J'ai décidé de faire mon apostasie après avoir lu quelques articles dans Gazeta Wyborcza et l'apparition de formulaires prêts à imprimer sur des sites Internet au début des années 2000.
J'ai rompu avec l'Église catholique, de manière ostentatoire, à l’âge de 16 ans avec mon camarade de classe du lycée, dans une petite ville de province, en Posnanie. Tandis que ses citoyens, y compris le secrétaire de la cellule du POUP (parti communiste) de l’usine sucrière locale, mon voisin, des familles entières, des collègues se rendaient le dimanche à l'église pour la grand-messe ou une messe pour les jeunes, certains se tenaient debout devant le temple gothique bondé, d'autres hommes restaient devant la tour du clocher ou sur le trottoir et les escaliers d'une maison voisine, nous deux, encore adolescents, nous nous promenions à travers la ville en discutant. Notre courage péripatéticien nous portait sur les ailes de la fierté à une destinée inconnue. Plus tard nous ne sommes pas allés à la confession et à la communion à la veille des examens du baccalauréat, comme l'avaient fait la plupart des élèves par tradition, par besoin spirituel et probablement par peur. Ce fut alors le dernier moment d'hésitation du garçon élevé par sa grand-mère paternelle dès l'école primaire, qui avait coutume de dire : "quand on craint on se tourne vers Dieu". Ma grand-mère était croyante et pratiquante. Elle se considérait comme une bourgeoise à sa manière et méprisait d’une certaine façon les paysans des villages environnants qui venaient en ville. Son mari, mon grand-père, peut-être soucieux du « qu’en dira-t-on », semblait lui aussi croyant et pratiquant, Il était un maître tailleur apprécié, actif dans la Guilde des métiers à l'époque de Gomułka et vivait bien.
Toute notre famille s’habillait à la mode, pour aller à l'église et pour la promenade dominicale. J’allais à la confession et à la communion le premier vendredi du mois. J'étais un croyant sincère comme ma grand-mère. Avant à l'école primaire on m'avait déjà enseigné les dix commandements, que je récitais à genoux devant la porte de la cuisine, au-dessus de laquelle était suspendu un crucifix. J'ai suivi pendant la première année de l’école primaire le cours de catéchèse dans la "petite église", comme on disait à l’époque, qui avait appartenu à la communauté luthérienne allemande avant la 2e GM. On y célébrait le culte catholique pour les jeunes car seule la "grande église » (une collégiale) avait le statut d’église paroissiale. Nous étions sous la coupe d’une religieuse de la Miséricorde. La sœur Rosa portait un grand cornet blanc et nous en avions terriblement peur (après des années je me suis souvenu d’elle en regardant "Fellini Roma"). Ensuite un prêtre a pris le relais et ses cours se déroulaient dans une salle paroissiale en face du presbytère. Chaque année, à la fin de l’année scolaire, lors de la cérémonie dans l'auditorium de l’école primaire, construite en bonne brique rouge et qui datait de l’époque prussienne, nous recevions « le certificat » puis nous nous rendions au presbytère où avait lieu la cérémonie de remise du diplôme de catéchisme, avec une photo de la classe. Ces deux institutions coexistaient sans entrer en conflit idéologique puisque nos professeurs fréquentaient également l'église. Du reste tout le monde savait que le secrétaire du Parti, le staroste (chef du district) et le prêtre prélat jouaient ensemble aux cartes. Mon école a rompu une seule fois cet accord tacite. C'était en 1966, l'année du millénaire du baptême de la Pologne, alors que l'image de la Mère noire de Dieu (Vierge noire de Częstochowa) voyageait à travers le pays. Toutes les classes avaient été retenues dans la salle d’auditorium jusqu'à ce que l'icône sainte quitte la ville. Je me souviens avoir couru vers la « grande église » et trouvé une nef vide et en arrière-plan, dans le transept, avant les escaliers menant aux stalles canoniques et au maître-autel, un grand cadre vide entouré de rubans jaunes. J'étais très déçu et triste.
Ma foi était honnête mais condamnée par le péché d’adolescence. L'étude de la religion était pour moi si évidente que je me souviens aussi d'avoir tenté, avec mes camarades de classe, d’enrôler par la force un des nôtres qui n’y allait pas. Non à cause de l’appartenance de son père au Parti, nous n’en savions rien mais peut-être parce il s’appelait Ślązak (qui veut dire Silésien) C'était peut-être la seule forme d'intolérance à cette époque. Nous ne parlions pas de politique parce que nous étions encore des enfants. Quoi qu'il en soit, c'était la spécificité de la petite ville de Posnanie (Grande-Pologne).
En 1990, en compagnie de ma cousine germaine, j'ai visité le village de ma mère avec qui je n'avais plus de contact depuis 1973. C’était la fille de ma marraine qui habitait Zawiercie, une ville industrielle et laide qui occupe dans cette contrée la fonction de nœud de communication, avec ses parents et son fils « Salwador » qu’elle avait mis au monde seule (et qui ignorait le sens du prénom). J’ai retrouvé l’emplacement de la maison où j’avais passé un été. C'était il y a longtemps, peut-être en 1960, quand j'avais 5 ans ou peut-être un an plus tard. Dans ma tête se déroulaient les images du village arriéré de la voïévodie de Kielce (qui avait appartenu à l'empire russe jusqu'à la 1re GM). J’ai reconnu l’emplacement de la maison d’alors par le puits, qui était encore utilisé car il n'y avait toujours pas d'eau courante, avec un tas de fumier à côté de la porcherie, le cabinet d’aisance, une simple construction en bois, à côté de la grange en face de la maison, une étable pour quelques vaches et chevaux. Il m’est revenu à la mémoire l’omniprésence des mouches dans une pièce-cuisine et la "chambre" à côté, un poêle comme dans un conte de fées russe, derrière lequel se trouvait un sac de sel « en cas de guerre », la soupe grasse à base de farine de seigle avec de l’oignon frit et les grattons que nous mangions avant de sortir dans le champ.
Le village de ma mère avait deux rues : « Ancien village », où les maisons étaient plus grandes, en pierre et « Nouveau village », où mes grands-parents maternels habitaient une chaumière construite en pisé et blanchie à la chaux, avec leur fils, mon parrain, sa femme et deux filles, mes cousines. Ma grand-mère était vieille, aveugle et marchait avec une canne.
