrainiens locaux. Jusqu'en juillet 1943 le nombre de Polonais assassinés en Volhynie est estimé à 15000 mais celui des pertes totales (morts, blessés, déportés en Allemagne pour les travaux et fugitifs) atteint 150 000. Pourtant deux délégués du gouvernement polonais de Londres, Zygmunt Rumel et Krzysztof Markiewicz, accompagnés d'un groupe d'officiers de l'AK, opérant dans la région, tentèrent de négocier avec les chefs de l'UPA mais ils furent tous les deux assassinés le 10 juillet 1943 dans le village de Kustycze. Ce jour-là des unités que l'on attribue à l'UPA encerclèrent et attaquèrent les villages polonais et les colonies dans les trois cantons de Kowel, Horochów et Włodzimierz Wołynski. En trois jours une série de massacres fut déclenchée et beaucoup de témoins ont confirmé les déplacements de village en village des unités de l'UPA poursuivant leur besogne contre les civils polonais. Dans le canton de Horochów on a enregistré 23 attaques, dans celui de Dubien-15 et celui de Włodzimierz-28. Les événements commencèrent à 3 heures du matin et les Polonais n'avaient pas les moyens d'en échapper. Les Ukrainiens utilisaient toute sorte d'armes: fusils, haches, scies, faux, fourches, couteaux de cuisine, marteaux etc. Selon les peu nombreux survivants, l'action a été soigneusement préparée puisque quelques jours auparavant avaient eu lieu des réunions dans les villages ukrainiens où l'UPA expliquait aux habitants la nécessité de l'extermination des Polonais (Lachy jusqu'à la septième génération, sans faire exception de ceux qui ne parlaient plus le polonais. Après les massacres les villages furent systématiquement incendiés et brûlés jusqu'aux fondations.
Ensuite les Ukrainiens attaquèrent 167 autres villages. Cette vague dura 5 jours jusqu'au 16. On peut affirmer aussi que l'UPA continua le nettoyage ethnique dans les zones rurales jusqu'à ce que la majorité des Polonais eût fui les habitations et fût déportée par les Allemands à l'Ouest, assassinée ou expulsée. Par exemple, entre le 1er et le 3 août 1943, un groupe de 8 chariots de fugitifs du village Kudranka (commune de Ludwipol, canton de Kostopol, voïévodie de Łuck , fut anéanti dans la colonie de Leonówka. Un autre groupe de 10 chariots tenta la sortie et, après avoir essuyé deux attaques ukrainiennes sur la route de Tuczyn, fut sauvé par un détachement de la Wehrmacht et s'installa à Równe. Là, les fuyards restèrent deux semaines protégés par la présence allemande puis les familles acceptèrent la déportation en direction de Breslau où, après trois semaines de séjour à la gare de triage, elles trouvèrent le travail et le logement dans les exploitations agricoles de la région. Ces mêmes familles allaient constituer les premiers Polonais dits "rapatriés", avant l'heure, dans les territoires donnés à la Pologne par les vainqueurs de l'Allemagne nazie lors de la conférence de Potsdam en 1945. Un troisième groupe effrayé par la nouvelle du massacre se cacha dans les forêts des environs rencontrant des Juifs qui y vivaient depuis un an. Ces derniers furent "autorisés" par les Ukrainiens de l'UPA à sortir de leurs cachettes pour occuper les maisons polonaises. Enregistrés et contraints d'y rester, les Juifs de Kudranka et des environs furent massacrés à la hache et au couteau à la fin de décembre 1943 par les bandes de paysans ukrainiens. Ensuite le village fut détruit jusqu'aux fondations afin de n'y laisser aucune trace de la présence polonaise.
