catégories

dimanche 29 novembre 2015

Au nom de l'Empereur, du Tsar et du Kaiser


Cet article se concentre seulement sur les soldats polonais ayant combattu dans des formations spécifiques et ne traite pas de centaines de milliers de soldats soumis à la conscription et à la mobilisation générale proclamée par les empires dans lesquels ils vivaient au moment de l'éclatement de la Guerre. Ces soldats polonais constituaient une infime minorité des masses enrôlées par les autorités militaires des belligérants. Il est difficile aujourd'hui d'en distinguer la nationalité étant donné qu'elles étaient sujettes des monarques de ces empires multinationaux. Beaucoup vivaient d'ailleurs loin de leurs terres d'origine comme par exemple les ouvriers en Westphalie qui majoritairement y étaient venus de Posnanie ou encore les membres de la diaspora polonaise à l'intérieur de l'empire russe et concentrés dans les grandes agglomérations, sans parler de déportés en Sibérie. Beaucoup avaient perdu le contact avec leur langue et leur culture d'origine et étaient en voie d'assimilation de la culture dominante. L'administration russe, par exemple, établissait la nationalité en  fonction de la langue mais par exemple le biélorusse et l'ukrainien étaient considérés comme dialectes du russe (et leur locuteurs étaient tous orthodoxes après la liquidation de l'église uniate, greco-catholique, "trop polonisée", présente à l'Est du Royaume du Congrès) et la question de nationalité, spécifique ici, est difficile à aborder. Les Polonais étaient a priori catholiques mais, là aussi, rien ne permet d'établir de statistiques fiables. Selon "La Polonia en Russie" (Moscou- 2000)  in Stanisław Rakusa-Suszczewski, Hubert Szaniawski, Instytut Paleobiologii PAN, Warszawa NAUKA 4/2006 pp.101-110, par exemple, à la fin du XIXe siècle sur 1164 généraux, 64 étaient catholiques romains, en majorité donc, plutôt polonais, les officiers de rang inférieur étant encore plus nombreux.

 

 

Au nom de l'Empereur

 




Deux jours après l'attaque autrichienne (28 juillet 1914) contre la Serbie, Józef Piłsudski, commandant des formations de francs-tireurs polonais, acceptées tacitement, depuis 1910, par Vienne, demanda l'autorisation de mobilisation des unités en vue d'une action de diversion à la frontière russe tout près de Cracovie (le Congrès de Vienne avait créé la République de Cracovie, un petit territoire semi-libre sous tutelle des trois puissances «copartageantes» de la Pologne, supprimée en 1846 et annexée par l'Autriche ce qui fit apparaître le Triangle des trois empereurs – Dreikaisereck, au nord-est de la ville). Il fut informé aussi qu'après l'éclatement de la guerre russo-autrichienne, les formations polonaises devaient agir en direction de Miechów - Jędrzejów - Kielce.
Cette décision changeait le plan établi précédemment qui prévoyait l'entrée des formations dans le Bassin de Dąbrowa (bassin minier voisin de la Haute Silésie). Le 3 août dans le village cracovien d'Oleandry fut fondée la 1re Compagnie de cadres composée de 144 soldats, élèves des écoles d'officiers de francs-tireurs, organisations devant former les futures cadres de l'Armée polonaise.


 Oleandry, 1re compagnie de cadres début août 1918

Le chef s'adressa aux jeunes en leur signifiant qu'ils devenaient, par ce fait, les soldats polonais dont le symbole était l'aigle blanc et qui allaient avoir l'honneur de traverser les premiers la frontière du Royaume de Congrès en vue de libérer les territoires polonais occupés par les Russes.
Et en effet la nuit du 5 au 6 août la compagnie renversa les bornes frontalières et entra sur le territoire russe en avançant jusqu'à Kielce où elle fut accueillie avec méfiance et ne réussit pas à lever des volontaires sur qui comptait Piłsudski. Le jour du départ de jeunes soldats il s'adressa à la Commission des partis confédérés indépendantistes à Cracovie en déclarant qu'à Varsovie avait été formé un gouvernement national clandestin qui le nomma commandant des forces armées polonaises. Il publia un appel à la population polonaise libérée où il parlait du seul, vrai propriétaire de ces terres, le peuple polonais qui devait concentrer tous ses efforts dans le soutien au camp dirigé par le gouvernement national et qualifiait de traîtres tous ceux qui restaient en dehors de ce camp. En réalité aucun « Gouvernement national » ne fut formé et il s'agissait d'une mystification servant à aider l'action militaire de la compagnie de jeunes soldats partis en guerre.


L
L'état-major de la compagnie devant le palais du gouverneur à Kielce (août 1914)

Roman Starzyński évoquant les sentiments d'amertume des jeunes francs-tireurs galiciens écrivit : « Sur la place du marché à Skała, la foule de curieux observe la traversée de l'armée étrangère. Les nôtres sont partis. Personne ne souhaite la bienvenue de ces étrangers, personne ne salue. Une foule curieuse qui regarde et reste silencieuse. Personne ne propose un verre d'eau, personne ne tend un bout de pain. Ce n'est plus Cracovie, ce n'est plus la Galicie, c'est la Russie peuplée par une tribu parlant polonais mais sentant à la manière russe. Depuis le matin nous n'avons rien eu dans la bouche, la marche de plusieurs heures a épuisé nos forces mais tout cela, ce n'est rien à côté de ce sentiment du silence ennemi qui se pose sur nous de la part des habitants de ce bourg.                                    
 (R. Starzyński "Quatre années dans le service du Commandant »)