Une éducation religieuse dans une petite ville de Posnanie où le secrétaire du parti communiste et le curé jouaient ensemble aux cartes
J'ai rompu avec l'Église catholique, de manière ostentatoire, à l’âge de 16 ans avec mon camarade de classe du lycée, dans une petite ville de province, en Posnanie. Tandis que ses citoyens, y compris le secrétaire de la cellule du POUP (parti communiste) de l’usine sucrière locale, mon voisin, des familles entières, des collègues se rendaient le dimanche à l'église pour la grand-messe ou une messe pour les jeunes, certains se tenaient debout devant le temple gothique bondé, d'autres hommes restaient devant la tour du clocher ou sur le trottoir et les escaliers d'une maison voisine, nous deux, encore adolescents, nous nous promenions à travers la ville en discutant. Notre courage péripatéticien nous portait sur les ailes de la fierté à une destinée inconnue. Plus tard nous ne sommes pas allés à la confession et à la communion à la veille des examens du baccalauréat, comme l'avaient fait la plupart des élèves par tradition, par besoin spirituel et probablement par peur. Ce fut alors le dernier moment d'hésitation du garçon élevé par sa grand-mère paternelle dès l'école primaire, qui avait coutume de dire : "quand on craint on se tourne vers Dieu". Ma grand-mère était croyante et pratiquante. Elle se considérait comme une bourgeoise à sa manière et méprisait d’une certaine façon les paysans des villages environnants qui venaient en ville. Son mari, mon grand-père, peut-être soucieux du « qu’en dira-t-on », semblait lui aussi croyant et pratiquant, Il était un maître tailleur apprécié, actif dans la Guilde des métiers à l'époque de Gomułka et vivait bien.
Toute notre famille s’habillait à la mode, pour aller à l'église et pour la promenade dominicale. J’allais à la confession et à la communion le premier vendredi du mois. J'étais un croyant sincère comme ma grand-mère. Avant à l'école primaire on m'avait déjà enseigné les dix commandements, que je récitais à genoux devant la porte de la cuisine, au-dessus de laquelle était suspendu un crucifix. J'ai suivi pendant la première année de l’école primaire le cours de catéchèse dans la "petite église", comme on disait à l’époque, qui avait appartenu à la communauté luthérienne allemande avant la 2e GM. On y célébrait le culte catholique pour les jeunes car seule la "grande église » (une collégiale) avait le statut d’église paroissiale. Nous étions sous la coupe d’une religieuse de la Miséricorde. La sœur Rosa portait un grand cornet blanc et nous en avions terriblement peur (après des années je me suis souvenu d’elle en regardant "Fellini Roma"). Ensuite un prêtre a pris le relais et ses cours se déroulaient dans une salle paroissiale en face du presbytère. Chaque année, à la fin de l’année scolaire, lors de la cérémonie dans l'auditorium de l’école primaire, construite en bonne brique rouge et qui datait de l’époque prussienne, nous recevions « le certificat » puis nous nous rendions au presbytère où avait lieu la cérémonie de remise du diplôme de catéchisme, avec une photo de la classe. Ces deux institutions coexistaient sans entrer en conflit idéologique puisque nos professeurs fréquentaient également l'église. Du reste tout le monde savait que le secrétaire du Parti, le staroste (chef du district) et le prêtre prélat jouaient ensemble aux cartes. Mon école a rompu une seule fois cet accord tacite. C'était en 1966, l'année du millénaire du baptême de la Pologne, alors que l'image de la Mère noire de Dieu (Vierge noire de Częstochowa) voyageait à travers le pays. Toutes les classes avaient été retenues dans la salle d’auditorium jusqu'à ce que l'icône sainte quitte la ville. Je me souviens avoir couru vers la « grande église » et trouvé une nef vide et en arrière-plan, dans le transept, avant les escaliers menant aux stalles canoniques et au maître-autel, un grand cadre vide entouré de rubans jaunes. J'étais très déçu et triste.
Ma foi était honnête mais condamnée par le péché d’adolescence. L'étude de la religion était pour moi si évidente que je me souviens aussi d'avoir tenté, avec mes camarades de classe, d’enrôler par la force un des nôtres qui n’y allait pas. Non à cause de l’appartenance de son père au Parti, nous n’en savions rien mais peut-être parce il s’appelait Ślązak (qui veut dire Silésien) C'était peut-être la seule forme d'intolérance à cette époque. Nous ne parlions pas de politique parce que nous étions encore des enfants. Quoi qu'il en soit, c'était la spécificité de la petite ville de Posnanie (Grande-Pologne).
1990 - Retour au pays dans le village de ma mère
En 1990, en compagnie de ma cousine germaine, j'ai visité le village de ma mère avec qui je n'avais plus de contact depuis 1973. C’était la fille de ma marraine qui habitait Zawiercie, une ville industrielle et laide qui occupe dans cette contrée la fonction de nœud de communication, avec ses parents et son fils « Salwador » qu’elle avait mis au monde seule (et qui ignorait le sens du prénom). J’ai retrouvé l’emplacement de la maison où j’avais passé un été. C'était il y a longtemps, peut-être en 1960, quand j'avais 5 ans ou peut-être un an plus tard. Dans ma tête se déroulaient les images du village arriéré de la voïévodie de Kielce (qui avait appartenu à l'empire russe jusqu'à la 1re GM). J’ai reconnu l’emplacement de la maison d’alors par le puits, qui était encore utilisé car il n'y avait toujours pas d'eau courante, avec un tas de fumier à côté de la porcherie, le cabinet d’aisance, une simple construction en bois, à côté de la grange en face de la maison, une étable pour quelques vaches et chevaux. Il m’est revenu à la mémoire l’omniprésence des mouches dans une pièce-cuisine et la "chambre" à côté, un poêle comme dans un conte de fées russe, derrière lequel se trouvait un sac de sel « en cas de guerre », la soupe grasse à base de farine de seigle avec de l’oignon frit et les grattons que nous mangions avant de sortir dans le champ.
Le village de ma mère avait deux rues : « Ancien village », où les maisons étaient plus grandes, en pierre et « Nouveau village », où mes grands-parents maternels habitaient une chaumière construite en pisé et blanchie à la chaux, avec leur fils, mon parrain, sa femme et deux filles, mes cousines. Ma grand-mère était vieille, aveugle et marchait avec une canne.
2000 – Retrouvailles avec ma mère où j’apprends mon véritable lieu de baptême
Mon grand-père avait alors donc 5 ans de moins et il me paraissait grand et même pas très vieux. Et il était en effet de haute taille et sans deux doigts mais un bon exploitant, apprécié par les voisins du village.
C’est à l’occasion de ce voyage en Pologne, où j’ai repris contact avec ma mère, que j'ai appris que j’avais été baptisé dans un plus grand village voisin et non à Włoszczowa, le chef-lieu de district comme on me l’avait toujours dit (ma famille paternelle).