Toujours en juillet (le 11.) le village de Gorów (canton de Włodzimierz Wołynski) fut attaqué par une centaine de bandits: 480 habitants tués, 70 survécurent, toutes les maisons incendiées.. Dans la colonie d'Orzeszyn l'UPA assassina 270 personnes sur 340. Dans le village de Sądowa sur 600 habitants seulement 20 survécurent, à Zagaje (canton Horochów) quelques-uns sur 236. Ce dernier fut encerclé le 12 par les paysans ukrainiens des environs, armés de bêches en première ligne et haches, faux, fourches et couteaux en deuxième ligne et enfin ceux armés de carabines. Les échappés étaient étranglés par les cordages. Au garçon, qui faisant paitre les chevaux et qui fut attrapé, les bandits crevèrent les yeux et lui coupèrent la langue en le laissant dans une mare de sang. Dans le village Poryck (à 80 km de Włodzimierz) alors que les habitants polonais étaient réunis à 11 heures pour la grand messe, quatre charriots apparurent transportant les bandits ukrainiens qui encerclèrent l'église, installèrent la mitraillette devant la porte et lancèrent des grenades à l'intérieur. Puis devant la population paniquée ils déposèrent une bombe face à l'autel, la couvrirent de paille et lancèrent sur elle une grenade, ce qui provoqua une énorme explosion. Sur 600 habitants les Polonais qui n'étaient que 200, tous furent tués ou massacrés dont le curé, blessé et transporté dans une maison, fut achevé au couteau. Le 30 août dans le village de Wola Ostrowiecka 569 personnes furent exterminées dont 220 enfants de moins de 14 ans et à Ostrówki 469 dont 246 enfants.Les villages disparurent. En septembre 1992 on a procédé à l'exhumation des victimes dans ces deux villages. Dans les cantons de Włodzimierz et de Horochów 60 villages polonais furent liquidés les 11 et 12 juillet 1943.
Pendant la période de Noël 1943, une nouvelle vague d'attaques contre la population polonaise eut lieu dans les cantons (powiat) de Rówień, Łuck, Kowel et Włodzimierz. Des unités de combat de l'UPA avec l'aide directe de la population civile ukrainienne, attaquèrent les habitations polonaises. Après les massacres, les groupes de civiles (composés essentiellement de femmes) qui suivaient, pillèrent systématiquement les domiciles des victimes.
.
Victimes polonaises de l'UPA à Lipniki
Norman Davis dans "No Simple Victory" fournit une courte et brutale description des massacres. Il écrit: "Les Juifs de la région avaient disparu assassinés par les Allemands ( entre 1941 et 1942 ), (…) en 1943-44 la haine de l'UPA tomba sur les Polonais sans défense (…). Les villages furent brûlés. Les prêtres catholiques taillés en pièces ou crucifiés. Les églises brûlées avec tous les fidèles qui s'y étaient réfugies. Les fermes isolées, attaquées par des bandes d'hommes armés de fourches et de couteaux de cuisine. Les victimes égorgées, les femmes enceintes transpercées par la baïonnette, les enfants tranchés en deux (…). Les auteurs ne pouvaient pas déterminer l'avenir de la province mais pouvaient envisager que son futur serait sans les Polonais. Les survivants furent "rapatriés"(1944-1946) comme le furent leurs compatriotes de la Biélorussie et de la Lituanie. Ils furent remplacés par les Russes. En 1991 l'Ukraine occidentale (Galicie orientale et Volhynie) formait partie de la République d'Ukraine indépendante."
"Le massacre de Volhynie le monde l'ignore, combien d'hommes politiques polonais doivent mourir pour qu'il (le monde) l'apprenne ?" Photo du livre "Génocide commis par les nationalistes ukrainiens sur la population polonaise.1939-1945 par Ewa Siemaszko (La photo de la couverture pose problème car malgré le sérieux des propos des auteurs, ces derniers n'ont pas pu éviter de commettre une erreur. Il s'agit en fait d'une photo des enfants assassinés par une mère tsigane en 1928. Elle a servi d'icône à la sculpture posée de façon anonyme sur le monument commémorant les massacres de l'UPA à Przemysl en 2013. Depuis elle a été enlevée suite à la polémique concernant la réalité de la photo ).