 Entrée des soldats de la Ire Compagnie de cadres à Kielce, 12 août 1914



Le 13, la compagnie, transformée en régiment qui comptait 2564 soldats au total, battit en retraite. C'est un échec flagrant pour Piłsudski qui se retrouva sans argument devant les choix impossibles: soit la dissolution de sa formation équivalant le suicide politique soit son incorporation dans l'ost autrichien. Les Autrichiens décidèrent l'incorporation des francs-tireurs polonais au Landsturm (organisation de défense territoriale).
Mais le groupe de députés conservateurs polonais fit pression à Vienne et l'empereur autorisa la formation de deux légions polonaises dans le cadre de l'ost autrichien aux côtes de l'armée austro-hongroise.
L'une fut créée à Cracovie (celle de l'Ouest, sous l'influence des milieux progressistes et de Piłsudski) et l'autre (celle de l'Est, sous l'influence des milieux nationalistes de ND) à Lemberg (Lwów en polonais) le 27 août 1914. A cause de l'offensive russe en Galicie et de la prise de Lemberg (2.09.1914) et des divisions au sein de la classe politique locale (la majorité des membres de la 2e légion refusa de prêter le serment de fidélité à François Joseph). la Légion orientale fut dissoute le 21 septembre mais 800 légionnaires l'ayant accepté rejoignirent la Légion occidentale dont le colonel Józef Haller, appelé plus tard, à jouer le rôle de commandant de l' »Armée bleue » en France (voir mon article) Le 19 décembre, la Légion occidentale fut divisée en trois brigades. Les autres soldats furent incorporés dans l'armée austro-hongroise. La Légion, un régiment de fait, combattit comme arrière-garde de l'armée autrichienne sur la ligne Nowy Korczyn-Opatowiec, sur la rive gauche de la Vistule.



L'itinéraire de la 1re et 2e brigade de la Légion (entre août 1914 et décembre 1915)
Légende: 2 premiers lignes concernent la 1re, la 3e ligne, la 2e brigade, la 4e, des groupes particuliers, la 5e, retraites et abandons de position


La Légion s'agrandit vite grâce à l'afflux de volontaires et les trois régiments initialement prévus se transformèrent en brigades de 5 à 6 000 soldats et officiers. La Ire, organisée en décembre 1914, était commandée par Piłsudski, à la tête de la IIe, formée en mai 1915, se trouva le colonel autrichien Ferdinand Küttner, remplacé par le colonel Haller en juillet 1916 et la IIIe fut attribuée le 8 septembre 1915, au colonel Wiktor Grzesicki se considérant comme autrichien, remplacé également par un colonel polonais, Stanisław Szeptycki qui entra le 1er décembre à Varsovie à la tête des détachements polonais.


Actions des Légions polonaises 1914-1916 
A gauche: situation des armées russes 29.08.1914; ligne du front 04.1915; ligne du front 13.07.1915; ligne du front 18.08.1915; ligne du front 10.1915-04.1916; ligne du front 07.1917; 
A droite:  parcours des 1re, 2e et 3e brigade; parcours de la 1re brigade; parcours de la 2e brigade; parcours de la 3e brigade, parcours de la légion Puławski (russe); lieux de bataille et dates.


Ainsi durant l'offensive allemande sur Varsovie et autrichienne sur Dęblin les bataillons polonais participèrent aux batailles de Laski (23-26.10.1914, les bataillons I, V et VI dans la 46e Division de la Landwehrinfanterie, près de Dęblin), d'Anielin (22.10., le 3e bataillon alors que le 4e bataillon atteignit les environs de Varsovie et le IIe, ceux de Łowicz). La retraite autrichienne est associée à un acte de bravoure du régiment commandé par Piłsudski qui, menacé d'être repoussé par l'armée autrichienne reculant devant l'armée russe sur le territoire de l'empire allemand, opéra une manœuvre (contre l'ordre autrichien) et qui lui permit de passer avec une partie de son régiment entre les deux armées en évitant l'encerclement par les Russes et de rejoindre Cracovie. Laissées du côté de la 46 Division de l'Armée de terre autrichienne, les forces du Ier régiment (1700 soldats) affrontèrent les Russes à Krzywopłoty (16-19.11.1914).
Après une pause ces détachements combattirent comme protection de l'aile droite de l'armée autrichienne dans la région de Mszana Dolna, Limanowa, Marcinkowice et Nowy Sącz. A la mi-décembre ces bataillons furent transformés en 1re Brigade de Légions polonaises qui prit part à la nouvelle bataille de Krzywopłoty et le 22-25 décembre à celle de Łowczówek qui dut être abandonné et celle de Konary en mai 1915 où les Polonais tinrent bon.


Rappelons que les Russes avaient engagé une grande offensive dans les Carpates afin de rejoindre la plaine de Hongrie et que les combats entre automne 1914 et le printemps 1915 causèrent des pertes considérables. Jusqu'au 30 avril 1915 les pertes totales de l'armée austro-hongroise comptent 1 471 776 hommes dont 221 300 tués, 661 959 blessés et 558 517 prisonniers. A titre de comparaison les Russes comptent pour la même période 2 500 000 hommes perdus. Face à ces difficultés et au danger d'effondrement de l'Autriche-Hongrie attaquée aussi sur les fronts méridionaux, l'état-major allemand décida de déplacer le poids militaire sur le front oriental en transférant une partie de ses effectifs pendant la dernière décade d'avril 1915. Dans le plus grand secret les gares ferroviaires de Nowy Sącz, Bochnia, Kamionka i Płaszów reçurent des milliers de soldats et du matériel allemands. La contre-offensive de printemps-été 1915 des Puissances centrales engagée lors de la bataille de Gorlice (2 mai) permit de repousser définitivement le danger russe.


Front oriental en Galicie, avril 1915


Mais auparavant la 2e Brigade, appelée de Carpates, repoussa l'attaque russe de Rafajłowa dans les Carpates orientales en janvier 1915, puis en juin, lors de la première bataille de Rarańcza (région de Czerniowce/Tchernowitz), alors qu'elle ne formait encore qu'un régiment. Elle s'y illustra par la charge, près de Rokitna, des 60 uhlans qui en 15 minutes réussirent à traverser quatre lignes de tranchées sous les feux croisés de mitraillettes. Dix sept uhlans furent tués et d'autres, blessés. 