En février 2005. j'ai profité du fait que je rendais visite à une amie à Zawiercie, actuellement dans la voïévodie de Silésie, pour me rendre en bus au village où j'ai été baptisé en 1955. 50 ans après, je revenais sur le vrai lieu de mon admission dans l'Église catholique. La mémoire de mes proches, celle de mon père et surtout de ma marraine, sa sœur, leur avait fait défaut lorsque je les avais interrogé à ce sujet quand je suis revenu au pays en 1982 et 1983. Mon baptême était enjolivé dans la mémoire de ma tante sous forme d'une aventure d'un passé lointain. Il y avait une charrette et le retour au village, en été, au milieu de la moisson. C’étaient les souvenirs d’une aventure de la jeune bourgeoise d'une petite ville provinciale, élève de l’École d'infirmières à Poznań.
Dans cette aventure, j’étais tombé de ses genoux sur la route de campagne sans pavement. Elle ne s'en était même pas rendu compte immédiatement. Mon oncle et parrain qui conduisait la charrette, a probablement dû dire le mot magique "prrrr" pour que le cheval s'arrête et ma tante a couru vers moi, emmailloté certainement, qui ne pleurais même pas. C'était probablement le signe qu'un jour je quitterais cette institution d'une manière aussi théâtrale.
2005 – Première tentative de demande d’apostasie
En février 2005. j'ai profité du fait que je rendais visite à une amie à Zawiercie, actuellement dans la voïévodie de Silésie, pour me rendre en bus au village où j'ai été baptisé en 1955. 50 ans après, je revenais sur le vrai lieu de mon admission dans l'Église catholique. La mémoire de mes proches, celle de mon père et surtout de ma marraine, sa sœur, leur avait fait défaut lorsque je les avais interrogé à ce sujet quand je suis revenu au pays en 1982 et 1983. Mon baptême était enjolivé dans la mémoire de ma tante sous forme d'une aventure d'un passé lointain. Il y avait une charrette et le retour au village, en été, au milieu de la moisson. C’étaient les souvenirs d’une aventure de la jeune bourgeoise d'une petite ville provinciale, élève de l’École d'infirmières à Poznań.
Dans cette aventure, j’étais tombé de ses genoux sur la route de campagne sans pavement. Elle ne s'en était même pas rendu compte immédiatement. Mon oncle et parrain qui conduisait la charrette, a probablement dû dire le mot magique "prrrr" pour que le cheval s'arrête et ma tante a couru vers moi, emmailloté certainement, qui ne pleurais même pas. C'était probablement le signe qu'un jour je quitterais cette institution d'une manière aussi théâtrale.
Ainsi, un dimanche de février 2005, je suis arrivé devant une petite église baroque avec un cimetière à côté. Il faisait venteux et froid. La messe se déroulait à l’intérieur. Elle était pour moi la garantie que j’allais trouver le curé et son presbytère ouvert. En attendant la fin de la messe, j'ai visité le cimetière où j'ai trouvé sur les pierres tombales les noms de mes proches : grand-mère, grand-père, oncle et tante. Quand les fidèles ont quitté le temple, j’y suis entré et j’ai tenté d'imaginer la cérémonie de mon baptême. Un sentiment d’étrangeté m’a envahi : après tant d'années je confrontais mon passé distant et refoulé à ces lieux,.
Je me suis ensuite dirigé vers le presbytère où le prêtre accueillait ses ouailles. Quand tout le monde a quitté la pièce, je me suis approché de lui… Ce ne fut pas le mot "mon père" qui est sorti de ma bouche mais un simple « bonjour » qui a été suivi d’un « Que son nom soit loué » . Je ne m'adresse plus aux membres du clergé depuis de nombreuses années. Si en France, on peut dire « Monsieur » aux prêtres qui ne portent plus de soutanes, mais souvent un col romain, depuis que la République laïque leur en a interdit au début du 20ème siècle, il en va tout autrement en Pologne.
Même lorsque ma mère est décédée en 2003, alors que je devais organiser ses funérailles, je n'ai pas pu utiliser la formule consacrée pour m’adresser au prêtre de sa paroisse de l'église Sainte-Élisabeth de Wrocław. Pour moi, il n'était qu'un homme exerçant son métier comme moi, un citoyen de la République de Pologne, rien de plus.
Une énorme surprise s’est manifestée sur son visage lorsque je lui ai présenté mon acte d'apostasie mais il m'a promis de prendre les mesures appropriées pour obtenir une confirmation. Cela signifiait l’envoi de l'acte à la curie du diocèse de Kielce et de sa confirmation en France. D'autre part, cela signifiait la « suppression » de mon nom des registres paroissiaux avec la notation « apostat ». Nous nous sommes séparés de la manière la plus courtoise, même si je me sentais gêné.
Après cette démarche, j'ai ressenti un soulagement : ma rupture lointaine déjà d’avec l'Église catholique polonaise était consommée. L’acte d’apostasie marquait la conformité avec la position et la vision du monde de l'athée que j’étais devenu.
Deux ans se sont écoulés et j'ai décidé d'appeler le secrétariat de la curie depuis la France. Son site n'était pas encore sur Internet comme il l'est maintenant, bien que les informations disponibles ne soient pas à jour pour ma paroisse de baptême. J'ai donc entendu une voix féminine après le signal (maintenant aussi elle apparaît mais avec une formule « Que son nom soit loué ») et j’ai dit ce que je voulais. En entendant "apostasie", la secrétaire est restée sans voix. J’ai continué en disant que la confirmation ne m’est jamais parvenue. "Nous n'avons rien reçu", "je ne sais rien." "Et si vous la voulez tellement, vous devrez comparaître à nouveau avec deux témoins." (J’ai appris qu’effectivement à ce moment-là l'Église polonaise mettait des bâtons dans les roues pour décourager les gens comme moi et exigeait la déposition de l’acte d’apostasie en présence de deux adultes). J'ai dit : "Mais les témoins de mon baptême sont morts !" Finalement j'ai compris et raccroché.
Les années ont passé, je me suis éloigné de ma famille en Pologne encore en vie et de mes amis du pays. Il a fallu cinq ans pour que j’y retourne.
J’ai effectué 3 visites en 2017 et trouvé un pays méconnaissable, s'éloignant de l'Europe et de ses valeurs. Et malgré cela, quand je suis arrivé, j'ai renouvelé mes connaissances, je me suis même retrouvé à Varsovie dans la « commémoration mensuelle" de l’accident de l’avion en 2010 à Smolensk avec le président de la République de Pologne et toute l’élite politique du pays, organisée par le frère jumeau, qui tout en étant un simple député dirige de fait la Pologne.
J’étais dans un groupe d'opposants avec qui j'ai crié "A bas Kaczor" (« canard » : les frères jumeaux s’appellent Kaczyński dont la racine du nom signifie cette volaille), "le Président au Tribunal d'Etat", on a jeté des roses en direction du groupe autour du frère qui a fait un discours. Mais j'étais seul, sans mes amis.
En juin c’était mon dernier retour. Je suis allé au défilé de l'égalité (Gay Pride). Le soleil brillait, il faisait très chaud et l’ambiance était festive. Je suis tombé sur le camion de "Lambda" (1re organisation LGBT) à la fondation de laquelle j'avais participé en février 1990.