Timothy Snyder décrit les massacres: "les partisans ukrainiens brûlaient les maisons, en tirant sur ceux qui tentaient d'en échapper, forçant de la sorte les occupants d'y rester et utilisaient faux et fourches pour tuer ceux qui étaient pris à l'extérieur. Dans certains cas les décapités, les crucifiés, les démembrés ou les éventrés étaient montrés afin d'obtenir des Polonais qui restaient qu'ils s'enfuissent en abandonnant pour toujours leurs lieux de vie."
L'historien ukrainien de Léopol, Youryi Kiritchouk, a écrit que les massacres avaient été le fruit des temps historiques de Jeremi Wiśniowiecki et Maxime Krivonis (Nez Tordu, cf. ci-dessus La République des Deux Nations). Les scènes survenues dans les villages de Volhynie étaient similaires à celles des massacres de Niemirów en Podolie (propriété des Potocki) en 1648 et en 1768. C'était, selon lui, une "guerre de paysans". Władysław et Ewa Siemaszko, auteurs de "Génocide de la population polonaise de Volhynie effectué par les nationalistes ukrainiens 1939-1945" confirment cette idée des atrocités d'un autre temps, celui des hajdamaks et cosaques (soulèvement de Khmielnytskiy.
Autres victimes polonaises du massacre. Origine de la photo inconnue.
Carte du nettoyage ethnique (génocide de Polonais) en Volhynie.
Légende: nombre de victimes par district, nombre d'églises catholiques
détruites par les Ukrainiens, nombre de localités polonaises détruites.
Parades de volontaires ukrainiens de la division SS Galicie à Lemberg (Léopol) printemps-été 1943
Adam Kruchelek, l'historien de la maison d'édition de l'IPN (Institut de la mémoire nationale) de Lublin, affirme que les massacres de 1943 eurent lieu d'abord dans la zone orientale de Volhynie, dans les cantons de Kostopol et Sarny en mars, se déplaçant vers l'Ouest, en avril dans les cantons de Krzemieniec Wołynski, Równe, Dubno et Łuck, l'apogée du mois de juillet s'étant déroulé dans les cantons de Kowel, Horochów et Włodzimierz Wołynski puis en août dans celui de Lubomel. Cet historien écrit aussi que les chercheurs polonais considèrent entre autres que les dirigeants ukrainiens élaborèrent d'abord le plan de chasser les Polonais mais les événements leur échappèrent des mains et ils en perdirent le contrôle.
Himmler visite la division SS Galicie en mai 1944.
L'armée et les forces de police allemandes voulaient ignorer presque toujours ces conflits ethniques, même s'il existe des rapports selon lesquels les Allemands fournissaient des armes aussi bien aux Ukrainiens qu'aux Polonais. Ces rapports ne sont toutefois pas fondés sur des preuves incontestables. Des unités allemandes spéciales, constituées de policiers ukrainiens ou polonais, qui collaboraient avec eux, auraient trempé aussi dans l'affaire et certains de leurs crimes ont été attribués à l'AK ou à l'UPA.
Les soldats soviétiques à Lvov (Léopol) le 27 juillet 1944.
Le 22 juin 1944 l'Armée rouge lança l'offensive destinée à libérer la Biélorussie. L'ancienne frontière d'avec la Pologne fut atteinte en juillet. L'offensive de Lvov- Sandomierz fut la suite de cette vaste opération qui mena les Soviétiques au bord de la Vistule. Le désordre et l'insécurité régnaient derrière le front. Les partisans polonais (AK) avaient tenté de contrôler les villes avant l'arivée de l'Armée rouge en s'attaquant aux forces allemandes, (Plan Tempête), ce fut un échec. Les partisants ukrainiens, au contraire, s'attaquaient aux soldats soviétiques isolés ou en petits groupes. Les Polonais et les Ukrainiens voyaient de plus en plus avec méfiance l'occupation soviétique et l'arrivée de l'Est de l'Ukraine voire de la Russie profonde les nouveaux maîtres, représentants du pouvoir soviétique honni et craint dont le souvenir n'était pas si lointain. Les deux ethnies ne pouvaient faire alliance contre le communisme car le sang avait coulé hier.