Groupe d'officiers de la IIe Brigade (sur le cheval blanc, Józef Haller)

 
Après ces combats, la 1re Brigade participa aux manœuvres autrichiennes en direction de Radom et en vue de la traversée de la Vistule puis à la prise de Lublin. De là, les légionnaires polonais avancèrent jusqu'à Brest Litovsk et Kowel en Volhynie où leurs détachements furent réorganisés en nouveaux régiments et on y en envoya ceux de la IIe Brigade puis d'autres détachements en vue de former la IIIe Brigade.


Lors de l'offensive russe du général Broussilov, commencée le 4 juin 1916, les 5500 soldats de la 1re Brigade et d'autres légionnaires commandés par Piłsudski (7150 soldats au total et 34 canons), résistèrent aux attaques en Volhynie (Kostiuchnówka où l'on comptait 2000 pertes parmi les légionnaires) face aux 13000 soldats russes. Cette bataille est considérée comme la plus grande des soldats polonais combattant pour leur propre cause nationale pendant la Ire Guerre mondiale.




 Bataille de Kostiuchnówka (en bleu 3 lignes de défense polonaise, en vert l"armée hongroise, en rouge l'armée russe, tirés-chemin de fer, P-état-major de Piłsudski )




Le transfert formel des Légions polonaises par les autorités autrichiennes au commandement des autorités allemandes et du Conseil d’État provisoire se réalisa seulement le 10 avril 1917. Le nom officiel de cette formation était Forces armées polonaises ou Polnische Wehrmacht avec comme commandant en chef, le général allemand, Hans von Beseler. Une des conditions formulée par l'Allemagne était le serment de fidélité au Kaiser. Dans la première moitié de juillet tous les régiments devaient le prêter. Le 9, le 3e Régiment d'infanterie de la 2e Brigade le fit et le 12 devait faire de même le 1er Régiment, commandé par le lieutenant-colonel, Rydz-Śmigły et être déplacé à Modlin (près de Varsovie). Tout le régiment le refusa comme les soldats du 5e, stationnés aussi dans les environs de Varsovie. Ceux de la IIe et la IIIe Légion les suivirent dans ce refus. Entre le 17 et le 22 juillet ces soldats furent internés (les officiers près de Kalisz). Le 29 juillet 1916, protestant contre la non reconnaissances des Légions polonaises par les Puissances centrales qui avaient prouvé leur volonté de combattre l'ennemi, Józef Piłsudski déposa sa démission. Lui et le colonel Kazimierz Sosnkowski furent arrêtés et déportés dans la forteresse de Magdebourg.

La 2e brigade et les légionnaires qui prêtèrent le serment, transformés en Corps polonais auxiliaire, furent envoyés en Bukovine et Bessarabie. En février une partie des détachements se révolta lors de la 2e bataille de Rarańcza et les légionnaires commandés par Józef Haller traversèrent les lignes russes.



La revue du Corps auxiliaire polonais par l'empereur Charles Ier, le 10 décembre 1917.


Au nom du Tsar

 

 

 Nicolas II



Les premières formations polonaises



L'initiative de former des détachements polonais en Russie apparut suite à l'appel aux Polonais du grand-duc, Nicolas Nikolaïévitch. Son auteur fut Bonawentura Snarski. La compagnie de 200 soldats fut dirigée au front près de Pajęczno. Elle était utilisée comme force de reconnaissance mais après avoir subi des pertes importantes elle fut dissoute. Les députés polonais à la Douma, Wiktor Jaroński, Zygmunt Balicki et Bolesław Matuszewski, tentèrent sans succès d'en former d'autres. La même tentative entreprise par Witold Ostoja-Gorczyński, rencontra un écho positif de la part du commandement russe du front Sud-Ouest qui stationnait à Chełm. Le 31 octobre il réceptionna un télégramme dans lequel il était invité à se rendre à Baranowicze, le quartier général du commandement suprême des forces russes (Stavka). Le 9 novembre il reçut du général Nicolas Yanouchkevitch l'autorisation de formation de bataillons que le chef du front, le général, M. Pustovoïtenko, allait appeler "légions". Le 17 novembre, le grand-duc le confirmait et leur attribuait la fonction de reconnaissance et de diversion en arrière et sur les ailes des forces ennemies. Comme ils étaient volontaires, leurs conditions de service - bien différentes de celles des soldats russes. Le Comité national polonais en prit soin et le 21 novembre fut désigné le lieu de formation, à Puławy (Novo-Aleksandria en russe) dans le bâtiment de l'Institut d'agronomie et d'exploitation forestière. 


 Les laboratoires zootechniques et d'exploitation forestière, 1910





 L'internat pour étudiants, 1902. L'institut fut évacué au début de la guerre à Kharkov. La ville fut complètement détruite par les bombardements allemands à l'exception des bâtiments de l'Institut.


En décembre les volontaires recrutés à Brest-Litovsk (40) et à Chełm (30) furent transportés pour rejoindre ceux qui étaient déjà là et constituer la 1re compagnie, commandée par le capitaine, Aleksander Maciejewski. Certains futures légionnaires étaient confrontés aux difficultés dues au manque d'uniformes, manteaux, chaussures alors que d'autres, par exemple ceux venus de Brest-Litovsk y en avaient reçu avant le départ. L'instruction même y posait problème car les Russes tardaient à fournir l'équipement (uniformes et surtout les armes) mais lorsqu'il finit par arriver il était incomplet et de mauvaise qualité. Les instructeurs russes ignoraient les commandements en polonais et les légionnaires refusaient d’obéir à ceux prononcées en russe.