C'était déjà une autre génération, plus jeune, plus dynamique, des visages différents, des revendications différentes. J'ajouterais que même sur le site de cette association, il n'y a aucune trace de ces premiers pas lorsque Kacper et Grzegorz (le couple et les cofondateurs) ont parlé positivement du président Jaruzelski qui respectait l'accord avec "Solidarité". Les gays sentaient la différence et respiraient un air de liberté presque pur. J'ai également entendu parler de leurs craintes pour l'avenir, du rôle et de l'influence croissants de l'Église et de ses relations avec les politiciens au sein du gouvernement de Mazowiecki (premier premier-ministre non communiste) et à l'extérieur. Nous sommes devenus amis. Nous nous sommes rendus visite. Ils ont ensuite émigré aux États-Unis.
Dans la foule du défilé devant la gare principale de Varsovie, j'ai aperçu un groupe de personnes qui portaient une bannière avec le slogan "L'athéisme n'exclut pas" . J'ai commencé une conversation avec une femme qui s'est avérée être la vice-présidente de la Fondation Kazimierz Łyszczyński (cf. mon article sur le premier athée européen) dont je n'ai jamais entendu parler. Nous avons entamé un dialogue sur la laïcité en France et en Pologne et avons parcouru en discutant les Aleje Jerozolimskie (avenue de Jérusalem, principale artère Est-Ouest), la place Zawiszy puis la rue Koszykowa et Marszałkowska (principale artère Nord-Sud). J'ai porté leur bannière avec une certaine fierté, j'ai parlé avec des membres de la fondation et des professeurs d'université, et j'ai finalement eu l'impression que j'y étais moi-même. Que ces personnes étaient finalement plus proches de moi que tout groupe LGBT. J'ai reçu d'eux un badge en métal avec le nom de la fondation. Nous nous sommes séparés devant le Palais de la culture et de la science (gratte-ciel stalinien) sans échanger de téléphones.
Et encore une fois, je me suis éloigné de la Mère / Marâtre - Pologne. Mon dernier séjour a eu lieu, deux ans et demi plus tard, en novembre 2019, lorsque je n'ai rendu visite qu'à deux personnes : une amie âgée et une demi-sœur que j'ai récupérée un an après avoir rejoint le portail "Notre classe" (avant le Facebook) et un petit groupe d'amis du lycée.
En mars 2020, quand j'ai compris le danger d’un confinement dans mon appartement parisien suite à la crise de la pandémie de Covid 19, après avoir voté au premier tour des élections municipales, je me suis enfui dans un village bourguignon où nous avons une maison. Cette contrée me rappelle certains paysages polonais. Et comme les habitants ressemblent au type physique de la Posnanie (les autochtones de la région de Bourgogne sont des descendants de la tribu germanique, les Burgondes qui ont quitté le territoire de la Pologne d'aujourd'hui au IIIe siècle pour l’atteindre et y créer un royaume puissant au Ve siècle), je m’y suis fabriqué des racines.
Ma maison se trouve à un kilomètre du village. Chaque jour je regarde la petite église gothique et de 8 h du matin à 10 h du soir, j'entends le son de sa cloche. Elle n’appelle plus à la messe. Elle est même fermée à double tour car il n'y a pas de prêtre. Les fidèles locaux, et ils sont peu nombreux, vont le dimanche au monastère bénédictin voisin fondé au milieu du XIXe siècle par le père Muard à la manière des fondations de ce type en Bourgogne médiévale. Le mouvement de la réforme cistercienne est né dans cette terre. Non loin d’ici est située l'abbaye de Fontenay, fondée par saint Bernard puis celle de Cîteaux, le monastère-mère fondé par saint Robert de Molesme.
Une énorme surprise s’est manifestée sur son visage lorsque je lui ai présenté mon acte d'apostasie mais il m'a promis de prendre les mesures appropriées pour obtenir une confirmation. Cela signifiait l’envoi de l'acte à la curie du diocèse de Kielce et de sa confirmation en France. D'autre part, cela signifiait la « suppression » de mon nom des registres paroissiaux avec la notation « apostat ». Nous nous sommes séparés de la manière la plus courtoise, même si je me sentais gêné.
Après cette démarche, j'ai ressenti un soulagement : ma rupture lointaine déjà d’avec l'Église catholique polonaise était consommée. L’acte d’apostasie marquait la conformité avec la position et la vision du monde de l'athée que j’étais devenu.
2007 – L'Église polonaise durcit les règles d’apostasie
Deux ans se sont écoulés et j'ai décidé d'appeler le secrétariat de la curie depuis la France. Son site n'était pas encore sur Internet comme il l'est maintenant, bien que les informations disponibles ne soient pas à jour pour ma paroisse de baptême. J'ai donc entendu une voix féminine après le signal (maintenant aussi elle apparaît mais avec une formule « Que son nom soit loué ») et j’ai dit ce que je voulais. En entendant "apostasie", la secrétaire est restée sans voix. J’ai continué en disant que la confirmation ne m’est jamais parvenue. "Nous n'avons rien reçu", "je ne sais rien." "Et si vous la voulez tellement, vous devrez comparaître à nouveau avec deux témoins." (J’ai appris qu’effectivement à ce moment-là l'Église polonaise mettait des bâtons dans les roues pour décourager les gens comme moi et exigeait la déposition de l’acte d’apostasie en présence de deux adultes). J'ai dit : "Mais les témoins de mon baptême sont morts !" Finalement j'ai compris et raccroché.
Les années ont passé, je me suis éloigné de ma famille en Pologne encore en vie et de mes amis du pays. Il a fallu cinq ans pour que j’y retourne.
2017 – Manifestations dans un pays devenu méconnaissable
J’ai effectué 3 visites en 2017 et trouvé un pays méconnaissable, s'éloignant de l'Europe et de ses valeurs. Et malgré cela, quand je suis arrivé, j'ai renouvelé mes connaissances, je me suis même retrouvé à Varsovie dans la « commémoration mensuelle" de l’accident de l’avion en 2010 à Smolensk avec le président de la République de Pologne et toute l’élite politique du pays, organisée par le frère jumeau, qui tout en étant un simple député dirige de fait la Pologne.
J’étais dans un groupe d'opposants avec qui j'ai crié "A bas Kaczor" (« canard » : les frères jumeaux s’appellent Kaczyński dont la racine du nom signifie cette volaille), "le Président au Tribunal d'Etat", on a jeté des roses en direction du groupe autour du frère qui a fait un discours. Mais j'étais seul, sans mes amis.
En juin c’était mon dernier retour. Je suis allé au défilé de l'égalité (Gay Pride). Le soleil brillait, il faisait très chaud et l’ambiance était festive. Je suis tombé sur le camion de "Lambda" (1re organisation LGBT) à la fondation de laquelle j'avais participé en février 1990.