En résumant les points d'accord entre les chercheurs polonais et ukrainiens, fruit de nombreux colloques et de leur publication on révèle rapidement les faits qui auraient été à l'origine d'une certaine animosité voire hostilité ou haine des Ukrainiens aux moments tragiques pendant la guerre et qui, travaillés par ces sentiments à l'égard de leurs voisins polonais ou poussés par les organisations et les hommes extrémistes, ont pu passer à la barbarie indescriptible:
- entre 1921 et 1939 200 000 colons polonais furent installés dans les campagnes ukrainiennes et 100 000 Polonais furent engagés dans ces régions comme fonctionnaires de l'État (police et employés de l'administration territoriale);
- en 1924 les écoles ukrainiennes furent transformées en écoles bilingues avec la prédominance du polonais;
- les chaires ukrainiennes furent liquidées à l'université de Léopol;
- en 1938 la répression et la terreur s'abattirent sur les Ukrainiens dans le cadre de la politique gouvernementale de pacification de la Galicie orientale: 190 églises orthodoxes furent détruites et 150 transformées de force en églises catholiques (même pas uniates), tandis que les bibliothèques et les salles de lecture ukrainiennes furent incendiées par les foules polonaises sans que la police (polonaise) intervînt; les jeunes Polonais qui habitaient sur place s'organisèrent en strzelcy (francs tireurs) afin de terroriser la population ukrainienne sous prétexte de maintenir l'ordre; les Polonais ne perpétrèrent pas de massacres de civils ukrainiens mais des activistes furent emprisonnés à Bereza Kartuska ;
- 1939: des dizaines d'activistes ukrainiens de l'OUN furent assassinés par l'armée polonaise en retraite vers la frontière roumaine;
- 1941-1942 eurent lieu des massacres de plus de 2000 villageois ukrainiens opérées par la résistance polonaise ( AK ) à la suite d'une provocation allemande dans la région de Lublin et Chełm.
Le conflit polono-ukrainien comme on appelle les événements de 1939 à 1947 est synonyme à la fois de l'action anti-polonaise (selon les Ukrainiens) et du massacre voire génocide (selon les Polonais) et il sort ici du cadre prévu. Il s'élargit à la Galicie et la région de Chełm qui ne faisait pas partie de la Galicie et de la Volhynie et se prolonge au-delà de la fin de la IIe Guerre mondiale avec l'activité de l'UPA dans le sud -est de la Pologne déplacée à l'Ouest, à l'Ouest de la rivière San constituant la nouvelle frontière avec l'URSS (région montagneuse de Bieszczady), contre le pouvoir communiste et qui s'achève par l'Action Vistule qui fut la déportation de toute la population ukrainienne (au nom de la responsabilité collective) vers les territoires "recouvrés", c'est-à-dire allemands.
A droite: ligne grise correspond à l'étendue du massacre, grand cercle - chef-lieu de voïévodie, petit cercle - autre ville, rond noir - ville dont la population juive dépasse 75%, cercles avec point - villes dont la population juive représente entre 20 et 75%
superbe article, je m'en vais me l'imprimer !
RépondreSupprimerMerci de ce moment de mémoire passé sous silence.
RépondreSupprimerma mère a été victime de ce nettoyage ethnique je viens de le découvrir d'aprés ce qu'elle m'a raconté, elle est toujours vivante )agée de 97 ans, elle a connu toutes ces souffrances horribles;
RépondreSupprimerExcellent article qui permet de comprendre les tensions dans la région et la guerre Russo Ukrainienne d'aujourd'hui. Notamment les origines de la "Galizien" qui perdure désormais sous la forme des bataillons Azov, Aidar . Merci à vous
RépondreSupprimerMerci pour cet article, qui me permettra de comprendre un peu plus ce qui est arrivé à mon père, qui n'a jamais pu nous raconter tout cela car il n'avait plus les mots pour le dire.
RépondreSupprimer