Les officiers de la légion de Puławy
      

                       
                 
                                                                                        Le lieutenant-colonel Witold Ostoja-Gorczyński
    Le général Edmund Świdziński    
  
         



                                                  
Le colonel Antoni Reutt 
    


La situation commença à s'améliorer au début de l'année 1915. On créa le Comité d'organisation de légions à la tête duquel se trouva le général Edmund Świdziński. Deux autres officiers de profession ainsi que quatre civils et Witold Ostoja-Gorczyński entrèrent dans le Comité qui fonctionnait en sections (7) dont la plus active, militaire, dirigée par le général Edmund Świdziński. Le commandant de la légion de Puławy devint le général actif de l'armée russe, Antoni Reutt. Avec l'afflux de volontaires on décida de créer une deuxième légion à Lublin. 800 volontaires y furent dirigés le 4 février alors que 300 autres furent transportés à Krępa et Ksawerynów (près de Maciejowice) pour former deux escadrons de uhlans. Les réformes d'organisation engagées et le changement de statut de légions incitèrent d'autres Polonais à s'y enrôler. Les sections d'enrôlement ouvrirent à Varsovie et dans sept autres villes dont Kiev pour les Polonais résidant à l’intérieur de l'empire. Mais cette dernière démarche comme celle d'incorporer les prisonniers autrichiens de nationalité polonaise s'avérèrent un fiasco car les autorités militaires russes s'y opposèrent. Chaque jour se présentait une centaine de volontaires dont les jeunes qui voulaient éviter la conscription russe mais aussi les lycéens de 18 ans et plus âgés, représentant la classe des employés de l'administration. Néanmoins la majorité était d'origine populaire : paysans, ouvriers, petits artisans voire des gens en marge de la société traditionnelle. Ceux qui allaient s'engager dans la cavalerie (uhlans) devaient se présenter avec l'équipement (selle et bride) et par conséquent venaient de la noblesse ou intelligentsia comme par exemple Ryszard Bolesławski (avec ses deux frères), acteur et metteur en scène du MKhAT, devenu officier, puis émigré aux États Unis où il publia The Way of the Lancer et devint un cinéaste connu.

La formation de la légion (17 officiers et 909 soldats) fut achevée fin janvier 1915. Mais pour 1000 volontaires les Russes ne livrèrent au début que 800 carabines avec munition. Les uniformes reçus étaient russes à l’exception des pattes sur lesquelles on pouvait voir I LP (1re légion polonaise). Et malgré les promesses et les accords, la légion n'obtint ni de moyens de transport ni d'artillerie. Équipés de carabines autrichiennes mais sans munition, les soldats, considérés comme un bataillon d'infanterie de ligne selon la terminologie russe, furent en février divisés en quatre compagnies de chasseurs (tirailleurs), une section de communication et une compagnie de mitrailleuses. Les cadres étaient aussi un problème car insuffisantes : les autorités russes refusèrent, par la suite, de transférer leurs officiers polonais volontaires. Deux émigrés revenus des États Unis, les capitaines Adam Trygar et Leon Sułkowski, comblèrent le manque d'instructeurs et commandants. L'entrainement était quotidien, à l’exception des dimanches et jours fériés, sous la responsabilité du lieutenant, Stanisław Wecki. Les quatre compagnies étaient commandées par les capitaines : Witold Komierowski, Konrad Dolęga-Ossowski, Leon Sułkowski et Adam Trygar alors que la section de communication par le porte-drapeau, ingénieur Jan Wlekliński et le service sanitaire, le médecin Jan Załuska. Les relations entre les légionnaires avaient un caractère assez démocratique (le tutoiement des soldats par les officiers comme c'était le cas dans l'armée tsariste, prohibé, on préférait le vouvoiement dans le sens russe, précédé de compagnon, car la forme de politesse en polonais est, comme en italien ou espagnol, la 3e personne du singulier, précédée de pan, monsieur). A la mi-mars la légion était prête au combat. Le 20 mars elle fut mise dans le train à destination du front mais commençait alors à circuler le bruit comme quoi la légion allait être dirigée vers le front de Carpates où elle allait combattre les légions polonaises formées en Galicie. La tension augmentait et le transport, arrêté à Chełm, fut finalement détourné vers le front occidental, face à l'armée allemande.
 
Le 2 mars 1915 avait commencé le contre-offensive russe à partir de Grodno.

Suite aux machination de milieux hostiles à la question polonaise, le tsar signa l'oukase interdisant la poursuite de la formation de légions polonaises et obligeant l'incorporation des légionnaires, déjà prêts, dans l'ost (arrière-ban) russe. Le 27 mars les autorités russes décidèrent la dissolution du Comité d'organisation et la légion de Puławy devint le 739e groupe de Novo-Aleksandria tandis que la légion de Lublin, 740e groupe de Lublin aux statuts de l'ost russe. Les uhlans (cavalerie) furent aussi attachés à l'ost devenant 104e et 105e sotnia de cavalerie. Ces formations furent soumises au gouverneur général de Varsovie, le général P.Yengalytchev. La formation de Lublin se décomposa et ses restes furent incorporés à la formation de Puławy. Le général Świdziński démissionna. Le bataillon de 800 légionnaires, mal armé, fut dirigé vers le front, d'abord dans la région de Radom (près de Fałków) puis, en mai, près d'Iłża.


Le 28 avril l'Allemagne commença une offensive en Lituanie et Courlande, en s'emparant de Shaulaï – Schaulen - Szawle (en russe, all., pol.) et le 8 mai, du port de Liepoya – Libau - Lipawa). Le 2 mai 1915, les Puissances centrales avaient lancé la grande offensive dans la région de Gorlice et Tarnów (bataille du nom de ces deux localités) dont le résultat fut l'avancée de leurs armées jusqu'aux environs de Varsovie alors que, par ailleurs, d'autres armées allemandes se dirigeaient, à la mi-mai, vers Kowno que les Russes défendirent. Les régions de Mazovie (Varsovie) et de Lublin furent occupées entre 15 juillet et 5 août. Une telle pression des armées germano-autrichiennes et le danger d'encerclement des forces russes provoqua leur grande retraite sur la ligne Niemen-Bug

Cette retraite est associée à la stratégie russe de la terre brûlée et à la fuite, souvent sous contrainte, de centaines de milliers d'habitants vers l'intérieur de l'empire, parfois jusqu'en Sibérie: paysans biélorusses et ukrainiens (ruthènes) - orthodoxes ou couples mixtes (les catholiques moins, convaincus par le clergé de rester et se cacher dans les forêts). Les ouvriers avec leurs entreprises et les fonctionnaires, russes pour la plupart, de l'administration, étaient transportés en train. Selon les estimations du Comité de la grande-duchesse Tatiana, qui leur venait en aide, les fuyards provenaient des gouvernorats de Grodno (31%), de Volhynie (24%), de Chełm et Lublin et la majorité était constituée de Biélorusses et Ukrainiens (67.5%), considérés comme Russes par l'administration, auxquels il faut rajouter les Polonais (13.2%), Lituaniens, Estoniens, Lettons (4.9%) et Juifs (6.4%). Le comité de la grande-duchesse estimait leur nombre à 3 millions, le démographe soviétique, Yevgueni Volkov, le double. Un tiers ne survécut pas. 