C'était déjà une autre génération, plus jeune, plus dynamique, des visages différents, des revendications différentes. J'ajouterais que même sur le site de cette association, il n'y a aucune trace de ces premiers pas lorsque Kacper et Grzegorz (le couple et les cofondateurs) ont parlé positivement du président Jaruzelski qui respectait l'accord avec "Solidarité". Les gays sentaient la différence et respiraient un air de liberté presque pur. J'ai également entendu parler de leurs craintes pour l'avenir, du rôle et de l'influence croissants de l'Église et de ses relations avec les politiciens au sein du gouvernement de Mazowiecki (premier premier-ministre non communiste) et à l'extérieur. Nous sommes devenus amis. Nous nous sommes rendus visite. Ils ont ensuite émigré aux États-Unis.
Dans la foule du défilé devant la gare principale de Varsovie, j'ai aperçu un groupe de personnes qui portaient une bannière avec le slogan "L'athéisme n'exclut pas" . J'ai commencé une conversation avec une femme qui s'est avérée être la vice-présidente de la Fondation Kazimierz Łyszczyński (cf. mon article sur le premier athée européen) dont je n'ai jamais entendu parler. Nous avons entamé un dialogue sur la laïcité en France et en Pologne et avons parcouru en discutant les Aleje Jerozolimskie (avenue de Jérusalem, principale artère Est-Ouest), la place Zawiszy puis la rue Koszykowa et Marszałkowska (principale artère Nord-Sud). J'ai porté leur bannière avec une certaine fierté, j'ai parlé avec des membres de la fondation et des professeurs d'université, et j'ai finalement eu l'impression que j'y étais moi-même. Que ces personnes étaient finalement plus proches de moi que tout groupe LGBT. J'ai reçu d'eux un badge en métal avec le nom de la fondation. Nous nous sommes séparés devant le Palais de la culture et de la science (gratte-ciel stalinien) sans échanger de téléphones.
Et encore une fois, je me suis éloigné de la Mère / Marâtre - Pologne. Mon dernier séjour a eu lieu, deux ans et demi plus tard, en novembre 2019, lorsque je n'ai rendu visite qu'à deux personnes : une amie âgée et une demi-sœur que j'ai récupérée un an après avoir rejoint le portail "Notre classe" (avant le Facebook) et un petit groupe d'amis du lycée.
Apostasie en temps de la pandémie de Covid 19
Ma maison se trouve à un kilomètre du village. Chaque jour je regarde la petite église gothique et de 8 h du matin à 10 h du soir, j'entends le son de sa cloche. Elle n’appelle plus à la messe. Elle est même fermée à double tour car il n'y a pas de prêtre. Les fidèles locaux, et ils sont peu nombreux, vont le dimanche au monastère bénédictin voisin fondé au milieu du XIXe siècle par le père Muard à la manière des fondations de ce type en Bourgogne médiévale. Le mouvement de la réforme cistercienne est né dans cette terre. Non loin d’ici est située l'abbaye de Fontenay, fondée par saint Bernard puis celle de Cîteaux, le monastère-mère fondé par saint Robert de Molesme.
Les moines ont construit ici dans la seconde moitié du XIXe siècle une maison, dans une forêt profonde, au bord d'une rivière, qui s'est lentement transformée en un complexe monastique assez important. Les gens viennent ici à la recherche de spiritualité ou de « désintoxination ». Ils louent une cellule mais ils ne sont pas obligés de participer à des rituels qui se déroulent dans un silence complet. Les moines ont également une ferme biologique depuis 1969 et élèvent les vaches laitières de race alpine et les chèvres. La ferme est gérée par un administrateur laïc qui vit ici avec sa famille. Les moines y travaillent souvent et apparaissent parfois au village mais en civil, à pied ou à vélo. J’y achète le lait pour le transformer en yogourt, kéfir, fromage cottage et je fais de la ricotta à partir du petit lait. Je n’ai pas de contact avec les moines mais une fois, quand j’étais encore professeur d’histoire, j'ai organisé un voyage pour les élèves du lycée de la banlieue parisienne. Le programme prévoyait la visite de l'abbaye cistercienne de Fontenay, le séjour dans «mon» monastère et la visite de sa ferme biologique. Je n’ai jamais fui les églises et les institutions quand il s'agissait de curiosité ou de voyage pour les élèves, car je voulais leur enseigner la civilisation et la culture chrétiennes malgré mon athéisme. J'ai toujours pensé qu'il fallait comprendre le monde actuel par l'histoire. Et d’autant plus que je vivais et travaillais dans un pays si sécularisé. La plupart de mes élèves n'avaient aucune idée de ce qu'était la foi et la pratique chrétiennes, bien qu'une grande partie d'entre eux aient été baptisés par tradition. J'ai été confronté à la même ignorance dans le cas des jeunes musulmans ou juifs.
L'Église catholique française a été sévèrement touchée pendant la Révolution. Puis après, elle s’est reconstruite mais avec moins de richesse et moins de panache. La République dirigée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle par les Radicaux a conduit à la séparation d’avec les Églises en 1905. Plus tôt, elle menait la guerre aux congrégations. Les portes des églises étaient forcées par les gendarmes pour l’inventaire des biens matériels. Certains maires radicaux n'hésitaient pas à faire construire les urinoirs adossés aux murs de l'église (une chose impensable en Pologne). De nos jours, l'Église française jouit, dans l'opinion publique et la classe politique de statut d'un partenaire rationnel dans les débats sur la société. Bien sûr, elle était en opposition au « mariage pour tous » ainsi que d'autres institutions religieuses présentes dans ce pays. Mais c'est le Parlement qui a adopté la nouvelle loi après un débat de trois semaines car, comme on peut le lire dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle est « l'expression de la volonté générale ».
Le paysage avec l'église que je regarde depuis 11 ans ressemble d’ailleurs à l’affiche électorale de 1981 de François Mitterrand proclamant "La Force tranquille", grâce à laquelle il a gagné contre Giscard d'Estaing. C'est un paysage apaisant et poussant à la réflexion.
Je me suis donc enfermé avec mon partenaire, non pas dans le village toscan du Décaméron de Boccace, mais dans un village morvandiau. Je me suis isolé des autres et les autres de moi. Il y a eu un temps de peur mais aussi un temps hésiodique des Travaux et des Jours. Le jardinage, les réparations dans la maison et la lecture ont rempli le sentiment du vide après mon départ à la retraite. Ce temps de suspension a poussé à la réflexion et au retour au passé, aux tentatives infructueuses de la reconstruction des relations familiales. Je suis revenu aux vieilles affaires : souvenirs, longues conversations téléphoniques nocturnes avec des proches et des amis. Et dans cette phase de déceptions « sans fil » (par WhatsApp ou Skype), j'ai dirigé mes pensées vers mon apostasie inaboutie.
Dans de nombreuses conversations avec des amis polonais, j'ai entendu l'étonnement ou l'incompréhension. "Pourquoi en as-tu besoin, mon vieux ?" "Laisse tomber, arrête de creuser le passé" "A quoi bon ?" - J'entendais la voix d'une notaire de province. "Et toi y as-tu pensé ?" – ai-je demandé."Tu es non croyante", ai-je insisté. "Je ne vais pas à l'église de toute façon et je ne laisse pas entrer les calotins dans ma maison quand ils font les visites pastorales après Noël". Et puis "je ne donne pas de denier au culte et cette institution ne m’intéresse pas". "Ils peuvent penser ce qu'ils veulent. A quoi bon me tourmenter avec eux." "Et si je veux enterrer ma mère, ils m'interdiront encore le cimetière, nous n’en avons que le catholique" "Et quoi ? Devrais-je me tourmenter avec eux ? Qu'il en soit ainsi." Je n'ai pas abandonné : "Tu n'as pas de principes ? Ils nous comptent dans les statistiques. Tu as été baptisée et confirmée, non ?" "Je l’ai été et alors ?" – a-t-elle répondu. "Eh bien, si tu es non croyante, tu devrais te désinscrire de l’Église catholique. Pour que tu ne sois pas comptabilisée, pour que le pouvoir ne puisse pas utiliser cet argument dans la politique de l'État en matière religieuse, d'éducation" – ai-je insisté. "Moi je veux qu'ils me rayent, pour que ce soit une fraction de pour cent de moins. Mais c'est aussi une question de principes, ma position sur ces questions." "Je suis athée et j'exige de l’Église de ne plus figurer dans ses livres et ses statistiques." Nous avons terminé la conversation et je ne suis plus revenu sur le sujet plus tard.
J'ai retrouvé "ma paroisse" sur le site de la curie de Kielce. Il y avait un numéro fixe qui n'était pas valable, comme me l'a dit la voix de mon opérateur français SFR. Il y avait deux numéros de portable mais l'un n'a pas répondu et l'autre a diffusé une chanson joyeuse, destinée à la jeunesse. J'ai écrit un mail à la paroisse mais le lendemain je suis retourné sur le site de la curie. J'ai décidé de composer le numéro du notaire et je l'ai traité de "Monsieur". Offensé il m'a fait la remarque et exigé le titre de « mon père » (= prince, en fait c’est un jeu de mot intraduisible). Je l'ai donc secoué verbalement avec mes arguments d'apostat et d'athée. Il a traité mon cas, pour ainsi dire de manière non professionnelle, peu fiable avec résistance, me proposant d'abord de me tourner vers « ma paroisse » française (sic). Et quand je m’y suis opposé, il m’a dit d’écrire au curé de « ma paroisse » de baptême une lettre recommandée. « Il vous répondra quand il retournera de son congé de maladie en juin ». "Si vous obtenez la réponse du curé avec une notification de l'apostasie, vous en aurez la confirmation."
Je n'ai pas lâché. Je me suis adressé, par téléphone, au chancelier de la curie sans évoquer mon apostasie en le traitant, cette fois-ci, de « mon père » comme son rang exige. Il s'est révélé plus ouvert, normal. Je voulais lui transmettre le fait que je n'avais pas pu contacter la paroisse concernant le certificat de baptême parce que les numéros de téléphone n’étaient pas bons. Je n’ai pas beaucoup avancé mais j'ai obtenu la confirmation de la maladie du curé bienfaiteur de "ma" paroisse et son retour imminent aux brebis laissées aux bons soins du vicaire.
Toutefois, mon impatience est devenue encore plus forte et j'ai eu l'idée d'atteindre le vicaire laissé à la merci des paroissiens. Et ... après avoir téléphoné au bureau communal de X, j'ai obtenu le numéro du portable de l'écoutète du village de "ma" paroisse. "Le curé a disparu " a dit une voix agréable. "Comment disparu ? " ai-je demandé. "Eh bien, quelques mois seront" "Et qui a célébré la messe aujourd'hui ?" ai-je demandé naïvement. "Et ben, le prêtre de Y est venu et l’a dite avec le vicaire mais malheureusement je n'y suis pas allée." "Et vous n'êtes pas par hasard journaliste ?" demanda-t-elle alors que j’essayais de soutirer des informations. « Non, j'appelle pour mon baptême. Mes grands-parents, mon parrain et ma tante sont enterrés dans votre cimetière. C'est de là que venait ma mère. Vous connaissez W ? "Oui, mais je ne suis pas d'ici, c’est mon mari qui est d’ici".
L'Église catholique française a été sévèrement touchée pendant la Révolution. Puis après, elle s’est reconstruite mais avec moins de richesse et moins de panache. La République dirigée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle par les Radicaux a conduit à la séparation d’avec les Églises en 1905. Plus tôt, elle menait la guerre aux congrégations. Les portes des églises étaient forcées par les gendarmes pour l’inventaire des biens matériels. Certains maires radicaux n'hésitaient pas à faire construire les urinoirs adossés aux murs de l'église (une chose impensable en Pologne). De nos jours, l'Église française jouit, dans l'opinion publique et la classe politique de statut d'un partenaire rationnel dans les débats sur la société. Bien sûr, elle était en opposition au « mariage pour tous » ainsi que d'autres institutions religieuses présentes dans ce pays. Mais c'est le Parlement qui a adopté la nouvelle loi après un débat de trois semaines car, comme on peut le lire dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle est « l'expression de la volonté générale ».
Le paysage avec l'église que je regarde depuis 11 ans ressemble d’ailleurs à l’affiche électorale de 1981 de François Mitterrand proclamant "La Force tranquille", grâce à laquelle il a gagné contre Giscard d'Estaing. C'est un paysage apaisant et poussant à la réflexion.
Je me suis donc enfermé avec mon partenaire, non pas dans le village toscan du Décaméron de Boccace, mais dans un village morvandiau. Je me suis isolé des autres et les autres de moi. Il y a eu un temps de peur mais aussi un temps hésiodique des Travaux et des Jours. Le jardinage, les réparations dans la maison et la lecture ont rempli le sentiment du vide après mon départ à la retraite. Ce temps de suspension a poussé à la réflexion et au retour au passé, aux tentatives infructueuses de la reconstruction des relations familiales. Je suis revenu aux vieilles affaires : souvenirs, longues conversations téléphoniques nocturnes avec des proches et des amis. Et dans cette phase de déceptions « sans fil » (par WhatsApp ou Skype), j'ai dirigé mes pensées vers mon apostasie inaboutie.