Mais les Allemands réussirent à traverser le Bug et le Niemen en août en s'emparant de la forteresse de Brest-Litovsk, de Wilno, Kowno au nord et de Łuck au centre alors que les Autrichiens, de Lemberg. La ligne du nouveau front s'étirait de Riga en Lettonie à Czerniowce (Tchernowitz) en Bukovine, en passant par Dyneburg, Baranowicze, Pińsk, Dubno, Tarnopol.


 Le front de l'Est 1er mai - 30 septembre 1915


Le 19 mai, la légion, faisant partie du Corps de grenadiers moscovites, participa à l'attaque des positions allemandes à Pakosław (à 3 km d'Iłża) en s'emparant de quatre tranchées qui furent ensuite abandonnées faute de soutien russe des ailes. Sur 493 soldats y participant 42 étaient morts et 71, blessés dont le colonel Reutt qui fut remplacé par le colonel Jan Rządkowski. Le 15 juin, dans le combat à la baïonnette, la légion rejeta les Allemands des positions à Michałów (près de Pińczów) et le 17 juillet elle protégea la retraite russe de Władysławów (près de Kozienice). Le 20, elle affronta l'ennemi à Kolonia Chechelska et un mois plus tard à Nurzec-Gare (de chemin de fer), où elle perdit beaucoup de soldats. Puis, suite au combat de Czeremcha, le 24 août, il ne restait que 150 légionnaires. La formation se retira vers la région de Sejny et le 10 septembre elle liquida la position allemande sur le pont de la rivière Marycha. Le 18, les restes de la légion furent transférés à Bobrujsk en vu de sa réorganisation. La légion de Puławy fut dissoute en octobre 1915 et ses membres, incorporés dans la brigade de tirailleurs (chasseurs) polonais (Corps orientaux).

Pendant ce temps là, les escadrons de cavalerie combattaient dans la IIIe Armée russe aux environs de Brest-Litovsk où ils furent séparés, l'un dans la région de Pińsk, l'autre au bord du canal d'Ogiński. Entre la fin de septembre et le début d'octobre, ils furent réunis à Barańczyce (près de Sambor) pour former d'abord un groupe d'uhlans polonais sous commandement du porte-drapeau, Butkiewicz, puis, le 1er Régiment d'uhlans. Après la bataille de Krechowce (région de Stanisławów) pendant laquelle le régiment se distingua par une charge, il fut appelé du nom de la localité.
En automne 1915 débuta la formation du régiment d'infanterie polonais appelé « de tirailleurs ». C'est grâce à l'initiative du général Szymanowski, du colonel Rządkowski et du capitaine de cavalerie Zamoyski que le chef de l'état-major général (Stavka), le général Mikhaïl Aleksieyev, autorisa la création d'une brigade à Bobrujsk. Elle fut d'abord constituée de l'ancienne légion de Puławy et du 740e groupe (ex-légion) de Lublin auxquels on joignit les uhlans polonais et une compagnie de sapeurs. La formation de 8000 hommes dépendait du commandement russe et le russe était la langue de correspondance mais les commandements se faisaient en polonais. Au début de l'année 1916 elle combattit dans la région de Nowogródek (rivière Szczara) dans les tentatives d'offensives russes qui échouèrent.
 
Le 4 juin le général Broussilov lança son offensive durant laquelle les légions polonaises de Galicie combattirent à Kostiuchówka (cf ci dessus).
 
Le 27 juillet le 1er bataillon de la brigade s'empara des positions allemandes aux environs de Zaosie (lieu de naissance du poète Mickiewicz) et Snów (sur la ligne du chemin de fer, Varsovie-Baranowicze-Mińsk), en perdant 140 soldats, puis il fut retiré en arrière. Le front se stabilisa pour plusieurs mois.
 
En janvier 1917 la brigade fut transportée sur l'ordre de Broussilov dans la région militaire de Kiev et transformée en division sous le contrôle du général Bylewski. Elle était composée de quatre régiments d'infanterie, d'une compagnie de génie et d'un groupe de uhlans mais elle ne disposait pas d'artillerie propre. Juste avant la révolution de février elle comptait plus de 18 000 soldats qui allaient se distinguer des soldats russes par la présence de l'aigle polonais, autorisée après l'abdication du tsar mais les uniformes restaient russes et le chef de l'état-major était un officier russe. Seul le 1er régiment basé sur les éléments issus de la légion de Puławy, pouvait être considéré comme point de départ d'une future formation nationale polonaise.


Au printemps, malgré les résistances russes, les régiments dépassèrent les limites en nombre. Après la fin de la formation dans la région de Ploskirov, la division fut transportée sur le front en Galicie orientale à Husiatyn. Elle combattit au bord du Zbrucz, Czubarówka, Husiatyn, Krechowce et Stanisławów. L'armée russe était déjà en pleine décomposition. Suite à la propagande bolchevique on enregistra quelques refus d'obéissance ce qui fut le prétexte de dissolution, décidée par le commandement russe, de la division le 15 juillet 1917. Une partie des soldats fut transférée dans le Ier Corps polonais tandis que les autres furent dispersés dans les 169e et 170e division d'infanterie russes et leur équipement, dans la 2e division d'infanterie tchèque. Le 22 juillet un autre ordre regroupait la division à cause de l'attitude des soldats polonais qui résistèrent dans les trachées à l'attaque à l'ypérite (gaz moutarde). Dans la panique qui s'empara des soldats russes la division restait la seule formation capable se défendre à Husiatyn, Czabarówka (région de Andruszówka), le 27 juillet et Olchowczyk (toutes les localités se trouvaient en Galicie orientale), tout en engageant la retraite au nord-est, vers la Biélorussie.


Pendant ce temps le groupe de uhlans, séparés, dès le début, de leurs compatriotes, atteignit Kharkov et profitant du désordre, se transforma en régiment. Bientôt, élargi à quatre escadrons, il se dirigea vers sa division d'origine mais, sans l'atteindre, il fut brusquement transféré vers Stanisławów où il défendit la région contre les bandes de pillards. C'est aussi là bas, à Krechowce, qu'il affronta les fantassins ennemis le 24 juin, et où il subit d'importantes pertes (30 tués et plus de 40 blessés). Tout en repoussant les détachements allemands il se fraya le chemin à travers la Bessarabie pour atteindre Mińsk pour former le Ier Corps polonais.


 Les uhlans polonais en Ukraine l'été 1918.

 

Le premier Corps polonais




Il fut créé le 24 juillet en Biélorussie à partir de soldats provenant des armées russes opérant sur les fronts Ouest et Nord (Biélorussie, Polésie, Lituanie et Lettonie) à l'initiative du Comité suprême militaire polonais, et commandé à partir du 6 août 1917 par le général Józef Dowbor-Muśnicki, lui-même nommé par le général Lavr Kornilov sur proposition du Comité suprême militaire polonais (Naczpol), composé d'officiers polonais servant dans l'armée russe. Il devait se composer de 3 divisions de fantassins, 2 divisions d'artillerie, 3 batteries d'artillerie lourde et de bataillons auxiliaires.
L'idée de la création du Ier Corps avait été le résultat du congrès des militaires polonais réunis à Petrograd entre 8 et 22 juin (une délégation de la division de tirailleurs s'y était  présentée, avec en tête, le général Bylewski), où s'étaient opposées deux tendances, la révolutionnaire et la nationaliste. C'est cette dernière qui avait remporté pour former le Comité, dirigé par Władysław Raczkiewicz.
Il faut rappeler dans ce contexte que Kerenski, arrivé au pouvoir en juillet, était opposé à la création de formations militaires polonaises autonomes et c'est le général Kornilov, homme fort du gouvernement provisoire qui la permit entre juillet et août 1917 dans les régions de Mińsk; Vitebsk et au bord de la rivière près d'Orsza. Toutes les fonctions de chef d'état-major du corps, de divisions et de troupes d'opération  furent confiées aux officiers russes.



Józef Dowbor-Muśnicki, au centre, avec des officiers du 1° Korpus Polski en Russie.




Rappelons aussi que la Russie était en pleine agitation révolutionnaire et à la veille des événements d'octobre. Ainsi, malgré le projet qui prévoyait l'envoi de la formation sur le front allemand, le Ier Corps n'y fut-il jamais employé car le général Dowbor, voyant les tensions entre le gouvernement provisoire et les bolcheviks, considérait que les Polonais devaient adopter une attitude neutre et il proposa le cantonnement de sa formation et l'armistice interne en attente de l’éclaircissement de la situation. Suite à leur coup d'état, les bolcheviks avancèrent des conditions inacceptables pour les Polonais et le Ier Corps dut affronter les gardes rouges. Au début de l'année 1918 les Polonais remportèrent quelques victoires dont la plus spectaculaire fut la prise de la forteresse de Bobrujsk, défendue par 7000 gardes rouges, le 29 janvier. Le 19 février ils s'emparaient de Mińsk. Quelques autres combats furent livrés dont ceux de la rivière Tatarka (région d'Augustów), Osipowicze mais aussi Rohaczew et Żłobin (nœud ferroviaire) dans la région entre Mogilew (quartier général du commandement suprême des forces russes entre août 1915 et novembre 1917) et Gomel (orthographe polonaise et allemande de l'époque; voir la carte russe du lien Mogilew).

Durant cette épopée (l'escadron du porte-drapeau Konstanty Plisowski parcourut la distance de 1500 km) le Corps polonais subit des attaques bolcheviques en enregistrant des pertes importantes qui réduisirent ses effectifs à 12000 soldats puis, suite aux désertions et répressions et d'autres pertes, il ne comptait que 5000 hommes. Les forces allemandes qui avançaient vers l'Est le considérèrent comme neutre.


Après le traité de Brest-Litovsk, les Allemands décidèrent d'entamer la liquidation de la formation. Son commandant essaya de s'appuyer sur l'autorité du Conseil de régence afin de d'incorporer ses soldats dans le Polnische Wehrmacht prévu et soumis à jusqu'en octobre 1918 au commandement allemand du général von Beseler, en vain. Le 21 mai, les militaires allemands commencèrent le désarmement du Corps (il avait compté au début 23 661 soldats) dans la forteresse de Bobrujsk qui, étant contrôlé par les Polonais, dut capituler. Le dernier transport quitta Bobrujsk le 8 juillet.


 Les soldats du Ier Corps commémorent en 1918 la constitution du 3 mai 1791 (fête nationale)


Les soldats partirent en majorité pour Varsovie où ils allaient jouer un rôle important dans l'indépendance de la Pologne (11 novembre 1918) et former l'armée nationale polonaise en lui fournissant les cadres. A Bobrujsk, avant la IIe Guerre mondiale, le cimetière, contenant 2000 tombes polonaises, possédait un monticule avec une croix. Il n'en reste aucune trace, aujourd'hui. 