Dans de nombreuses conversations avec des amis polonais, j'ai entendu l'étonnement ou l'incompréhension. "Pourquoi en as-tu besoin, mon vieux ?" "Laisse tomber, arrête de creuser le passé" "A quoi bon ?" - J'entendais la voix d'une notaire de province. "Et toi y as-tu pensé ?" – ai-je demandé."Tu es non croyante", ai-je insisté. "Je ne vais pas à l'église de toute façon et je ne laisse pas entrer les calotins dans ma maison quand ils font les visites pastorales après Noël". Et puis "je ne donne pas de denier au culte et cette institution ne m’intéresse pas". "Ils peuvent penser ce qu'ils veulent. A quoi bon me tourmenter avec eux." "Et si je veux enterrer ma mère, ils m'interdiront encore le cimetière, nous n’en avons que le catholique" "Et quoi ? Devrais-je me tourmenter avec eux ? Qu'il en soit ainsi." Je n'ai pas abandonné : "Tu n'as pas de principes ? Ils nous comptent dans les statistiques. Tu as été baptisée et confirmée, non ?" "Je l’ai été et alors ?" – a-t-elle répondu. "Eh bien, si tu es non croyante, tu devrais te désinscrire de l’Église catholique. Pour que tu ne sois pas comptabilisée, pour que le pouvoir ne puisse pas utiliser cet argument dans la politique de l'État en matière religieuse, d'éducation" – ai-je insisté. "Moi je veux qu'ils me rayent, pour que ce soit une fraction de pour cent de moins. Mais c'est aussi une question de principes, ma position sur ces questions." "Je suis athée et j'exige de l’Église de ne plus figurer dans ses livres et ses statistiques." Nous avons terminé la conversation et je ne suis plus revenu sur le sujet plus tard.
J'ai retrouvé "ma paroisse" sur le site de la curie de Kielce. Il y avait un numéro fixe qui n'était pas valable, comme me l'a dit la voix de mon opérateur français SFR. Il y avait deux numéros de portable mais l'un n'a pas répondu et l'autre a diffusé une chanson joyeuse, destinée à la jeunesse. J'ai écrit un mail à la paroisse mais le lendemain je suis retourné sur le site de la curie. J'ai décidé de composer le numéro du notaire et je l'ai traité de "Monsieur". Offensé il m'a fait la remarque et exigé le titre de « mon père » (= prince, en fait c’est un jeu de mot intraduisible). Je l'ai donc secoué verbalement avec mes arguments d'apostat et d'athée. Il a traité mon cas, pour ainsi dire de manière non professionnelle, peu fiable avec résistance, me proposant d'abord de me tourner vers « ma paroisse » française (sic). Et quand je m’y suis opposé, il m’a dit d’écrire au curé de « ma paroisse » de baptême une lettre recommandée. « Il vous répondra quand il retournera de son congé de maladie en juin ». "Si vous obtenez la réponse du curé avec une notification de l'apostasie, vous en aurez la confirmation."
Je n'ai pas lâché. Je me suis adressé, par téléphone, au chancelier de la curie sans évoquer mon apostasie en le traitant, cette fois-ci, de « mon père » comme son rang exige. Il s'est révélé plus ouvert, normal. Je voulais lui transmettre le fait que je n'avais pas pu contacter la paroisse concernant le certificat de baptême parce que les numéros de téléphone n’étaient pas bons. Je n’ai pas beaucoup avancé mais j'ai obtenu la confirmation de la maladie du curé bienfaiteur de "ma" paroisse et son retour imminent aux brebis laissées aux bons soins du vicaire.
Toutefois, mon impatience est devenue encore plus forte et j'ai eu l'idée d'atteindre le vicaire laissé à la merci des paroissiens. Et ... après avoir téléphoné au bureau communal de X, j'ai obtenu le numéro du portable de l'écoutète du village de "ma" paroisse. "Le curé a disparu " a dit une voix agréable. "Comment disparu ? " ai-je demandé. "Eh bien, quelques mois seront" "Et qui a célébré la messe aujourd'hui ?" ai-je demandé naïvement. "Et ben, le prêtre de Y est venu et l’a dite avec le vicaire mais malheureusement je n'y suis pas allée." "Et vous n'êtes pas par hasard journaliste ?" demanda-t-elle alors que j’essayais de soutirer des informations. « Non, j'appelle pour mon baptême. Mes grands-parents, mon parrain et ma tante sont enterrés dans votre cimetière. C'est de là que venait ma mère. Vous connaissez W ? "Oui, mais je ne suis pas d'ici, c’est mon mari qui est d’ici".
Et qu'apprenons-nous ? "Le curé était étrange, il sirotait et il pouvait même célébrer la messe ivre. C'était visible." "Et le vicaire ?" demandé-je. "Eh, il est étrange. C’est difficile de lui parler, vous savez, il garde la distance" Je lui dis que tous les paroissiens devraient réagir auprès de la curie, l’Église appartient aux fidèles et ils devraient écrire à la curie." "Eh ben ils ont écrit, mais anonymement" "Et personne n'a décidé de faire signer une lettre ouverte par les paroissiens ? Montré-je mon étonnement. "Vous, en tant que cheftaine du village, n'avez-vous pas essayé ?" "Tout le monde ici se connaît et personne ne veut se risquer et après ils vont jaser." "Avez-vous le portable du vicaire ?" "Oui, mais je ne suis pas chez moi. Attendez, la voisine chez qui je suis l’a aussi." J'ai obtenu la "clé" et j'ai décidé d'appeler par Skype immédiatement. Mais personne n’a répondu. "Savez-vous s'il est là dans le presbytère ?" Demandé-je à nouveau à la cheftaine. "Eh bien, il devrait être là". "Mais il ne répond pas" "Eh bien, vous voyez, j'ai dit qu’il était bizarre" répond-elle surprise. "Pourquoi n’iriez-vous pas vérifier ?" ai-je proposé. "Eh bien, quand j'y serai, je vous enverrai un SMS". "Génial". J'étais content de cette suggestion. Et j'ai reçu en effet la confirmation qu'il était là et qu'il me répondrait puisqu’elle l'a prévenu. Mais il ne m’a pas répondu car le message "numéro inconnu" était affiché. Encore une fois le lendemain, je pianote le numéro du vicaire sur les touches de mon ordinateur. Il ne répond pas. Je recommence. Sans résultat. J'appelle donc le chancelier de la curie, qui confirme le numéro et propose de l'appeler et de l'avertir. Il n'y avait toujours aucune mention de l'apostasie. Miracle. Le vicaire répond enfin, s’explique et nous nous mettons d’accord pour 10 h quand il sera au presbytère. Trois quarts d'heure plus tard, je l'ai sur le combiné ou plutôt sa voix sur mon ordinateur. On vérifie car il a déjà réussi à ouvrir le registre paroissial pour mon année de naissance. Je ne connaissais pas la date mais je savais que c'était en été.