Le monticule du cimetière de Bobrujsk, construit par les vétérans du Ier Corps


Le deuxième Corps polonais


La décision de sa création fut prise par le Naczpol au milieu de l'année. Il devait être formé de Polonais des Fronts roumain et sud-ouest. Le 2 décembre fut constitué à Kiszyniów le Comité exécutif de l'association de militaires polonais du front roumain et le 21 décembre 1917 à Soroki (Bessarabie) commença son recrutement qui devait s’élégir à l'Ukraine ou plus exactement aux régions de Volhynie et de Podolie. Avec l'appuie du commandant du front roumain, le général Dimitri Chtcherbatchev, on forma à Suczawa la 1re division d'infanterie à laquelle on transféra l’équipement et l'armement du XXIXe Corps russe. La formation s’agrandit de soldats de la IIe Brigade, de Légions de Galicie, commandée par le colonel Haller qui en février avaient traversé les lignes russes. Haller en devint le commandant en chef le 28 mars 1918 et le lieutenant-colonel Michał Żymierski, son chef d'état-major. Le Corps comptait le 8 mars plus de 7000 soldats et était composé de deux divisions de tirailleurs, deux régiments de uhlans, d'une brigade d'artillerie, d'un régiment de génie et de détachement auxiliaires. Toutes les unités polonaises en Ukraine étaient subordonnées à l'Inspectorat suprême des forces militaires polonaises, créé par le Comité militaire polonais et dirigé par le général Eugeniusz de Henning Michaelis. A partir du mois d'avril le Haut Commandement des forces polonaises en Ukraine prenait leur direction avec, à la tête, le général Aleksander Osiński (officier de carrière de l'armée russe). Entre le 7 mars et la mi-avril, le colonel Haller, essayant d'éviter des difficultés au Conseil de régence, décida de maintenir le Corps dans les environs de Kaniów. Le 6 mai, les autorités allemandes d'occupation en Ukraine (le général Zierhold, plus précisément) transmirent l'ordre de son désarmement (ultimatum de 3 heures) car sa présence n'était pas conforme aux décision du traité de Brest-Litovsk, conclu avec la Rada ukrainienne. Certains officiers comme les généraux, Stankiewicz et Glass, opposés à l'idée de déplacer les forces polonaises au-delà du Dniepr afin de se soustraire au contrôle des Puissances centrales, furent démissionnés mais un groupe de 400 soldats dirigé par Glass abandonna les positions pour se diriger vers Winnica. Le commandement du Corps engagea les préparatifs de défense et les Allemands approchèrent leurs forces. Ainsi débuta, la nuit du 10 au 11 mai, la bataille de Kaniow.  


 A droite: ligne de positions polonaises et lieux de combat
A gauche: ligne de position allemandes et direction d'attaque


Les Allemands vainquirent et désarmèrent le IIe Corps mais Haller réussit à y échapper pour aller à Moscou et avec une partie de ses soldats il atteignit Murmansk d'où il s'embarqua pour la France pour y participer à la formation de l'Armée bleue. Quatre ans auparavant, en août 1914 s'était constituée une compagnie polonaise de la Légion étrangère qui dès octobre prit part aux combats en Champagne puis dans les environs d'Arras (les Bayonnais) où elle subit de fortes pertes et fut dissoute après un an d'existence (cf. l'article Les Polonais combattant en France ...)




Le troisième Corps polonais




La décision de la Rada ukrainienne de Kiev, de distribuer aux paysans les terres de leurs seigneurs (polonais en majorité), les attaques contre leurs manoirs, châteaux et fabriques de sucre et l'attitude attentiste voire passive des militaires allemandes tant attendus par les propriétaires, poussèrent ces derniers à appuyer l'idée de formation d'un troisième Corps polonais.

« Face aux décisions de la Rada donnant les terres des citoyens fonciers et par conséquence, destructions systématiques de propriétés en Ukraine par des bandes et par la même occasion, actes d'extermination de population polonaise, les sphères foncières, ayant des fils et parents au service des détachements qui se forment à partir de l'armée russe, ont commencé l'action de faire revenir ces détachements à leurs propriétés dans le but de leur défense en formant des milices composées de militaires polonais ».

La formation du IIIe Corps découlait de l'ordre émanant du général-lieutenant Eugeniusz de Henning-Michaelis, du 4 décembre 1917 en relation avec la concentration des formations polonaises en Ukraine. C'est lui qui devint le commandant de cette nouvelle formation pour la défense des propriétés foncières polonaises. L'ordre n'était pas réalisable à ce moment-là car les militaires étaient en état de dispersion à quoi s'ajoutaient les combats opposant les unités ukrainiennes. Les premiers détachements étaient formés entre 24 et 27 décembre alors que le 2 janvier, était créé l'Inspectorat des forces militaires polonaises en Ukraine auquel étaient subordonnés les deux premiers Corps. Le 8 février, le général de Henning-Michaelis quitta Kiev pris par les bolcheviks et s'installa dans la propriété d'Antoniny près de Konstantynów où stationnait un escadron du 2e régiment de uhlans du Ier Corps et le bataillon d'autodéfense du porte-drapeau Feliks Sas Jaworski. Le 15 février il entama sa fonction défensive dans la région en subordonnant les soldats stationnés à Winnica et Kamieniec Podolski. Deux hommes représentaient les organes politiques, Władysław Raczkiewicz, le Conseil de régence et Tadeusz Hołówka, l'Organisation militaire polonaise . La formation, très dispersée, combattit les gardes rouges, avec les unités ukrainiennes. Le commandement du IIIe Corps tenta de s'accorder avec les représentants du gouvernement de la République populaire d'Ukraine mais sans résultats tangibles.



 Le général Eugeniusz de Henning-Michaelis en uniforme russe



La tentative de sauver les restes de cette formation (2000 soldats au total) par le chef de toutes les forces polonaises en Ukraine, le général Osiński et le colonel Przemysław Barthel de Weydenthal, chef de l'état-major du Corps, s'avéra infructueuse devant l'entêtement de Michaelis et c'est malgré la mission de Tadeusz Hołówko qui vint à Antoniny le convaincre de l'inutilité de son action face à la cause suprême.