Il confirme la plupart des données mais me donne également, à ma grande surprise, le deuxième prénom du baptême que j’ignorais complètement : le nom de mon grand-père paternel ! "Et quelque chose y est écrit, supprimé parce que ... ?" Et ici, je lui dévoile la vérité. "Non, il n'y a rien", dit-il. "Eh bien, j'ai fait un acte d'apostasie en 2005" "Et il n'y a rien ?" dis-je avec insistance. "Non, rien". "Et qui était alors le curé ?" - demandé-je. "Vous savez, je suis là depuis peu. Je ne sais rien". Je l'imagine en train d’écarter les bras. "Le curé le sait peut-être mais il est en congé de maladie." "Et comment se fait-il que vous, prêtre dans cette paroisse vous ignoriez qui était le curé ici auparavant ?" Nous nous séparons et je pianote à nouveau sur le numéro du chancelier à qui je ne découvre toujours pas la véritable raison de mes appels. Et je lui demande le nom du curé de l'époque et ses coordonnées. "Le père Lichota a été transféré à la paroisse de K". J'obtiens son numéro fixe." Père Lichota? "- demandé-je." Vous vous souvenez quand je suis venu chez vous et j’ai déposé mon acte d’apostasie en 2005 ? » "Je m'en souviens" répond-il. "Et qu'en avez-vous fait parce que je suis toujours membre de l'Église catholique ? Je n'ai pas été effacé dans le registre paroissial. C'est un oubli prémédité de votre part" dis-je. A quoi il rétorque :" J'ai envoyé votre dossier à la curie et je n'en ai pas reçu de réponse". " Eh bien, la curie cependant n'a rien fait " J'ai finalement compris les calculs de la curie. Et il m'a dit : "Veuillez vous adresser au tribunal épiscopal", ce que j'ai immédiatement fait en pianotant le clavier de mon ordinateur. Et c'était juste le tout début de l’après-midi. Une voix masculine a répondu grossièrement, m’a rappelé en haussant le ton que le tribunal était déjà fermé. La voix, toujours désagréable m’a annoncé que je devais me tourner vers la curie et m’a raccroché au nez. Seulement après une autre conversation avec le chancelier, qui, quand il a finalement compris mon entreprise, a changé le ton et m'a conseillé de lui écrire un e-mail avec toutes les données concernant mon baptême. C’est ce que j’ai fait en terminant avec les salutations d’usage. Après trois jours, j'ai reçu la formule laconique "J'ai reçu, père P. Pietraś. Rien de plus. Point final. J'attends toujours la confirmation de mon apostasie bien que je lui aie retourné ensuite un court e-mail : "Merci mais qu'est-ce que cela signifie ? La recherche de mon acte sera-t-elle entreprise ? Veuillez clarifier la démarche de votre part".
Au bout d’un certain temps, après plusieurs tentatives infructueuses de joindre l'évêque lui-même par téléphone, j'ai décidé d’y adresser le courriel. Je lui ai décrit toute la situation mais je n'ai reçu aucune réponse. La peste s’est installée non seulement dans les villes et les villages de Pologne mais surtout dans l'Église elle-même. Les évêques restent sourds aux appels et ne répondent pas aux e-mails. Ces mêmes évêques qui appelaient les fidèles à la messe au début de la pandémie se sont enfermés dans leurs palais et coupés du monde.
J'attends toujours. Le silence ... et la peste continuent.
Il confirme la plupart des données mais me donne également, à ma grande surprise, le deuxième prénom du baptême que j’ignorais complètement : le nom de mon grand-père paternel ! "Et quelque chose y est écrit, supprimé parce que ... ?" Et ici, je lui dévoile la vérité. "Non, il n'y a rien", dit-il. "Eh bien, j'ai fait un acte d'apostasie en 2005" "Et il n'y a rien ?" dis-je avec insistance. "Non, rien". "Et qui était alors le curé ?" - demandé-je. "Vous savez, je suis là depuis peu. Je ne sais rien". Je l'imagine en train d’écarter les bras. "Le curé le sait peut-être mais il est en congé de maladie." "Et comment se fait-il que vous, prêtre dans cette paroisse vous ignoriez qui était le curé ici auparavant ?" Nous nous séparons et je pianote à nouveau sur le numéro du chancelier à qui je ne découvre toujours pas la véritable raison de mes appels. Et je lui demande le nom du curé de l'époque et ses coordonnées. "Le père Lichota a été transféré à la paroisse de K". J'obtiens son numéro fixe." Père Lichota? "- demandé-je." Vous vous souvenez quand je suis venu chez vous et j’ai déposé mon acte d’apostasie en 2005 ? » "Je m'en souviens" répond-il. "Et qu'en avez-vous fait parce que je suis toujours membre de l'Église catholique ? Je n'ai pas été effacé dans le registre paroissial. C'est un oubli prémédité de votre part" dis-je. A quoi il rétorque :" J'ai envoyé votre dossier à la curie et je n'en ai pas reçu de réponse". " Eh bien, la curie cependant n'a rien fait " J'ai finalement compris les calculs de la curie. Et il m'a dit : "Veuillez vous adresser au tribunal épiscopal", ce que j'ai immédiatement fait en pianotant le clavier de mon ordinateur. Et c'était juste le tout début de l’après-midi. Une voix masculine a répondu grossièrement, m’a rappelé en haussant le ton que le tribunal était déjà fermé. La voix, toujours désagréable m’a annoncé que je devais me tourner vers la curie et m’a raccroché au nez. Seulement après une autre conversation avec le chancelier, qui, quand il a finalement compris mon entreprise, a changé le ton et m'a conseillé de lui écrire un e-mail avec toutes les données concernant mon baptême. C’est ce que j’ai fait en terminant avec les salutations d’usage. Après trois jours, j'ai reçu la formule laconique "J'ai reçu, père P. Pietraś. Rien de plus. Point final. J'attends toujours la confirmation de mon apostasie bien que je lui aie retourné ensuite un court e-mail : "Merci mais qu'est-ce que cela signifie ? La recherche de mon acte sera-t-elle entreprise ? Veuillez clarifier la démarche de votre part".
Au bout d’un certain temps, après plusieurs tentatives infructueuses de joindre l'évêque lui-même par téléphone, j'ai décidé d’y adresser le courriel. Je lui ai décrit toute la situation mais je n'ai reçu aucune réponse. La peste s’est installée non seulement dans les villes et les villages de Pologne mais surtout dans l'Église elle-même. Les évêques restent sourds aux appels et ne répondent pas aux e-mails. Ces mêmes évêques qui appelaient les fidèles à la messe au début de la pandémie se sont enfermés dans leurs palais et coupés du monde.
J'attends toujours. Le silence ... et la peste continuent.
Juin 2020
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