Continuant à dépenser ses forces dans le combat contre les paysans, bandes de pillards, gardes rouges et unités ukrainiennes il refusa sa réunion au IIe Corps qui stationnait à Soroki et lorsque les Allemands entrèrent enfin en Ukraine il se déplaça à Kiev et commença des négociations avec la puissance occupante. Les chefs l'enlevèrent de ses fonctions pour sauver les restes de la formation mais c'était déjà trop tard. Les groupes armés ukrainiens attaquaient les colonnes de uhlans, par exemple à Pieczary puis les escadrons du 7e régiment à Niemirów. Les uhlans encerclés après un court combat capitulèrent la 14 avril mais les Ukrainiens ne respectaient pas les conditions de la capitulation et 3 officiers et 20 uhlans furent tués après avoir déposé, les premiers, les armes. Les autres furent transférés aux Autrichiens. La fin du Corps peut être datée pour la nuit du 9 au 11 juin, lorsque les groupes restés encore libres furent encerclés par une division autrichienne. Le commandement abandonna l'idée de combat contre les forces supérieures en nombre et capitula. Les détachements polonais furent dispersés dans les environs de Pików (région de Winnica), Janów (région de Lemberg), Chmielnik où à la fin du mois, ils furent désarmés en même temps que le groupe du général Glass et ensuite, transportés en Pologne.


Rappelons pour les non avertis de l'histoire compliquée des relations polono-ukrainiennes que cette période correspond à la manifestation de mouvements nationalistes exaspérés des deux côtés et pour les mêmes territoires. Les Russes et les Autrichiens jouèrent la double carte appuyant tantôt les uns tantôt les autres en fonction de leurs propres intérêts et de la situation sur le front. Ce sont justement ces territoires habités par les populations paysannes en majorité orthodoxes ou uniates donc ukrainiennes et dominées par la noblesse ruthène, polonisée ou franchement polonaise qui constituaient l'enjeu des futurs États nationaux. Les paysans polonais y vivaient aussi, par tâches ou îlots, et étaient aussi l'enjeu de la cause polonaise. Comme nous avons pu lire, le IIIe Corps eut un rôle double : défendre les propriétaires polonais et combattre éventuellement l'ennemi qui serait censé permettre la reconstruction d'une Pologne disparue ou, au cas de l'implosion des deux empires opposés, permettre la création d'une armée indépendante.

Les IIe et IIIe Corps furent, de fait, formés seulement après le coup d'état bolchevique et n'étaient pas à la solde de l 'armée russe, n'en recevaient ni la nourriture ni le cantonnement. La Rada ukrainienne qui était opposée à leur création, leur refusait toute forme d'aide. C'est pour cela qu'ils devaient compter sur l'hospitalité et l'entretien des propriétaires ou autres milieux polonais concentrés dans certaines régions.

Le IIe Corps formé au début à Soroki était constitué avant tout de cadres alors que l'infanterie représentait une force moindre que la cavalerie, l'artillerie et le service de convoi (4000 hommes). C'est l’arrivée de la 2e brigade de légions du général Haller qui changea la donne (les militaires qui traversèrent les lignes russes en abandonnant les positions austro-hongroises). Ce Corps fut officiellement reconnu par les Alliés qui déclarèrent le 2 mars 1918 que « l'un des buts de la guerre contre les Puissances centrales était la reconstruction d'un État polonais dans ses frontières géographiques et ethniques ».


Durant l'automne 1918, s'appuyant sur les restes de l'ex IIe Corps on forma la 4e Division de tirailleurs polonais dont le commandant devint le général Lucjan Żeligowski. La formation collabora avec l'Armée auxiliaire blanche du général Dénikine alors que les déportés polonais et les prisonniers de guerre détenus en Sibérie furent libérés pour participer à la 5e Division de tirailleurs qui comptait 12 000 soldats et qui collabora avec l'armée blanche de Koltchak. Un millier de soldats réussit à traverser la Sibérie pour atteindre le port chinois de Mandchourie de Dairen d'où ils furent rapatriés en juillet 1920 par les bateaux britanniques jusqu'à Dantzig (Gdańsk) et ils participèrent à la dernière phase de la guerre russo-polonaise.




Au nom du Kaiser



Les Polonais servirent sous les drapeaux de l'armée allemande sans avoir obtenu le droit à une formation spécifique. Tous les hommes étaient soumis à la conscription tandis que certains ayant entamé une carrière militaires servirent comme officiers dans l'armée. Le 5 novembre 1916, sur le territoire occupé du Royaume du Congrès les Puissances centrales publièrent la Proclamation commune des deux empereurs, Guillaume II et François-Joseph qui annonçait la création de l’État polonais comme une monarchie héréditaire et constitutionnelle. C'est le point de vue allemand qui remporta à savoir la création d'un État fantoche sur les territoires russes (Kongresspolen et une partie de la Lituanie entre Wilno et Grodno) en excluant la Galicie et les provinces orientales prussiennes, la Posnanie et la Haute Silésie en particulier. Le but essentiel était de mettre à la disposition du gouverneur général, von Beseler, un Königlich Polnische Wehrmacht afin de soulager l'effort de guerre allemand sur les deux fronts, autrement dit, permettre le transfert de soldats d'occupation de l'Est vers l'Ouest. Le Conseil de régence créé en janvier 1917 devait prendre en charge le recrutement de cette armée mais ce fut un fiasco alors que les forces armées bien limitées ainsi formées allaient être soumises au nouveau conseil, Conseil d'État du Royaume de Pologne (entré en fonction le 24 juin), dès octobre 1918. De fait elle ne joua aucun rôle particulier. Les Polonais prussiens servirent par contre dans l'armée allemande : les Posnaniens dans le Ve Corps d'Armée et les Silésiens dans le VIe. Une fois démobilisés ils combattirent dans les soulèvements de Grande Pologne et de Silésie contre la République de Weimar, après l'Armistice.


Le commandant du Polnische Wehrmacht avec au centre, assis, le général Hans von Beseler. Varsovie 1918




1 commentaire: